CHAPITRE 14
— Salut, George.
— Salut, Lewis. À ta voix, je te dérange.
— Non, non, t’inquiète, je fais un footing.
— Tu faisais pas déjà un footing ce matin ?
— Si.
— Lewis… Doucement, sur le sport, quand même, hein ?
— Je m’occupe comme je peux. On devrait être en week-end de Grand Prix.
George soupire.
— Je sais. Mais la FIA a eu raison d’annoncer l’annulation de Spa pendant la trêve… On ne peut pas prendre le risque.
— J’ai comme l’impression qu’on prend le risque quand même.
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— Et ce week-end devrait avoir lieu le Grand Prix de Spa-Francorchamps, annulé par la FIA depuis deux semaines déjà. Les fans et certains pilotes avaient déclaré publiquement vouloir son annulation après le décès d’Esteban Ocon, survenu le 31 juillet dernier. La FIA avait posté un communiqué officiel pour confirmer qu’effectivement, toutes les conditions n’étaient pas réunies pour pouvoir organiser un Grand Prix dans la sécurité la plus totale.
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— C’est toi qui a mangé le dernier paquet de chips ?
— Non. Je mange pas de chips, moi, tu crois que c’est autorisé dans mon régime ?
— Maman ! Lando a mangé toutes les chips !
— Mais tu crois qu’on a quel âge, pour appeler maman pour régler un conflit ? Oui, j’ai mangé les chips, et alors ?
— Les deux paquets, Lando !
— Et alors ? Je suis plus pilote de Formule 1, de toute façon, je peux manger ce que je veux ! Pour finir dans une tombe, pas besoin de tenir un régime !
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— Charles ?
— Mmh ?
— Pourquoi on est là ?
Le pilote hausse les épaules, ne comprenant pas où Carlos veut en venir.
— On est parti faire nos vacances pendant la trêve, et on est revenu au QG Ferrari faire du simulateur en sachant très bien que le Grand Prix n’aurait pas lieu.
— C’est notre travail, répond Charles, et Carlos rit.
— Est-ce que c’est toujours notre travail ?
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Quand Pierre se réveille, son premier réflexe est de tâtonner autour de lui à la recherche de son téléphone. Ne le trouvant pas, il se résout avec regret à ouvrir les yeux, avant de se souvenir où il est.
Il n’est ni chez lui à Milan. Ni chez ses parents à Rouen. Il est dans un coin paumé de France, dans un centre psychiatrique.
— Yuki, appelle-t-il automatiquement, mais il n’a pas de réponse. Il est tout seul, sans son téléphone.
Il doit se lever et aller à la cafétéria pour le petit-déjeuner. Suzanne, qui l’a accueilli, a été intransigeante là-dessus. Depuis son arrivée, il y a trois semaines, il a toujours respecté ce marché. Aujourd’hui, pourtant, c’est plus difficile que d’habitude. Sortir de son lit semble être une terrible épreuve, et enfiler des vêtements lui paraît encore plus difficile. Il ne sait pas ce qu’il va se passer s’il n’y va pas. Qu’est-ce qu’ils pourraient bien lui faire de pire ? Il est déjà enfermé ici, à se retrouver devant des psys toute la journée, ne pouvant pas utiliser son téléphone d’après leurs diagnostics.
Il entend plusieurs coups à la porte, et finalement, celle-ci s’ouvre sur le visage de Suzanne, l’air réprobateur.
— Si tu ne viens pas au petit-déjeuner, Pierre, tu n’auras pas tes cachets. Je t’attends là-bas.
Elle ne lui laisse pas le temps de répondre et referme la porte.
Pierre souffle.
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— Tu crois qu’ils vont être intéressés ?
Max hausse les épaules.
— Je pense que oui. Charles tout particulièrement. Il mène déjà l’enquête un peu non-officiellement depuis des semaines… Et puis, qu’est-ce qu’ils ont d’autres à faire ?
Sergio hausse les épaules.
— Et toi ? Tu es sûr que tu veux faire ça ? Tu es sûr que tu veux te plonger à ce point dans le vif du sujet ? Je sais que certaines morts t’ont beaucoup touché.
Le Mexicain hausse les épaules.
— Je suis beaucoup touché. Je n’arrive pas à croire que… que c’est réel. Toutes ces morts. On croirait à une mauvaise blague.
Max acquiesce. Il est d’accord sur ce point-là.
— Mais je crois que je ne peux pas continuer à mettre ma vie entre parenthèses. Je suis toujours vivant. Je ne suis pas en bas du classement. Je crois qu’il faut que je profite. Et que je m’occupe. Alors, ton idée d’enquête, ça me plaît bien.
Max attrape son téléphone et appelle Charles. Celui-ci répond à la deuxième sonnerie.
— Max ? Tout va bien ?
— Hey, tout va bien, t’inquiète. Désolé, je comptais pas te faire peur.
— Non, non, c’est juste… Tu sais. Week-end de Grand Prix.
— Aux dernières nouvelles, tout est ok. Je suis avec Checo. On voulait vous proposer un truc, à Carlos et à toi… Vous êtes ensemble chez Ferrari, non ?
— Ouais. On bosse un peu… Enfin, tu vois.
Max rit.
— Je vois très bien. Je me suis réveillé ce matin en ayant marre de ces mystères. J’ai envie d’enquêter sur le ou les tueurs. Je veux découvrir qui fait ça. Sergio est partant. Et j’ai directement pensé à toi… tu es investi dans des théories depuis le début.
— Donc, tu ne penses pas que c’est la FIA ?
— J’en sais rien. Je ne dis pas que c’est eux, je ne dis pas que ce n'est pas eux. Je dis juste que je voudrais savoir, être sûr. Et c’est pour ça que je t’appelle. Est-ce que tu veux rejoindre l’équipe ?
— Je veux rejoindre l’équipe. Et Carlos à côté de moi confirme qu’il nous suit.
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— Peintre… non. Pizzaiolo… non. Plombier… non.
Daniel soupire.
— Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ma vie ? Tout ce que je voulais, c’était être pilote de Formule 1.
Il regarde sa tortue de compagnie, qui évidemment, ne répond pas.
— Et j’ai réalisé mon rêve, mais… je ne pensais pas devoir me recycler ! Les jobs banals, ça n’a pas l’air fait pour moi.
Il soupire à nouveau.
— Peut-être que je pourrais trouver un boulot avec des enfants, genre animateur. Je pense que ça, ça pourrait bien me plaire. Mais je ne sais pas vraiment m’occuper des enfants, c’est une sacrée responsabilité…
La tortue ne bouge pas.
— Je sais pas. Je suis perdu.
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— J’ai un mauvais pressentiment, Angela.
— Ne dis pas ça, Lewis. Tout ira bien.
— Mais tu sais… On est dimanche.
— Je sais. Je sais qu’on est dimanche, et je répète : tout ira bien. Tu as fait ton footing ?
— Oui, je viens juste de rentrer.
— Alors prends ta douche, ton petit-déjeuner, et détends-toi sans penser à ce qui pourrait mal se passer. Ok ?
— Ok, ok. Merci, Angela. T’es la meilleure.
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— Hey, George, tout va bien ?
Le pilote soupire.
— Lando ! Je suis trop content de t’entendre !
— T’es sûr que ça va ?
— Non, pas trop. J’ai décidé de tous vous appeler pour avoir de vos nouvelles, et tout le monde répond sauf Pierre, évidemment, dernier du classement !
— Mais George, tu te souviens que Pierre s’est fait interner pendant la trêve ? Il n’a pas accès à son téléphone.
— Ah… Oui, t’as raison ! J’avais complètement oublié. Bon, c’est pour ça, alors… ou bien ça aide encore plus le tueur parce que Pierre est isolé, sans téléphone, donc facile à tuer…
— George… Je pense qu’on entre pas dans un hôpital psychiatrique comme dans un moulin.
— Je te trouve un peu trop serein. On est dimanche de Grand Prix, Lando. Tu aurais le nom de l’hôpital ? Je vais les appeler directement.
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— Animateur de colo ! C’est ça qui me plairait ! Et même faire koh-lanta, s’exclame Daniel, soulagé d’avoir trouvé du sens à sa vie.
Son téléphone sonne au même moment, et il sourit en voyant que c’est son coéquipier qui l’appelle.
— Hey, Lando !
— Daniel, George perd les pédales.
— Bah pourquoi ?
— Il est persuadé que Pierre va mourir aujourd’hui, il est en train de passer des appels à la terre entière pour savoir s’il respire toujours ou non.
— Ah, oui, il m’a appelé aussi. Mais Pierre est interné, il n’a pas son téléphone, si ?
— Non. Mais ça l’inquiète beaucoup, justement car il ne peut pas appeler à l’aide. S’il te rappelle, s’il-te-plaît, fais en sorte de ne surtout pas aller dans son sens.
— Je suis sur le coup, pas de souci.
— Je te laisse, j’ai un double appel… de George.
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— Et du coup, la FIA aurait orchestré l’histoire de l’organisation écolo, note Max sur le tableau véléda, un point d’interrogation à la fin.
Son téléphone se met à sonner, et Sergio fronce les sourcils en remarquant que le sien sonne en même temps.
— On ne fait pas le point dans une heure avec la team Ferrari ?
— Si, si… c’est un appel de notre groupe Formule 1.
Il secoue la tête, confus, avant de répondre.
— Allô ?
— Il manque qui, demande la voix de George.
— Je suis avec Checo, annonce Max en même temps que Carlos qui dit “je suis avec Charles”.
— Tout le monde est là, confirme Lewis, qu’est-ce qui se passe ?
— Pierre est mort.
— Quoi ?! s’exclament plusieurs voix en même temps, et George continue :
— Ils l’ont retrouvé mort dans sa chambre vers midi. Apparemment, ça fait plusieurs semaines qu’ils gardent ses médicaments sous son oreiller et il aurait tout avalé.
— Un suicide, demande Lando, et Charles répond immédiatement :
— Je n’y crois pas une seule seconde.
— Il allait mal, Charles… rappelle Daniel.
— Pas un suicide, répond George, catégorique. Un des murs de sa chambre était tagué.
— Tagué ? Tagué quoi, demande Carlos.
— ”Race or die”.
Le silence suivant cette déclaration est glaçant.
— Ok, pardon pour cette théorie, mais est-ce qu’on pourrait imaginer qu’il était le tueur et qu’il a écrit ça sur le mur avant de se suicider, demande Sergio.
— ”Race or die”, ça me semble plutôt dire que justement, le tueur est toujours là, et que course ou pas… il tue le dernier du classement, explique Max.
— Alors quoi ? On reprend la Formule 1, demande Lewis, et Daniel soupire.
— C’est pas forcém…
— Moi, je veux le faire, l’interrompt Max. Je veux conduire.
— T’es pas sérieux, là, Max… souffle Lando.
— Tu parles sans avoir réfléchi avant, répond Carlos. Sous le coup de l’émotion.
— Non. Ce que je dis est très réfléchi. Je veux continuer à conduire. Vous n’êtes pas obligés de faire pareil, mais c’est ma décision et je reviendrai pas dessus.
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Sergio s’apprête à quitter le QG de Red Bull quand il entend de gros bruits sourds dans la salle “d’enquête” qu’il a choisie avec Max. En poussant la porte, il est surpris de voir le pilote en train de donner des coups-de-poing dans le tableau.
— Max, mais ça va pas, qu’est-ce que tu fais ?
— J’en peux plus de tout ça !
Sergio soupire.
— Personne n’en peut encore, Max. On est tous fatigués de perdre des coéquipiers et des amis chaque semaine. Je sais que t’as passé du temps avec Pierre et que ça doit te faire tout drôle…
— Aucun d’eux ne méritait de mourir, Sergio ! Aucun !
— On va reprendre la Formule 1 et se défendre, maintenant.
— Et après ? La Formule 1, c’est mon rêve depuis petit, c’est ma personnalité ! Je ne pensais pas que ça deviendrait un cauchemar comme ça !
Sergio soupire et prend le jeune pilote dans ses bras.
— On va continuer l’enquête et la résoudre avant notre mort. On va tout faire pour y arriver.
ILS ÉTAIENT VINGT, ILS NE SONT PLUS QUE HUIT.
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