1- Un week-end inattendu 2-2
Un craquement déchirant se répercute dans la demeure. Le son ricoche de mur en mur, grimpant tel un serpent jusqu'à atteindre la chambre de Sophia. Elle se réveille en sursaut, en sueur. Elle ne sait plus quel jour il est, ni quelle heure. Le bruit avait cogné contre la porte et perturbé son sommeil. Une goutte de sueur froide coule le long de sa nuque, la faisant frissonner. Paniquée, elle tâtonne sur la table de chevet pour trouver le cordon sur lequel se trouve l'interrupteur.
Avec maladresse, elle renverse quelques cahiers sur le sol. Sophia a l'impression qu'elle n'est pas seule dans la chambre, elle se sent épiée. La bile lui monte à la gorge quand, enfin, ses doigts effleurent l'interrupteur. La lumière envahit la chambre, chassant toute obscurité. Sophia regarde tout autour d'elle et prête l'oreille au silence qui domine la maison.
Son cœur peine réellement à reprendre un rythme normal, car c'est l'un des seuls sons qui lui parviennent. Un étage en dessous, son grand-père ronfle assez bruyamment, et quelques voitures passent dans la rue. Mais sinon, rien d'autre ne provoque le stress qu'elle a eu plus tôt.
Prenant son courage à deux mains, elle se lève pour se rapprocher de la porte. Cela lui paraît étrange, la sensation qu'elle a eue. Elle ouvre la porte pour scruter les escaliers, mais aucun mouvement suspect ne réagit devant elle. Malgré tout, devant cette pénombre, Sophia est prise d'un frisson. Elle referme aussi vite la porte, met son pyjama et glisse sous la couette pour s'y enfermer tel un cocon. Elle ne saurait comment l'expliquer, mais elle a l'impression qu'elle n'est pas seule dans cette chambre. Angoissée, elle resserre la couette autour d'elle et essaie désespérément de se rendormir.
Quand les premières lueurs du matin éclairent la chambre, Sophia est le dos appuyé à la tête de lit, les yeux fixant le plafond sans avoir pu fermer l'œil. La lumière lui brûle les rétines. Elle détourne le regard tel un vampire agonisant sous le soleil. Fatiguée, elle se lève et traîne des pieds jusqu'à la salle de bain. En passant devant la chambre de papy Jean, elle remarque que le lit a déjà été fait au millimètre près. Telle une fumée enivrante, l'odeur de viennoiseries remonte à ses narines.
Ni une, ni deux, elle se précipite sous la douche, se prépare et descend au salon pour nourrir son estomac qui réclame pitance. Jean est déjà assis à table. En entendant le vacarme de sa petite-fille, il avait pris le temps de faire chauffer deux chocolats chauds. Bien évidemment, il invite Sophia à passer à table tout en lui proposant les viennoiseries encore fumantes tandis qu'il pose son journal.
— As-tu passé une bonne nuit ?
— Je me suis endormie comme une masse hier soir.
Elle attrape un pain au chocolat qu'elle enfourne dans sa bouche avec gourmandise, songeant à la suite de sa nuit.
— Mais après, j'ai dû faire un cauchemar qui m'a empêché de fermer l'œil.
— Vraiment ?
Il l'a regarde étonné, puis lui demande plus d'explications sur ledit cauchemar. Elle le lui raconte en n'omettant aucun détail et remarque une chose. Pendant son récit, le regard si malicieux de papy Jean est passé à l'inquiétude. Comme si une sensation le dérangeait.
— T'as-t-on déjà dit que tu avais une imagination débordante ? Je suppose que oui.
Il la taquine en buvant son café.
— Je t'avais dit que cette vieille bicoque faisait des bruits, mais de là à un déchirement ? Je ne vois pas ce que cela pourrait être.
Sophia lui sourit et le rassure sur le fait que ce n'était qu'un cauchemar avant de se noyer de nouveau dans son chocolat.
* * *
Papy Jean est parti rendre visite à l'un de ses voisin, laissant Sophia s'occuper dans la demeure. Elle en profite pour faire ses devoirs tout en écoutant de la musique.
Au bout d'une demi-heure de leçon intensive, elle s'étire en levant les bras au-dessus de la tête et décide de se promener. Arrivée dans le rez-de-chaussée, elle se dirige dans un premier temps vers la cuisine, où elle admire le petit jardin à travers la fenêtre.
Continuant sa visite, elle admire les photos jaunies par le temps, de gamins jouant aux billes, d'adolescents posant devant une mobylette. De photos de mariage et bien plus encore. Sophia passe devant le boudoir donnant sur la rue tout en contemplant l'âme de cette demeure qui a vu grandir tant de générations, avant de retourner au point de départ du rez-de-chaussée.
Cette maison spacieuse respire de nombreux secrets. Mais surtout, une pièce ne donne pas envie à Sophia de la visiter. Elle se sent tout à coup mal à l'aise devant la porte menant à la cave. Un souffle vient lui caresser le visage, lui paralysant tous ses membres. Elle s'attend à ce que la porte s'ouvre dans un fracas, laissant une ombre l'attraper et l'attirer dans les entrailles des profondeurs.
Papy Jean rentre à ce moment-là, accrochant son veston sur le porte-manteau et déposant sa casquette sur le guéridon tout en sifflotant. Il se retourne et voit sa petite-fille aussi blanche qu'un linge. Inquiet, il s'approche d'elle et passe une main devant ses yeux fixes. Jean ne voit pas d'autre solution que de la secouer par les épaules, de claquer des doigts, et quand ses actions ne suffisent pas, de lui tapoter la joue. Sophia arrive d'un coup à sortir de son état de transe.
— Que t'arrive-t-il ? Depuis cinq minutes, je t'appelle et tu ne me réponds pas, comme si tu m'ignorais.
— Je ne sais pas, répond-elle secouée. J'étais comme aspirée dans mes pensées et cette porte... Et cette cave... Enfin, je ne sais que penser, je me suis sentie bizarre en passant à côté.
— Veux-tu que l'on regarde en bas si on trouve ce qui peut te perturber ?
Son regard est songeur devant les réactions de sa petite fille, mais elle balaye la proposition en se dirigeant vers l'escalier.
— Non, ce n'est rien, je monte me reposer.
Arrivée sur le premier palier, Sophia secoue la tête et se tapote les joues pour se redonner de la force. Elle se penche par-dessus la rambarde et aperçoit son grand-père poser la main sur la porte de la cave en soupirant ces quelques mots : « C'est trop tôt ».
Avant de repartir dans la cuisine s'affairer à la préparation du déjeuner.
Sophia fronce les sourcils face à ses paroles, puis monte dans sa chambre. Ses exercices sont encore étalés sur le bureau. C'était une ancienne table à couture que papy Jean a relookée. Elle s'installe et reprend ses devoirs.
D'épais nuages couvrent le ciel, menaçant à tout instant de déverser la pluie sur les toits de la ville. À travers la fenêtre de toit, Sophia regarde l'atmosphère changer. Elle a bloqué son stylo entre sa lèvre supérieure et son nez, et a mis ses bras derrière la tête tout en se balançant sur sa chaise.
La phrase prononcée par son grand-père plus tôt la travaille beaucoup. Tant de questions traversent son esprit : Pourquoi paraît-il préoccupé en sa présence ? Quel secret cache-t-il ? Pourquoi laisse-t-il des bribes d'informations virevolter ?
Papy Jean lui paraît suspicieux. Alors qu'à l'accoutumée, c'est une personne des plus ordinaires. Il accueille sa famille, ses enfants, ses petits-enfants à Noël ou à son anniversaire. Les traits de son passé ont marqué son visage, mais il conserve une grande culture générale.
Ne trouvant plus de réponses à ses questions, Sophia descend le rejoindre dans le salon. Elle lui demande s'il a besoin d'aide, mais de la cuisine, il l'invite directement à passer à table.
Jean sert sa petite-fille sous le regard inquisiteur de celle-ci. Le moindre mouvement est scruté, alors que son assiette se remplit de blanc de poulet et de haricots à l'ail. À aucun moment son grand-père n'a osé croiser son regard, préférant admirer la beauté de la salière. Sans que l'un ou l'autre ne l'ait décidé, un silence pesant s'est installé pendant le repas. Sophia se racle la gorge pour le briser :
— À quoi penses-tu papy ?
— À rien, pourquoi ?
Son regard se détourne de la salière. Sophia réhléchit dans un souffle :
— Tu parais songeur, perdu dans le fil de tes pensées, ailleurs... Est-ce à cause de moi ?
Jean est surpris par cette question.
— Non, du tout ! Tu sais les personnes âgées replongent souvent dans leurs pensées pour ne pas oublier le passé.
— Mais tu me sembles différent, s'inquiète-t-elle.
— Ne te fais pas de souci pour moi, ma grande, je suis un homme robuste.
Il la rassure, puis ne voulant pas inquiéter plus sa petite fille, il change de sujet en mettant un termes à cette discussion.
— Dis-moi, ça te dirait d'aller au jardin des beaux-arts cet après-midi ? Même si le temps ne s'y prête pas, ça te ferait du bien de sortir.
— Oui, ça me ferait plaisir, il y a bien longtemps que je n'ai visité le parc.
L'avantage de papy Jean est d'habiter en ville. Tout peut se faire à pied, sans perdre du temps à tourner en rond pour trouver une place où se garer. En dix minutes, le grand-père et sa petite-fille atteignent l'ancien château reconverti en musée. Un gigantesque hêtre, de plus de cinq siècles, se dresse devant eux au milieu des pavés du parc. L'écurie avait été transformée en mini-galerie pour l'extérieur, montrant des animaux empaillés avec des écriteaux racontant leurs histoires.
Ils continuent leur promenade dans les jardins du musée. Les horticulteurs de la ville s'affairent à planter les fleurs aux couleurs de l'automne approchant. Tandis que des petits jouent dans le parc de jeu mis à disposition, glissant sur le toboggan et riant sur le tourniquet.
La balade aura été bénéfique pour vider les tourments de chacun. En rentrant à la maison, le téléphone fait rage depuis un moment. Jean se précipite pour décrocher et échange quelques mots avec l'interlocuteur avant de tendre le combiné à Sophia qui finit d'accrocher les manteaux dans le vestibule.
C'est la mère de Sophia à l'autre bout du fil. Elle s'était inquiétée de ne pas avoir réussi à les joindre plus rapidement. Elle raconte que tout se passe bien de leur côté. Elles ont pu aller voir Marianne qui travaille dans un musée. Puis le soir, elles iront assister au concert d'un groupe que Lucie chérit particulièrement.
— Papa nous rejoindra demain et on viendra te chercher par la suite une fois de retour en ville. Ça se passe bien avec papy Jean ?
— Très bien, maman, nous sommes allés nous promener cet après-midi et là, il va m'apprendre à jouer à la belote.
— Peux-tu me le repasser, s'il te plaît, mon ange, je t'embrasse fort et te dis à demain.
— D'accord, à demain, maman, bisous.
Sophia tend le combiné à son grand-père et s'éclipse dans le salon, préparant les cartes.
Il est complexe de comprendre les règles de la belote aux premiers abords. Et Sophia a dû se creuser les méninges pour en comprendre le sens. Surtout qu'à deux, ce n'est pas simple du tout.
L'heure du dîner arrive, et chacun s'affaire à sa tâche. Jean fait réchauffer une soupe, tandis que Sophia met la table. Tranquillement, ils s'installent en allumant le téléviseur et regardent ensemble une émission tout en savourant leur repas.
Sophia est repue. Elle n'a qu'une hâte, aller se coucher et rattraper sa nuit. Elle fait la bise à son grand-père et se dirige vers le couloir. En passant devant la porte menant à la cave, elle distingue une voix. Lointaine demeure-t-elle, mais elle semble familière. La voix cristalline tente de l'appâter tel un chant mélodieux pour l'amener à destination.
Mais Sophia ne tombe pas dans le piège et recule d'un pas en secouant la tête. Elle scrute le salon pour vérifier si son grand-père a eu la moindre réaction. Ne voyant rien de suspect, elle monte jusqu'à sa chambre et s'allonge sur le lit en soupirant.
— Voilà que j'entends des voix maintenant, souffle-t-elle d'exaspération.
Elle fait mine de se comparer à Jeanne d'Arc, jouant presque une pièce de théâtre en solitaire, appelant la foule invisible à la brûler sur un bûcher.
— Rah la la, le manque de sommeil me fait perdre la tête, pouffe-t-elle.
Mais son sérieux reprend place sur son visage. Depuis la nuit dernière, des phénomènes étranges se produisent dans la maison. Sophia fixe le plafond de sa chambre en pesant le pour et le contre de sa réflexion. Cette situation la fait beaucoup ruminer.
Elle prend la décision d'aller voir ce qui se cache dans la cave, dès l'instant où son grand-père plongera dans les bras de Morphée.
— Tant pis pour le dodo, il faut que j'en aie le cœur net !
Elle se donne du courage et entame la préparation de quelques affaires pour mener son investigation. L'adrénaline se faufile en elle, en attendant le moment fatidique.
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