Un après-midi, Jana le surprit tétanique, genoux à terre. Elle se précipita à lui, prit sa tête entre ses mains : elle ne l'avait jamais vu comme ça, bleu, tremblant, la peau dégouttante et glaciale. Elle l'étreignit, le frictionna, ressaisissant à chaque fois ses joues pour tenter de capter son regard. Pas moyen : les pupilles diluées dans la cornée, Pertouillet frappait aveugle aux portes closes de son subconscient, enfermé en lui-même.
D'un bond, Jana fit couler un bain brûlant, achemina l'invalide jusqu'à la baignoire. Thibault s'y plongea masse morte, la chaleur lui arracha un cri. Ses membres tendus le lâchèrent, il glissa tête dans l'eau. Il gesticulait entre deux gloups, luttant pour avaler l'air. Janafer sauta sur lui toute habillée, lui pesa sur les hanches pour le remonter à la surface, et lova ses jambes autour de sa taille pour le maintenir droit. Spontanément, elle le ramena contre sa poitrine en lui papouillant la tête. Il respirait. Les spasmes ralentissaient.
La tétanie se dissipa, le chaud les engourdit. L'antenne de Thibault était réparée, son regard de nouveau fixe sur l'au-delà. Jana lui rendit le sien : elle avait toujours été impressionnée par le regard du prisonnier. Elle aimait ces yeux perçants qui scrutent et pénètrent. Pendant les premiers mois, elle n'osait pas le soutenir, préférant regarder ses pieds. Tellement heureuse que quelqu'un daigne enfin porter son attention sur elle, elle ne pouvait pas se douter que le regard de Thibault ne la sondait pas, mais l'enjambait, simplement.
Elle le baisa sur les cheveux. Une petite salve timide. Il ne la repoussait pas. Elle descendit sur l'oreille, sema un sillon de baisers transversaux jusqu'aux lèvres. Le dernier fut appliqué avec un soin redoublé, allongé d'une seconde de curiosité. Petit sourire nerveux, elle éloigna sa bouche pour voir sa réaction. Il n'avait pas bougé ; il devait être aussi confus qu'elle.
Janafer réalisa qu'elle était à califourchon sur un homme. Sa robe flottait pâteuse sur l'eau clapotante. Elle rit. Par réflexe, Thibault rit aussi. Alors, elle l'embrassa encore. Et encore. S'enhardissait, sortait la langue.
Toute son adolescence lui remontait par bulles : les amoureux sur les bancs épiés de loin, les nuits espionnes sous le lit de Franziska, à écouter grincer les lattes quand un petit ami s'introduisait par la fenêtre, et les brimades cruelles des copines, comme quoi elle n'en aurait jamais, elle, d'amoureux. Eh bien regardez maintenant si j'en aurai jamais ! leur crachait-elle pour elle-même.
De son côté, Pertouillet avait reçu ces baisers sans se poser de questions. Ça lui tombait dessus comme les linges repassés et la table mise. Il ferma les paupières, huma l'odeur de femme où se superposaient ses héroïnes stellaires. Il détournait la douceur de Janafer vers les bras d'amantes légendaires destinées à son homologue spatial.
Jana embrassait maladroitement : elle lui salivait à gros goulots dans la gorge, et laissait pendre sa langue trop profond. Ces imperfections éloignaient Thibault de la reconstitution correcte de ses romances imaginaires ; il songeait à s'écarter lorsque dans son emportement, Jana enfonça sa langue plus bas encore. Elle appuyait contre le palais, titillait la glotte.
Une étrange sensation de déjà-vu paralysa Pertouillet. Il avait déjà ressenti cette pression caoutchouteuse et dégoulinante au fond de sa gorge. Avide d'en savoir plus, il laissa son hôtesse poursuivre ses découvertes, l'incitait même à accentuer les coups de langue en basculant la tête d'avant en arrière. Son estomac se noua, son œsophage se dilata, mais il contracta le plexus pour s'empêcher de vomir, de peur que Jana n'arrête de bourrer sa bouche.
Petit à petit, le visage du cinquième Offizier se reconstitua. Thibault le revit brandissant un tuyau d'arrosage, violemment fourré jusqu'aux ganglions. Ça lui giclait par les bajoues, grimpait les narines et rinçait le corps meurtri. Les autres séquelles s'éveillaient magnifiées sous le flux de l'eau : le sang des tempes et des taillades s'y mêlaient par volutes, la corde au cou l'aidait à garroter la noyade et recracher quelques tasses, la brûlure à la main fumait sa vapeur. L'air fuyait en gros jets d'écume. Comme quoi y'a bien que l'intérieur qui compte : la flotte n'inondait que son corps, et pourtant Pertouillet avait le sentiment qu'un vortex l'entraînait de toutes parts. Rien ne servait de se battre. Il se laissa typhonner.
Quand il reprit ses esprits, il se trouva seul dans la baignoire tiède. Ses vêtements trempés jonchaient le carrelage alentour. Une robe aussi. L'eau du bain avait aspergé les murs, il avait dû se débattre sacrément fort. Il sursauta : dans l'encadrure de la porte, une silhouette rêveuse l'observait. Un instant, il aurait juré voir le sergent von Volterberg. Ça lui revenait désormais : c'était lui qui l'avait tiré de noyade. Mais non, ce n'était que Janafer qui le matait amoureusement. Il ne remarqua même pas qu'elle était nue.
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