Chapitre 14 : Bouton d'or

Je reste interdite quelques secondes ne sachant pas si Éléonore se moque de moi. J'essaye de percevoir un rictus taquin, mais son visage fermé n'exprime rien d'autre qu'une sévérité que je n'ai jamais eu l'occasion de voir sur elle. Elle qui, d'habitude est la personnification même du Soleil.

- Pourquoi est-ce que tu me parles de monstres ? demandé-je en essayant de paraître la plus détachée possible.

- Parce que toi aussi, tu en as vu un, insiste Éléonore.

- Non, je n'en ai pas vu, répondis-je en commençant à paniquer.

- Tu sais, c'est un secret pour personne que tu sois là pour schizophrénie. Tout le monde sait que tu es là parce que tu es persuadée qu'un monstre te traque. En plus, l'autre jour, tu m'as même dit que tu avais une crise. Et si tu as fait une crise, c'est que tu as vu un monstre.

Je me tais, le souffle coupé comme si on m'avait donné un coup de pied dans l'estomac. Je commence à regarder tout autour de moi comme paranoïaque persuadée que tous les patients et les infirmières ont arrêté leurs activités pour me fixer, d'un air moqueur. Une honte sans nom me serre la gorge de ses chaînes brûlantes. J'ai envie de fuir, de me cacher en boule, de partir loin, loin de toute agitation, de toute œillade méprisante.

Pourtant, lorsque j'observe les alentours, personne ne me scrute. Dehors, des patients tous emmitouflés de la tête aux pieds jouent sous les flocons en riant sous le regard amusé des surveillantes. À l'intérieur, les malades restants discutent enjoués tout en étalant leur créativité sur des feuilles toutes plus colorées les unes que les autres. L'ambiance est chaleureuse, presque familiale et pourtant, je me sens glacée, j'ai l'impression qu'un pieu de glace m'a empalé de part en part et que son froid m'envahit petit à petit. Je me transforme en statue de glace.

Éléonore attire mon regard de sa main mouchetée de tâche de rousseur.

- Ne t'inquiète pas. Les autres ne te croient pas, mais moi je sais que tu dis la vérité, m'assure-t-elle avec un clin d'œil.

Son aplomb me donne le tournis. Même si je ne me fais pas d'illusion sur le fait que tout le monde pense que je suis malade, qu'on m'impose cette réalité me donne une amère impression d'anormalité.  Cette sensation est d'autant plus accentuée par le fait que ma seule amie m'affirme que je n'ai qu'elle comme soutien.

- Et pourquoi est-ce que tu me crois toi ? lui répondis-je d'un ton froid en ignorant sa main tendue tout en essayant de reprendre un semblant de consistance.

- Je te l'ai déjà dit, Lucie voyait un monstre, elle me l'a dit. Et, cette fille, elle est connue pour ne jamais mentir.

- C'est vrai, je me souviens de la première et seule discussion que j'ai eue avec elle. Elle a été d'une honnêteté tranchante.

- Tu vois ? Je te l'ai dit. Il y a un monstre dans cet hôpital.

- Tu tires des conclusions hâtives. Lucie était patiente ici donc forcément elle était atteinte d'une maladie, comme de la paranoïa par exemple. Et au final, peut-être que Lucie est réellement malade et elle a juste fugué, objecté-je.

- Donc le monstre que tu vois n'est pas réel.

- Si ! Ils sont réels ! C'est différent ! élevé-je la voix.

D'un signe de la main discret, elle m'intime de baisser d'un ton. Je me sens rougir de mon éclat de voix et du fait que j'ai avoué voir des monstres. Cette fille est beaucoup trop maligne. Je suis sûre que lorsqu'elle veut quelque chose, elle l'obtient. Elle ne semble pas s'embarrasser de ma timidité soudaine et se penche au-dessus de la table vers moi.

- Fais mine de dessiner pour Lucie. Des infirmières s'approchent de nous, me dit-elle en prenant un crayon à papier vert dans le pot à crayon sur sa droite.

Je m'exécute et à mon tour sans me faire prier. Je prends un crayon à papier et une feuille que je pose par terre. Je me mets à plat ventre pour esquisser sans trop d'entrain le visage souriant de Lucie à côté du mien. 

- Tu as vu plusieurs monstres ? Tu es sûre ? Quels types de monstres ? me demande-t-elle en chuchotant.

Le plus discrètement possible tout en regardant autour de moi, je soulève mes trois couches de vêtements et je sors les feuilles que j'avais volées au Docteur Māyā. Je les mets en dessous de mon dessin et je tends le paquet à Éléonore. Du coin de l'œil, j'aperçois une infirmière arriver derrière mon amie.

- Tu penses quoi de mon dessin ? Est-ce qu'il va plaire à Lucie ? dis-je en me forçant à lancer un sourire enjoué à mon interlocutrice.

Stressée, je lui fais les gros yeux pour lui faire comprendre qu'une surveillante est juste derrière elle. Éléonore prend dans ses mains le paquet de feuilles et l'examine sous toutes les coutures en se retournant sur son coussin.

- Mais qu'est-ce que tu es douée ! Regardez Jeanne ! Gabrielle n'est-elle pas douée ? s'enthousiasme mon amie en montrant le dessin à l'infirmière.

Elle est maintenant à environ deux mètres de nous. De tension, je sens que je commence à avoir chaud et à suer. Pourquoi l'a-t-elle appelée, elle veut que l'on se fasse prendre avec des documents volés ? Je me redresse en position assise pour voir  la dénommée Jeanne s'approcher.

Elle a l'air gentille, elle porte elle aussi le chignon serré typique des infirmières, mais au lieu de rendre son visage sévère, il ne lui rend qu'un air doux. Peut-être ce dû à son visage rond et à ses yeux d'un bleu pétant. Elle ressemble à un petit chérubin. Dans ses mains potelées, elle tient des verres d'eau et un pichet.

- Gabrielle, Éléonore, j'ai vos traitements, annonce-t-elle en souriant.

Je ne peux m'empêcher de rouler des yeux quand elle baisse la tête pour poser les gobelets et la carafe sur le sol et sortir de la poche de sa blouse deux plaquettes de médicaments. Quand elle nous tend nos pilules, la mienne toujours couleur saumon et celle d'Éléonore est bleue électrique. Je lui fais un sourire forcé pour la remercier . Mon amie, quant à elle, la remercie chaleureusement, mais je remarque tout de même qu'elle ne fait rien pour prendre son cachet.

Au contraire, elle lui remet sous les yeux mon dessin cachant au passage les notes que j'ai volées. À nouveau, je sens mon estomac se creuser sous la pression. Elle veut ma mort, c'est obligé, je ne vois pas d'autres raisons. La diversion fait pourtant mouche, Jeanne semble oublier la prise de nos traitements pour observer mon dessin sans remarquer les feuilles derrière. À moins qu'elle ne pense que ce ne sont que des brouillons de nos dessins.

- Il est magnifique. Tu as un vrai talent ! Je suis sûre que Lucie va être ravie quand elle va le recevoir ! s'exclame-t-elle en relevant la tête vers moi.

Je hausse les épaules en minimisant le mot talent et en espérant qu'elle s'éloigne bientôt et qu'elle nous oublie vite. Celle-ci, pourtant, ne se décide pas à nous quitter. Éléonore me rend mon dessin et nous sommes obligées de continuer de dessiner. Heureusement qu'elle a mis son dessin en dessous du mien pour que Jeanne ne puisse pas voir les feuilles du Docteur Maya. J'essaye de paraître la plus détendue possible, mais c'est impossible. Je commence à trembler, terriblement stressée.

- Tu vas bien Gabrielle ? m'interroge Éléonore.

- Oui, oui, j'ai juste du mal à dessiner quand je me sens observée, mentis-je en lançant un regard contrit à l'infirmière.

- Pas de problème, je m'en vais pour que vous soyez tranquille. Avant, je dois m'assurer que vous preniez bien vos médicaments, elle nous lance un regard désolé en voyant nos mines défaites. Je sais ce n'est pas très agréable, mais c'est le protocole, vous comprenez.

- Bien sûr que nous comprenons ! Regardez, nous prenons nos pilules, assure Éléonore.

Elle tire le cachet de son emballage d'aluminium, elle le met entre ses lèvres pleines et du regard m'invective de faire de même. Je fais alors de même en remarquant que l'infirmière ne peut pas s'assurer que nous prenions toutes les deux nos médicaments comme nous sommes toutes les deux assez loin l'une de l'autre. Elle ne peut que se focaliser sur l'une et avoir l'autre dans la périphérie de son champ de vision.

Profitant alors que l'intention de Jeanne soit sur Éléonore, je fourre le médicament dans ma bouche et je fais le même stratagème que je maitrise par cœur à force de pratique. Coincer, la pilule au fond de la bouche dans un creux de la gencive, contracter la mâchoire, prendre une gorgée d'eau en l'avalant petit à petit, puis tirer la langue en n'ouvrant que légèrement les lèvres pour prouver sa bonne foi. En priant pour que l'examinatrice ne se montre pas trop vigilante.

Éléonore continue de l'accaparer de plus belle. Au final, Jeanne ne m'a pas adressé le moindre regard pour vérifier la prise de mon traitement. Je souhaite intérieurement qu'elle parte le plus vite possible sentant le cachet se désagréger dans ma bouche. Comme si elle avait entendu mon souhait, elle nous encourage alors à continuer puis part voir d'autres patients. Je ne peux m'empêcher de lâcher un énorme soupir de soulagement.

- T'es folle d'avoir fait ça ! Imagine si elle avait vu les feuilles, lancé-je à ma comparse sentant encore le poids du stress sur mes épaules et en enlevant la pilule de ma bouche.

- Comme ça, elle est partie plus vite. Jeanne est très gentille mais aussi très bavarde. D'ailleurs, c'est quoi ces feuilles ? m'interroge-t-elle en crachant le cachet dans un mouchoir qu'elle sort de sa poche.

- Ce sont des notes du Docteur Māyā, sur un monstre que des patients atteints de schizophrénie ont vu. Peut-être que c'est lui que Lucie voyait.

- Comment tu les as eues ? Tu les as volés ?

C'est au tour d'Éléonore de me regarder stupéfaite. Je la fixe droit dans les yeux, ce n'est pas elle qui peut me faire la morale sur les dangers du vol, et sur l'interdiction de faire une chose pareille.

- Me fais pas de leçon, toi aussi, tu as volé, je te signale. Les clés du Docteur Buile par exemple, rétorqué-je.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, répond-elle en papillonnant des yeux.

- Tu sais  que tu as plongé tête baissée dans les problèmes au moins ?

- Oui, je sais, mais j'ai sauté sur l'occasion. En plus, je ne suis pas sa patiente, il n'y a aucun indice qui mène à ma culpabilité.

- Tu oublies que tu es ici en partie pour vol.

- Tu oublies que nous sommes une soixantaine de patients, rétorque-t-elle en ayant perdu toute trace d'humour sur son visage.

Son regard s'est assombri d'un coup. Il faut vraiment que j'apprenne à tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler. Un jour, le fait de ne pas réfléchir et de dire tout ce que je pense risque vraiment de me mettre dans des situations bien plus gênantes que celle-ci.

- Je suis désolée... balbutié-je.

- Non, tu as raison. Je suis une potentielle suspecte, il ne faut pas que je l'oublie, me coupe froidement mon amie.

Elle se met à plat ventre pour être dans une posture similaire à la mienne. Elle enlève alors son dessin pour mettre à jour les notes volées. Elle se penche au dessus  de celle-ci pour que ses cheveux forment un rideau flamboyant pour être cachée pendant sa lecture. De mon côté, je l'observe tout en faisant mine de reprendre mon croquis.

Au bout de quelques minutes, elle dégage ses cheveux de son champ de vision et me chuchote blanche comme un linge.

- Tu as vu ce monstre ?

Je lui fais un signe positif de la tête, elle me tend alors les feuilles d'un geste vif en regardant tout autour d'elle. Je les attrape et les fourre sous mon dessin. Elle me presse de les lire, je hoche la tête anxieuse de ma lecture. À nouveau, avec un frisson, je peux observer sur le croquis, le monstre qui a bien failli me faire perdre l'usage de ma main. Plus, je le vois, plus il me terrifie que ce soit par sa taille, sa musculature ou ses immenses crocs. Des sueurs froides coulent dans mon dos pendant que des souvenirs de cette nuit d'horreur me reviennent par flashs.

Je respire un grand coup sentant mes paumes devenir moites. Des larmes me montent aux yeux que je retiens tant bien que mal et pour évacuer la panique grandissante qui me serre la gorge comme un nœud coulant. Je me plonge alors dans les courtes notes du Docteur Māyā.

Un jour, j'ai rencontré un patient qui était atteint de terreurs nocturnes. Pendant notre première séance, il m'avait expliqué que le diagnostic qu'on lui avait posé était erroné. En effet, alors que les personnes atteintes de terreurs nocturnes ne se rappelaient pas de leurs crises, lui, il m'avait assuré que chaque soir un monstre lui rendait visite.

Il m'avait ensuite tendu un papier en tremblant et en murmurant « Insulagos ». Sur celui-ci, était dessiné ce croquis terrifiant sur lequel j'écris. Il m'avait alors expliqué que chaque nuit, il rêvait qu'il était dans une forêt et que cette chose sortait de nulle part en psalmodiant son envie de se repaitre du sang de mon patient.

L'adolescent m'a alors décrit ses multiples rencontres avec ce monstre. Selon lui, il est le parfait prédateur de par sa taille et sa musculature. Il est capable de briser un tronc d'arbre en deux et il fait entre deux mètres trente et deux mètres cinquante.

Son récit ne fit qu'accroître mon horreur quand il m'a confié que la première fois qu'il avait croisé le chemin de cette bête, évidemment, il avait fui étant persuadé qu'avec ces dimensions jamais il ne pourrait le poursuivre.

À ce moment, mon patient se plia en deux d'un rire nerveux.

 Le monstre, comme il s'y attendait, l'avait bien poursuivi, mais en quelques secondes, il s'était fait rattraper. Il me raconta qu'il avait hurlé de peur en ayant l'impression qu'il allait vomir ses tripes tellement la terreur était forte. Alors que persuadé que l'Insulagos se préparait à le tuer et à le manger, le monstre n'en fit rien, car le cri semblait l'avoir désorienté, il se bouchait les oreilles en lui criant de se taire.  Après mon patient ne se rappelle plus de rien, juste de ses parents au-dessus de lui paniqués et de son entrejambe mouillée.

Tout d'un  coup, gêné, il me demanda s'il pouvait enlever son pull. En essayant de cacher ma surprise, je hochais de la tête. Je me rappellerais toute ma vie, qu'aussi calme que l'eau qui dort, il s'était rassis et droit dans les yeux, à demi-mots, il me chuchota « c'est lui ». Il se déshabilla et lorsqu'il se mit en pull à manche courte, je faillis détourner le regard de ses bras, ils étaient couverts de morsures de toutes tailles, de toute forme. Un véritable massacre.

Pourtant et de là où j'étais, je pouvais aisément voir que chaque morsure ne correspondait pas aux dents monstrueuses que le patient avait dessinées sur le profil du monstre. Oui certaines ressemblaient à ce type de blessures, mais faites par des dents humaines. D'autres semblaient avoir été provoquée par une lame ou quelque chose de contondant.

Je lui fis alors la remarque. Le patient alors plutôt ouvert à la discussion se renfrogna d'un coup. Agacé, il me reprit le croquis des mains et me montra les mains du monstre, sur celles-ci se trouvait des bouches et c'est par là que l'Insulagos vidait de son sang ses victimes. Les dents au niveau de sa bouche, selon lui, servaient à broyer les os de sa victime. Il me répéta à nouveau que c'était un véritable prédateur et qu'il était sadique.

La séance prit fin. Ce patient est perdu, il a besoin d'aide, je dois être là pour lui, pour qu'il n'ait plus ses rêves.

Note à moi-même : en fonction de nos séances, je demanderais, si besoin qu'il soit interné à l'hôpital St Anne.

Un patient probablement de l'hôpital, autre que Lucie a vu le même monstre que moi. Serions-nous alors trois dans le même hôpital à avoir vu cette bête tout droit sortie des enfers ? Je ne suis pas la seule à l'avoir ce tueur d'homme, cet « Insulagos ». Je ne suis pas folle, je ne suis pas folle. Ce patient, il a été blessé, comme moi. Je dois le retrouver coûte que coûte.

Soudainement, je me rappelle que je ne suis pas seule dans la pièce et je regarde en hâte tout autour de moi pour voir si quelqu'un m'a vu lire ces notes. Dans la pièce Jeanne et quelques autres infirmières passent près des tables pour observer les dessins des autres malades. Elles sont assez loin de nous et je peux alors cacher le croquis et les écrits sous mes multiples pulls. Les patients, eux, jouent toujours dehors.

Une fois, les feuilles rangées sous mes couches de vêtements, je regarde Éléonore, celles-ci me fixe avec attention, elle se ronge l'ongle de son index droit. Elle semble se retenir de me dire quelque chose d'important.

- Qu'est-ce que tu sais que tu n'oses pas me dire ? demandé-je.

Elle se racle la gorge et triture ses mains une nouvelle fois.

- Un soir, Lucie et moi étions sorties en douce pour aller voler une bouteille d'alcool pour la boire dans sa chambre. Après que nous en ayons fini la moitié, on a commencé à ne pas être nous-mêmes comme tu t'en doutes et c'est à ce moment qu'elle m'a tout raconté, commence Éléonore en hésitant.

- Et ? Quel est le rapport avec les notes ?

- Elle m'a confié qu'elle était arrivée ici, car un monstre la poussait à faire du mal à ceux qu'elle aimait, à les torturer. Un jour, elle se souvenait avoir vu dans son salon, une chose monstrueuse à l'abdomen d'une araignée mais possédant un buste de femme prendre un malin plaisir à torturer son canari qu'elle adorait par-dessus tout. Elle m'avait dit qu'à ce moment, elle s'était sentie impuissante, incapable de faire le moindre pas comme hypnotisée par cette scène qui pourtant lui donnait envie de vomir. La femme-araignée avait alors relevée la tête et elle fut complètement sous le choc lorsqu'elle rencontra son propre visage qui lui souriait d'un air carnassier.  Puis, d'un coup elle s'était sentie se faire aspirer en arrière. Ses parents paniqués étaient là devant elle. Elle avait levé les mains et celles-ci étaient pleines de sang et de plumes couleur or. Elle entendait au sol des faibles gazouillements. Son oiseau, son « Bouton d'or » gémissait au sol dans une flaque carmin, les ailes  complètement brisées.

Je reste stupéfaite de ce récit ne sachant pas quoi dire. Cette fille s'était acharnée sur son animal de compagnie et elle avait vu un monstre possédant sa propre tête. Lucie était et est malade, son monstre à elle n'existe pas. Je n'ai jamais entendu ni vu une telle abomination qu'elle avait vu. Lucie était et est malade, c'est sûr, un monstre araignée possédant son buste et sa tête. Une telle abomination n'existe que dans l'imaginaire des gens. Elle était folle, voilà pourquoi elle était venue ici. Il n'y a pas d'autre explication possible. Pourtant, Éléonore semble la croire sur parole, et elle me regarde avec des yeux plein d'espoir. Toutes ces réflexions me donnent mal à la tête.

- Alors tu en penses quoi ? m'interroge Éléonore.

- Ce monstre est terrifiant, j'espère ne jamais le croiser.

Une torpeur que je ne connais que trop bien m'envahit doucement. Cette sensation, mais d'où vient-elle bon sang ? Je n'ai même pas pris mon médicament. Je sens que je commence à perdre toute motricité au niveau de mes jambes. J'essaye de garder un semblant de normalité et me redresse difficilement sur mon coussin.

- C'est tout ce que ça t'inspire cette histoire ? me lance offusquée Éléonore

- Oui ? hésité-je.

- Mais Gabrielle, cela veut dire qu'il y a différents types de monstres et si beaucoup de personnes en voient, pourquoi personne ne semble au courant de leur existence ?

C'est vrai qu'elle marque un point. Même pour les deux monstres que j'ai vus, on est plusieurs à les avoir vu, alors comment cela se fait-il que personne n'en parle ou encore si une maladie à des symptômes communs cela devrait se savoir non ? Je suis trop fatiguée, je n'arrive pas à réfléchir.

- Oui, tu as raison...

- Gabrielle ! Viens ici tout de suite ! me coupe une voix stridente que je reconnais être celle de l'infirmière en chef.

Je me retourne avec difficulté, mon corps est maintenant totalement engourdi comme si j'avais été passée à tabac. L'infirmière est plantée là au milieu de la pièce avec à la main ce que je reconnais être mes vêtements tachés de boue. Je serre la mâchoire en me maudissant mentalement. Avec peine, je me souviens maintenant avoir fourré précipitamment mes affaires sales de notre sortie nocturne avec Éléonore dans mon armoire sans prendre soin de les cacher.

J'en conclus que lorsque les deux fouineuses sont venues ce matin fouiller dans ma chambre elles les ont vu mais ne m'ont rien dit. Elles sont, en revanche, directement allées porter le fruit de leurs recherches à leur supérieure.

Je suis foutue, je sais que je ne peux pas me lever pour la rejoindre. À tous les coups, elle va croire que je la provoque. J'essaye de prendre appui sur mes jambes, mais celles-ci se dérobent sous mon poids et j'ai juste le temps de voir le sol se rapprocher à grande vitesse de ma tête que je suis retenue par les trois cols de mes pulls par une poigne ferme. Le choc de ceux-ci contre ma gorge me coupe brutalement la respiration. J'ai l'impression que ma trachée se brise en mille morceaux.

Je commence à suffoquer pour chercher de l'air. Des larmes commencent à perler aucreux de mes yeux. Dans la panique, l'engourdissement de mes bras s'est évaporéet je tente vainement d'écarter mon col de ma gorge en me la griffant au passage.

- Lâchez-là ! Vous l'étouffez ! s'exclame Éléonore que je peux voir s'avancer vers moi.

La pression s'enlève dans un grognement et je me cogne doucement la tête contre la table en respirant à grande goulée d'air frais qui me brule les poumons.

Je m'écrase contre le carrelage en faïence, en en hoquetant pour reprendre un souffle correct. Je sens mes poumons siffler tandis que j'aspire tout l'air possible à ma portée. Une fois calmée,  cette voix horripilante qui n'est autre que celle de Tom tel un couperet tranche le silence qui s'est abattu dans la pièce 

- Qu'est-ce qu'il lui arrive encore à cette folle ?












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