Chapitre 23

Neuf ans plus tôt,

Saphhire Quarter, quartier populaire de la Capitale

C'était un soir d'hiver où le temps était particulièrement capricieux. Le sol couvert de givre et de neige, craquelait sous les pieds des quelques passants qui venaient et s'en allaient sur la rue presque déserte. Des gamins trop insouciants pour s'inquiéter outre mesure des températures extrêmes de dehors, profitaient religieusement de cet instant de grâce – il était rare qu'il neige de cette façon à Tesiri. Leurs vêtements noirs de suies et leurs visages sales mais heureux contrastaient avec la couleur immaculée qui recouvrait le paysage. Les plus téméraires essayaient de faire de la luge – une activité qu'ils avaient dû entendre dans la bouche d'un noble – avec des morceaux de bois ramassés çà et là tandis que les plus prudents, eux, s'amusaient à construire des bonhommes et créaient des personnages sur la neige avec tout ce qu'ils trouvaient dans la rue et dans les ordures.

La joie transpirait dans l'air hivernal.

Light marchait avec lenteur malgré les bourrasques de vents qui frigorifiaient son corps. Hélas, son cœur et son âme, eux, étaient déjà glacés. Les yeux dans les vagues et l'esprit voyageur, il ne remarqua pas tout de suite la fillette assisse sur un banc, les mains tremblotantes.

Pauvre petite, encore un enfant abandonné par ses parents !

Il la dépassa. Light ne pouvait rien faire pour elle ; il vivait seule maintenant avec sa sœur étant donné que...

Stupides nobles ! Stupide loi et stupide hiérarchie ! Merde !

En colère, il balança une pierre qui se trouvait sur son chemin.

Je ne peux pas rentrer dans cet état. Pas maintenant et pas comme ça ! Siéra doit être dévastée à l'heure qu'il est et je dois rester fort pour nous deux. Fort.

L'homme de vingt-quatre ans, prit ses un mètre quatre-vingt-quatorze avec lui et fit demi-tour, puis, sans consulter la petite, il s'assit à côté d'elle.

– Il fait froid, dit-il pour alléger la situation en soufflant dans ses mains. Tu devrais jouer avec les autres ; ils ont l'air de bien s'amuser, et pis, mine de rien, ça réchauffe ces conneries.

La petite tourna sa tête vers lui surprise, captivant de ses prunelles noires celles bleues intenses de Light – cadeau de la maternelle, des conneries ce truc !

– Tu ne viens pas d'ici hein ! Tu devrais faire attention, tu ne ressembles pas aux autres...

Elle lui montra ses cheveux semblables aux flocons qui tombait toujours. Il rit.

– Non, confia-t-il, l'enfant ouvrit la bouche, stupéfaite avant de la refermer sans un bruit. Tu n'es pas d'ici ! Non, reste ! Ce n'est pas une accusation, juste un constat !

Il rit encore.

– Des conneries tout ça !

Puis devant l'air interrogatif de la fille, il expliqua.

– La vie, l'amour, la noblesse ! Ce n'sont que des conneries !

Il sortit un cigare et une allumette.

– Ça te dérange la fumée ?

Ilyana secoua la tête.

– T'es pas bavarde comme fille, hein ! C'est pas grave Jonah n'était pas bavard non plus, raconta-t-il en mettant le feu au pied.

Un arôme boisé éclata dans son palais ; le blond garda la fumée en bouche. Il l'avait volé à un petit bourgeois.

– T'es bien curieuse pour une muette hein ! Jonah était mon petit frère, il est mort. Tout à l'heure. Ma sœur vient d'envoyer quelqu'un me le dire, et moi comme un lâche, j'ai pas le courage de rentrer. Il faudrait alors le brûler parce qu'il n'était pas déclaré ; c'était un bâtard. Vois-tu, ma mère était une pu-... une fille de joie. Tu ne peux pas comprendre ce genre de chose à cet âge-là. Alors les nobles sont allés chez elle et l'ont tué et pour pas que ma génitrice fasse une scène avec une réclamation et tout le tralala, ils l'ont également trucidée. A vrai dire, je ne la regrette pas ; je veux dire, elle voulait que ma sœur jumelle soit comme elle, une pu- ... une fille de joie.

– Moi aussi j'ai une sœur jumelle, déclara la fille d'une petite voix. Sauf que je la déteste et j'aimerais qu'elle soit également une fille de joie. Non une fille de tristesse !

Il hocha la tête ; il comprenait.

– Ça n'existe pas vraiment une fille de tristesse, ma belle. Pourquoi tu détestes autant ta sœur ?

– Elle m'a volé Graben !

– Graben ?

– Oui, mon meilleur ami, sauf qu'il ne me reconnaît plus ! Il dit que je suis un monstre. Comme les autres, termina-t-elle tout bas.

Aucune larme ne s'échappait de ses yeux.

Curieux !

– Peut-être qu'il n'était pas un vrai ami ?

– C'était mon seul ami !

– Quelle âge as-tu ?

– J'ai onze ans ! Et, euh, je m'appelle Ilyana !

Il sourit.

– Enchanté Ilyana, je suis Light.

Le blond se leva, éteint son cigare et le mit dans sa poche.

– Tu es jeune, belle, courageuse et noble ! Je suis sûr que l'avenir te réservera des belles surprises ; reste forte et courageuse, d'accord ?

– C'est vrai ?

– Oui ! Je te le promets ! Viens suis-moi !

– Où va-t-on ?

– A un endroit sans tristesse, enlèves cette mine de ton visage. Tu deviendras vieille avant l'heure.

Elle éclata de rire et prit sa main.

– Comment tu sais que je suis noble ?

– Tes habits ma chère, tu devrais faire plus attention à l'avenir ! Princesse !

– Tu sais qui je suis ?

– Évidemment !

– Alors tu n'as pas peur que les gardes royaux te tuent s'ils te voient avec moi ?

– Alors on n'a qu'à les éviter ! Et puis, j'adore le danger !

Un silence.

– Où va-t-on ?

– Curieuse hein ?

– Pourquoi tu répètes toujours « hein » et aussi « conneries » ?

Il éclata de rire.

– Tu sais voler ?

– Pardon ?

– Alors je vais t'apprendre !

– Comme un oiseau ? J'adore les oiseaux !

Son rire résonna dans le froid hivernal.

– Comme un oiseau.

Comme une pie.

***

Un vent automnal soufflait sur les visages des deux jeunes gens qui se trouvaient dans une rue étroite et déserte. Ils portaient des capuches et leurs visages se trouvaient ainsi cachés des curieux. La plus petite avait une petite fiole dans sa main qu'elle but avec émotion, tira la langue pour la forme, et, attendit.

La transformation survint en premier de ses cheveux, elle avait l'impression de les perdre et pour cause, la personne qu'elle devrait prendre l'apparence était chauve. C'était un homme de la quarantaine qui avait déjà perdu sa chevelure avec l'âge. Elle eût le vertige quand elle se mit à grandir et à s'épaissir. Contre toute attente ce qu'elle prenait au début pour de la graisse était en fait des muscles. Désorientée, la femme s'accrocha à son frère, qui avait toujours ses cheveux blonds.

La métamorphose était finie et elle avait maintenant l'apparence de Rahaoul Sergio, un homme de quarante-deux ans, marié et père de deux filles, et, le plus important, garde de la famille Fire.

Elle se redressa et abaissa sa capuche.

– A toi, mon frère, souffla-t -elle, l'heure tourne ; on va être en retard.

Le jeune homme à ses côtés, le fixait en silence tandis que son visage s'allongeait ; ses yeux perdirent ses jolies couleurs bleutées pour prendre une teinte plus grise et mystérieuse, une fine moustache apparût sur une face longiligne. Il rapetissa et cela le déstabilisa, et lorsque tous esprits retrouvèrent leurs places d'origine, Light dévoila son œuvre à sa sœur pour que celle-ci puisse en juger. Très doué avec son pouvoir, il ressemblait trait pour trait au jeune homme qu'ils venaient de capturer quelques instants plus tôt. Heureusement, l'opération s'était déroulé comme ils l'avaient espéré. Ahlan s'était retrouvés assommé et drogué le temps que les deux voleurs empruntèrent son identité durant la nuit à venir. Bien entendu, le somnifère altérait la mémoire de la victime, ce qui assurait Light et Séraphine de la réussite de leurs projets. Ne restait qu'à eux de jouer !

Ils se concertaient une dernière fois pour vérifier leurs rôles et ainsi ne pas commettre d'impair et voyant que tout était à leur place, ils se dirigeaient vers la bâtisse des Fire, en essayant de marcher d'u pas digne, le dos bien droit et le torse bombé, comme se devait de le faire un garde de ce rang. Ce soir-là, ils délaissèrent derrière eux, comme des vieux vêtements, leurs identités de paria pour prendre ceux plus prestigieux de leurs victimes.

Bien vite, ils furent devant la villa du capitaine Isabella Fire, les cartes en poches et immergés dans leurs rôles. Évidemment, ce n'était pas la première fois qu'ils élaboraient un plan aussi astucieux ; les jumeaux avaient cambriolé bien des maisons, toutefois, c'était la première fois qu'ils s'attaquaient à une famille élémentaire et c'était aussi terrifiant qu'excitant. Et dire qu'elle le faisait pour Ilyana.

Il soupira.

Avant de partir, la princesse lui avait confié une mission. Une seule. Et Light avait trouvé un moyen de le rater. Quel échec. Celui-ci avait un goût fade dans la bouche. Alors pour se racheter, il avait – avec l'aide de Séraphine – élaboré ce plan invraisemblable.

L'objet convoité, un artefact d'une très grande puissance, se trouvait dans cette grande bâtisse. Restait plus à savoir où exactement parmi les multitudes de pièces, d'escaliers et autres, et, ils se doutaient que, malgré l'aide incommensurable des cartes également chapardées, ça n'allait pas être une partie de plaisir, surtout qu'ils n'avaient qu'un essai.

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