Malgré toute la publicité que le Concours National de la Résistance a faite aux héros de la dernière guerre, il en est un qui se tapit encore au fond des archives. Grand délaissé des exposés aux collèges, Thibault Pertouillet fut pourtant parmi les opposants de la première heure au régime pétainiste.

Son nom aux consonnances cocasses peut-être repousse la gloire qui lui est due, quoiqu'on trouve peu de paltoquets pour se moquer de Môquet, de petits gens malins pour couillonner Jean Moulin, ou de lumières en vrac pour saquer sans tact Lucie Aubrac. Si notre Pertouillette a si vite viré aux oubliettes, si vive arsouille qu'ait été la Pertouille, c'est qu'il avait là-haut quelques fusibles déphasés.

Autrefois, vous y auriez vu un soldat de la liberté dur comme le roc, qu'on surnommait le Marquis du maquis, l'amoche-boche... Son air douillet le glissait incognito entre les mailles nazies.

Pris par une patrouille alors qu'il déraillait des amis enraflés, il a fallu six Waffen-SS pour l'épuiser. Le premier l'a fusillé à bout portant.

Voyant que le lascar ne bougeait d'une pétouille, le deuxième l'a dérouillé à la dague.

Sentant la douille, un troisième l'a fouillé, souillé, puis pendu au lampadaire. La potence improvisée ploya, céda.

Les bourreaux amusés s'amassaient tout autour, pouffant face aux exploits de ce Raspoutine. Le sang s'échappait avec réluctance, comme si chaque organe de son corps résistait à son échelle. Thibault tenait debout encore, maintenu seulement par la raideur de ses pieds.

Un quatrième Offizier débaucha son chalumeau.

Il ne rôtit pourtant qu'une main, coupé par l'ivresse d'un cinquième qui sortait un tuyau d'arrosage. Il s'agissait de lui faire boire la tasse, mieux, le seau, la baignoire si possible ! Le frouze en fut quitte pour une mort imminente et un peu de mousse au menton.

Enfin, un gradé s'inquiéta qu'un condamné sût si bien résister à la mort, qu'il tînt tête à plus puissant encore, et dans le zèle de protéger son Führer, le sergent von Volterberg prit une grave décision. Il déporta le réfractaire en un coin reculé de Bavière, chez sa belle-sœur Janafer, une vieille fille docile.

Là-bas, l'insurrection de Pertouillet n'inspirerait rien à personne. Ce dernier, bien ébranlé par les sessions de torture, en un mot devenu benêt, se laissa wagonner jusqu'à l'hospice. Voici justement notre problème : il s'y plut. Comment les propagandistes malrausiens auraient-ils édifié leur résistancialisme, avec des modèles comme Pertouillet, un homme-enfant, une plaie ouverte sur les horreurs de la guerre ? Les morts ont de la commodité, ils soutiennent aisément la stature qu'on leur impose, or les survivants savaient l'état déplorable de leur meneur déchu : on empêcha que ce passé s'ébruite.

Des quelques diaristes qui le mentionnent dans leurs mémoires, ne nous sont parvenues que peu de traces, visites succinctes en RFA et autres aveux honteux, aux temps où il importait de reconstituer les dignités.