1 - Un week-end inattendu 1-2

Le fracas de l'effondrement se confond entre hurlement et voix qui appellent avec insistance.

— Mademoiselle Tellier !

Le professeur d'Histoire regarde d'un œil sévère son élève qui rumine dans son sommeil. Un combat acharné l'empêche de se réveiller. Un cauchemar dans lequel le néant absorbe toutes vies présente, déclenchant des raz de marées, qu'elle sent couler le long de son bras.

Perdant toute patience, le professeur abat sa règle en bois sur le bureau de son élève en assenant son nom avec froideur.

Mademoiselle Tellier, de son prénom Sophia, se réveille en sursautant et déboussolée. Elle regarde autour d'elle ses camarades qui pouffent de sa situation avant de poser son regard honteux sur l'homme lui faisant face. On peut apercevoir des éclairs traverser son regard derrière ses lunettes en demi lune.

— Si l'histoire de mon cours vous passionne tant, mademoiselle Tellier, elle vous enrichira d'autant plus demain soir pendant votre heure de colle. assène-t-il sèchement en fermant son livre d'un coup sec.

Sophia rentre sa tête entre les épaules, puis profite que son professeur retourne à ses explications pour scruter la pendule de la salle. Sa courte sieste lui aura offert une échappatoire temporaire, rendant le passage du temps plus supportable. Elle essuie distraitement la bave sur son bras, son esprit encore embrouillé par les fragments persistants du rêve qui semble si réel, puis elle prend son stylo pour dessiner la boîte qu'elle a vue, épaississant les traits avec son bic noir.

Les haut-parleurs du lycée diffusent la sonnerie annonçant la fin de la journée. Un troupeau d'élèves regagne en toute hâte la sortie. Proche d'un abribus, un petit groupe commence à se former. Sophia s'approche de ce noyau, entendant son amie l'interpeller en faisant de grands signes de la main. Elle rejoint Élise qui baisse son bras et lui sourit de toutes ses dents.

— Alors comme ça on dort en classe ma belle ?

Son ton est moqueur, mais Sophia préfère en rire, même si elle ne sait plus où se mettre. La honte ne va pas aller en s'arrangeant quand son autre ami Antoine se met à siffler les garçons de sa classe.

— Arrête tout de suite, peste Sophia en chuchotant et lui tapant l'épaule.

— Je n'y peux rien si tous les canons du lycée sont dans ta classe, répond-il en épiant un jeune blond qui passe sous son regard.

Sophia lève les yeux au ciel d'exaspération. Elle ne s'ennuie jamais avec eux. Se connaissant depuis le collège, ils sont devenus inséparables. Élise est la plus jeune d'une année. Antoine et Sophia ont redoublé leur sixième pour diverses raisons. Concernant la demoiselle, cela se résumait à une longue absence de plusieurs mois. Quant à son ami, il n'avait pas vécu une année facile. En effet, il avait découvert, à ce moment-là, que son cœur vagabondait davantage vers les garçons que vers les filles.

Une demi-heure passe où ils rient tous ensemble des souvenirs du collège, se lançant des boutades. Sophia reste toujours un poil en retrait,car même si elle est entourée par de formidables personnes, elle a l'impression de ne pas y avoir sa place. Elle se cache derrière une facette qui lui donne une image timide et réservée.

Après les embrassades traditionnelles, chacun prend le chemin de son domicile. Sophia et Élise prennent le bus ensemble. Non que leur commune se trouve loin, mais l'accès à leur lycée n'est pas bien praticable.

Sophia garde sa tête posée sur la vitre, regardant défiler le paysage à vive allure.Les couleurs verdoyantes du feuillage se mêlent à la teinte marron clair des branchages. Elle trouve cela reposant. Mais, parfois, elle a l'impression que son imagination lui joue des tours. Elle croit apercevoir une personne au même endroit, qui attend là, tapie sous les fougères.

Toujours au même instant, à la même vieille borne kilométrique. Elle ferme les yeux, les rouvre, mais ce n'est qu'un chasseur, une biche, ou tout simplement une illusion.

* * *

Arrivée devant sa maison, Sophia prie de toutes ses forces que le lycée n'ait pas appelé. Elle entre une fois sa prière achevée et commence à se déshabiller quand elle entend sa mère dans le salon :

— Sophia, c'est toi ?

— Non, c'est la reine d'Angleterre, rétorque l'intéressée en se mordant la lèvre et en se tapant le front pour sa bêtise.

Mais elle n'entend pas sa mère rouspéter. Sophia se dirige vers le salon où, à son grand étonnement, tout le monde est présent.

— Bien, on est au complet, se réjouit son père.

Sophia plisse le front, ne comprenant pas ce qui se trame. Inquiète, elle prend place sur le canapé après que sa mère le lui ait demandé.

— Que se passe-t-il ?

— Tu te souviens que ta mère et ta sœur montent ensemble chez Marianne ce week-end ? interroge son père.

Marianne est l'aînée de la fratrie, et Lucie, la cadette. Sophia attend la suite avec impatience.

— Je serai également absent pour du travail. Alors, tu passeras le week-end chez ton grand-père, conclut son père dans un couperet.

C'est la douche froide pour Sophia. Sa bouche s'ouvre en grand de stupéfaction, se demandant le pourquoi de ce changement de programme. Aurait-il eu vent de son heure de colle ? Qu'elle n'écoute pas ses professeurs, car elle préfère roupiller en classe ? C'est la seule explication.

Elle devait à la base profiter du week-end avec son père, profitant de l'absence de sa mère et de sa sœur. Mais, non ! Lui aussi l'abandonne. Et Lucie se fait un malin plaisir de confirmer que le week-end chez papy, c'est pour sa pomme. Sophia tente de protester, mais rien n'y fait. Son père est catégorique.

Frustrée, Sophia monte les escaliers quatre à quatre, déboule dans sa chambre et se jette sur son lit en attrapant ses crayons, son carnet et son baladeur. Elle se laisse transporter par les sons en fermant les yeux, se berçant d'un univers l'autre, imaginant des mondes improbables. S'endormant le cœur lourd sur son cahier, ne se doutant pas un seul instant que ce week-end allait bouleverser sa vie.

* * *

Vendredi est arrivé bien trop vite. La famille Tellier est devant la demeure du grand-père. Celui-ci ouvre la porte après quelques coups de sonnette. Il s'approche du père de Sophia et l'embrasse affectueusement :

— Mon fils, cela faisait longtemps !

Il considère sa belle-fille et la salue également :

— Valérie, vous resplendissez de plus en plus.

Cet homme, aux yeux de Sophia, inspire le respect. Plutôt grand avec un ventre volumineux, on pourrait le comparer au père Noël version militaire, mais souriant à chaque instant. Il a toujours de nombreuses histoires à raconter. Enfant, Sophia aimait beaucoup les entendre, imaginant les univers avec des étoiles dans les yeux. Mais à présent, la vie d'une adolescente se résume plus à penser aux préparatifs de leurs traditionnelles fêtes d'Halloween, à lorgner sur le garçon le plus séduisant du lycée...

Rien à voir avec des aventures d'enfants dans des plaines vertes et ensoleillées. De calme et de zen attitude. Non, la vie de Sophia est entièrement dans l'ébullition du train-train quotidien du lycée, des amis et de la famille.

Après que les adultes ont pris leurs cafés et échangé des banalités, les parents de Sophia s'éclipsent après une brève embrassade. Elle leur en veut encore de lui avoir fait ce plan de dernière minute, mais d'un côté cela l'enchante, car sa mère a fini par apprendre la colle que Sophia avait récoltée. Et ne pas avoir sa mère dans les parages ce week-end la met de bonne humeur.

Papy Jean, attend Sophia dans le salon. Il est assis sur le divan avec un carnet dans la main :

— Alors, ma grande, que veux-tu manger ce soir ?

Son regard déborde de malice.

Question pertinente ! Jean n'est pas un très bon cuisinier, mais il se débrouille. C'était sa défunte épouse, Hélène, qui élaborait les mets les plus délicieux.

— On peut faire simple.

Sophia affiche un petit sourire et reprend :

— Des pâtes, ça ira. Mais après, j'irai me coucher, car ma semaine m'a crevée.

Elle mime un bâillement très convaincant. Jean lui rend son sourire.

— Va pour des pâtes.

Dans la cuisine, les spaghettis cuisent lentement, mais sûrement. Sophia aide son grand-père à mettre la table en installant les verres, couverts et assiettes. Papy Jean sort la tête de la cuisine :

— Tu seras dans la chambre au second étage, tu monteras tes affaires après le dîner.

Il retourne dans la cuisine tout en continuant de lui expliquer les consignes. Il revient avec un saladier fumant :

— Cette vieille bicoque n'est plus toute jeune, ça grince un peu. Mais, ça n'empêche pas de dormir. Et puis, si tu as le même sommeil que tu avais quand tu étais petite, cela ne te dérangera pas. C'était loin d'être facile de te réveiller ! réplique-t-il d'un air moqueur tout en adressant un clin d'œil.

Sophia a un sommeil lourd. Il pourrait y avoir un volcan en éruption à côté, qu'elle ne se réveillerait pas pour autant. Elle sourit devant le saladier qui trouve place au centre de la table et entend son ventre grogner d'appétit.

Après un dîner riche en féculents, Sophia embrasse la joue de son grand-père qui en profite pour lui lancer un regard malicieux au travers de ses lunettes posées sur le bout de son nez. Papy Jean souhaite la bonne nuit à sa petite fille, sur un ton qui provoque de l'étonnement à Sophia. Passé cette pensée, elle gravit les marches de l'escalier en bois massif qui craque sous ses pas.

Arrivée au premier, elle aperçoit la salle de bain typique des années cinquante. À côté se trouve la chambre de papy, fermée derrière une porte blanche. Au second palier, la lumière est assez tamisée, ce qui rend la montée plus difficile. Malgré une lucarne un peu plus haut dans le mur, la cage d'escalier reste très sombre. Sophia n'est pas sereine en montant. Elle a l'impression qu'une personne la guette, prête à lui sauter à la gorge. Elle retient sa respiration et finit de monter au plus vite l'escalier pour aller se réfugier dans la chambre.

Le dos calé contre la porte, elle tente de reprendre ses esprits en se tenant les côtes. Il lui faut bien une longue minute pour récupérer son souffle et se traiter d'imbécile. Le problème de Sophia est qu'elle a une imagination sans limites, et cela lui joue fréquemment des tours.

C'est comme quand elle marche le soir dans la rue et qu'elle aperçoit une personne au loin, derrière un poteau plus loin devant. Qu'il l'observe avec insistance, les yeux brillants et le restent cachés dans l'ombre de la lumière ! Elle cligne des yeux une demi-seconde et la personne disparaît. Inévitablement, Sophia se dit que c'est dans sa tête ou qu'elle a trop d'imagination.

Elle dépose son sac sur le bureau et récupère son agenda pour vérifier les leçons à faire ce week-end, puis sort également son journal intime. Mieux que ses meilleurs amis, ce journal est son confident. Celui à qui elle confie tous ses secrets, ses peurs, ses souffrances...

Elle écrit le dernier film qu'elle a regardé, mais parle surtout des musiques qui l'ont transportée. Globalement, elle écrit ses rêves merveilleux, mais également ses cauchemars perturbants. Elle sort son lecteur CD et appuie sur lecture, tout en posant son casque sur les oreilles. Invincible, la musique composée par l'orchestre de Two step from hell envahie son cœur. Elle se laisse chavirer sur le lit, fermant les yeux et songeant sur le programme du week-end.

* * *

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