Chapitre 18: troisième partie
Assis à une table de l'auberge, une pinte d'une boisson qu'il ne connaissait pas mais dont l'odeur qui s'en dégageait lui rappelait les bières à Irondella dans une main, la tête dans l'autre, Ihyes regardait le prince Oshida et la Princesse Ilyana qui discutait devant le bâtiment.
Il y a plusieurs heures que le garçon ailé était parti, Stephen, il s'appelait. Il était un gentil plaisantin. Il souriait à cet épisode. Lorsqu'ils avaient vu Ilyana ils s'étaient précipités vers elle, sauf Graben qui traînait des pieds. Lorsqu'ils avaient entendus qu'il avait offert l'hospitalité à leur princesse, Oshida s'était hâté de lui donner la main. Quelle fut sa surprise quand le jeune homme refusa la main tendue du prince avec une moue dégoûtée ! Il avait éclaté de rire et il lui semblait que Graben avait esquissé un sourire. La princesse voulut le rassurer en lui disant que c'était parce qu'il était sale, il rougit tellement violemment qu'Ihyes eut peur qu'il eut pris soudainement un coup de soleil.
Le garçon était resté avec eux plusieurs heures avant de partir en leur donnant la carte qui les conduisait chez des amis, selon ses dires. Ils lui avaient dit qu'ils allaient aux monts éternels et celui-ci leur avait assuré que le meilleur chemin passait sur le territoire des fées. Féeridia. La carte conduisait effectivement à Féeridia, mais ils n'avaient aucune certitude du fait que les habitants les laisseraient repartir. Ils ne connaissaient rien de ces fées mais ils avaient aussi remarqué que ce chemin était largement plus courts. Alors qu'ils devaient initialement prendre plusieurs semaines pour parvenir aux monts, ils pouvaient y arriver en quelques jours en prenant en compte leur séjour chez ces fées. Le choix avait été fait et il en serait ainsi, ils passeraient par Féeridia.
Graben s'assit à côté de lui. Ihyes était surpris, Graben était du genre associable et taciturne alors le savoir venir à côté de lui de manière autonome lui donnait du baume au cœur. Hélas c'était insuffisant pour lui, il avait besoin de bien plus qu'un baume pour la blessure béante qu'il avait au cœur. Il regardait par la fenêtre avec lui quelque instant. Ihyes se surprit à demander :
- Tu as déjà été amoureux ?
Il ne s'attendait pas vraiment à une réponse, c'était une pulsion stupide. Pourtant, il buvait une gorgée de sa boisson et ouvra la bouche puis la referma, hésitant.
- Oui ! J'avais quinze ans, un amour d'adolescent sûrement, répondit-il finalement avec un haussement d'épaule. Un ancien ami. Je ne me faisais pas d'illusion ; il était épris d'une jeune fille.
- Tu lui avais dit ? demanda Ihyes, curieux.
- Non ! Souffla-il, ses yeux rouges le fixant avec intensité. Ihyes se sentait tout petit devant la puissance de son regard.
- Non, reprit-il, cette fois-ci avec douceur. C'était un bon ami, je ne voulais pas gâcher notre amitié pour une histoire de cœur.
Une fois, alors qu'il était petit, Ihyes avait demandé à ses parents pourquoi son oncle aimait les hommes alors que tous les autres qu'il connaissait aimaient les femmes. Sa mère lui avait ébouriffé ses cheveux puis lui avait dit :
- L'amour est un sentiment qu'on ne contrôle pas. On ne choisit pas qui on aime et ce n'est pas plus mal car sinon on sera tous pareil. Le fait que ton oncle aime les hommes ou au contraire les femmes ne change en rien ce qu'il est.
- Il ne va pas changer du jour au lendemain et ne plus t'apporter de cadeau si ça qui te fait peur, avait alors dit son père en souriant.Il avait vu juste. Son oncle lui ramenait des cadeaux et il avait droit à deux fois plus de cadeau quand il venait avec un homme. Ihyes ne s'était pas questionné plus que ça alors pour savoir s'ils étaient normaux ou pas. Pour lui, ils étaient justes légèrement différents mais il aimait ça lui, les particularités. C'était pour cette raison qu'il n'était pas surpris par la découverte de la sexualité de son ami.
Celui-ci continuait de regarder par la fenêtre. Il l'imita.
- Tu avais raison, déclarait-il sans préambule. L'alcool commençait à faire ses effets. Graben tournait son beau visage vers lui. Diantre, il était incroyablement beau. Ses pupilles rubis le fixait.
- Raison ? En quoi ai-je raison ? Demanda t-il alors, pensif.
À vrai dire ils ne s'étaient pas beaucoup parlé durant leur périple et il cherchait dans sa mémoire les rares fois où ils s'étaient adressés la parole, ce qu'il avait dit pour avoir raison.
- Tu avais raison, répéta Ihyes la bouche pâteuse. Il ignorait si c'était la boisson ou autre. J'aime Ilyana ou Lyne et j'aurais aimé que tu puisses avoir tort, admit-il. Regarde-les ! Ils vont bien ensemble ? Un prince et une princesse ! Ils sont faits pour être ensemble, même un aveugle peut voir leur amour. Je n'ai aucune chance et je suis...pitoyable. Lamentable.
Graben l'écoutait en silence. Que pouvait-il dire ? Qu'il avait une chance ? Ihyes avait raison, même un aveugle pouvait voir leur amour. Et puis il connaissait Ilyana et il savait que si elle faisait quelque chose, elle se donnait entièrement. Si elle acceptait son amour pour Oshida, elle l'aimerait pour la vie et rien ni personne ne pouvait y empêcher. Il ne savait pas d'où lui venait cette certitude mais il le savait. Pitoyable ? Lamentable ?
- Tu n'es ni l'un ni l'autre, dit-il en le fixant toujours. Pour l'instant, tu as l'impression que ton cœur est brisé, broyé, littéralement pas de manière poétique comme le disent les poètes dans leurs ballades. Tu as l'impression qu'à tout moment tu vas tomber, que ton corps se déchire de touts parts. Tu as l'impression que tu ne cesses de tourner et tourner sans t'arrêter et sans tomber. Ce qui est pire d'une certaine façon car tout chute a une fin. Tu as l'impression que tu ne vas jamais te relever.
Ihyes écarquillait les yeux. C'était la première fois qu'il l'entendait parler aussi longtemps.
- Mais tu vas te relever. Tes blessures vont s'estomper, la douleur va s'en aller. Il restera peut-être un vide dans ton cœur mais qu'est cette douleur comparée à celle dont tu viens d'échapper. Le temps finira par te guérir. C'est notre pouvoir en tant qu'être humain sinon notre espèce serait décimée depuis longtemps. Et puis tu es un gaillard, ce ne sont des peines de cœur qui t'auront.
Ihyes le regardait mais il esquivait son regard. Il était sûrement gêné. Il ne s'attendait pas à ça. À vrai dire, il ne s'attendait à rien de la part de Graben en lui faisant cette confession. Il avait juste envie d'alléger son fardeau mais son discours l'avais plus que marqué. Il l'avait ébranlé, secoué tel un pommier par un agriculteur. D'une certaine façon il l'avait donné de la force et de l'espoir. Il n'en sortirait rien de bon dans son amour et Graben venait de lui assurer qu'il pouvait le surmonter.
- Vous êtes toujours amis ? Il voulait vérifier quelque chose. Je veux dire avec lui. Graben gardait toujours les yeux à l'horizon lorsqu'il soufflait.
- Non. Nous ne sommes plus amis.
Ihyes se demandait si les mots qu'il venait d'adresser lui était destinés ou au contraire était pour lui même tandis que Graben montait dans sa chambre.
Ce soir-là aucun des deux garçons ne dormaient. Ils fixaient tout les deux la pleine lune dans leurs chambres respectives. Perdu dans leurs pensées, ils fixèrent la même lune, ils eurent les mêmes espoirs et doutes, et se posèrent les mêmes questions, séparés par un mur. Arriveront-ils un jour à faire tomber ce mur et contempler ensemble la lune ?
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