CHAPITRE 13

— L'information vient de tomber : la FIA vient d'annoncer que le Grand Prix de Hongrie n'aurait pas lieu ce dimanche. Tout est annulé du côté de la Formule 1 : pas d'essais libres ni de qualifications non plus. L'annonce est brève et ne donne pas plus d'information, mais on peut assez facilement comprendre que les morts en série depuis le début de la saison sont la raison principale...

— Tu penses qu'on a bien fait, demande Lando en sortant du simulateur dans lequel il vient de passer plusieurs heures, et Daniel fronce les sourcils.

— Évidemment. C'est pour nos vies, qu'on fait ça.

— Tu penses que c'était vraiment l'organisation écolo ?

— Non. Et toi ?

— Mais comment la FIA pourrait nous faire ça ?

— Le spectacle, l'argent.

— Oui, enfin s'ils nous tuent tous, le spectacle n'aura duré qu'un an...

Daniel rit.

— Plein d'autres pilotes rêvent de la Formule 1. Je ne pense pas qu'il sera difficile de remplacer les défunts l'an prochain.

Lando soupire.

— C'est horrible. J'en fais des cauchemars.

— Ça va aller. On va refuser de faire tous les Grand Prix. Il n'y aura pas plus de victime.

— Tu es bien optimiste, Daniel. Tu penses que tout va redevenir normal ?

— Je crois bien que oui, Lando.

Ce dernier rit jaune.

— Tu crois qu'ils auront trouvé le tueur avant le prochain Grand Prix ?

— C'est eux-mêmes, les tueurs, Carlos. Ils vont pas aller se dénoncer à la police.

Esteban ouvre les yeux et regarde l'écran de son téléphone. Onze heures trente deux du matin. Trop tôt pour lui. Il veut encore dormir et oublier que tous ses amis en Formule 1 sont morts.

Que son coéquipier est mort.

Pourtant, il va bien devoir se lever : il est à l'affiche, ce soir, d'une émission spéciale sur Canal+. Il va pouvoir parler de cette saison complètement folle et de comment il la vit. Ou l'a vécu. Parce qu'il n'est pas sûr de pouvoir reprendre le volant d'une monoplace de sitôt, au vu des derniers événements.

Il a encore fait des cauchemars. Il n'a jamais vu les images de la voiture de Fernando qui explose, mais il se souvient très bien de celles de Romain Grosjean. Les longues images où il est pris au piège des flammes, Esteban les revoit, mais sans la partie où le pilote français sort des flammes.

— Qu'est-ce que tu regardes ?

Pierre hausse les épaules et regarde sa mère.

— Esteban a été invité sur Canal+ pour une interview. Je vais écouter ça.

Lewis regarde sa montre : il a couru 11 km en moins d'une heure. Pas mal.

Il franchit les quelques mètres qui le séparent de la porte d'entrée, sa gourde vide à la main. Dès qu'il ouvre la porte, le bruit des petites pattes de Roscoe se fait entendre, et le chien apparaît, heureux de retrouver son maître.

— Salut, toi. Je t'emmènerai au parc plus tard pour que tu puisses faire du sport, toi aussi.

Lewis soupire.

— Ces dernières années, j'ai parfois imaginé ce de quoi ça aurait l'air de prendre ma retraite. Je dis toujours que je ne suis pas là juste pour conduire une voiture... Mais quand même, je suis pas mal là pour ça. Ça me manque déjà. Mais toi, tu sais ce qu'il se passe réellement. Tu me comprends.

— Comment la décision de ne pas faire de Grand Prix a-t-elle été prise ? Avez-vous été consulté par la FIA, demande le journaliste Canal+.

Esteban sourit.

— Nous, les pilotes, en sommes à l'origine. Après... l'accident de Fernando, nous avons sans en discuter tous décidé de ne pas reprendre la course. Charles nous a envoyé un message pour qu'on se réunisse et d'une seule voix, nous avons émis le souhait de ne plus courir en Formule 1 dans ces conditions. Émettre le souhait est un peu faible... Nous n'avons en quelque sorte pas laissé d'autre choix à la FIA. Sans nous, la course ne peut pas avoir lieu.

— Comment tu te sens ?

Esteban soupire.

— C'est compliqué. Mes dernières courses ont été excellentes...

— On le rappelle pour nos téléspectateurs, sans compter évidemment le Grand Prix de France, où tous les pilotes ont DNF, carrière Esteban a terminé P1 et P2.

— Exactement. Je suis fier de ça. Je suis fier d'avoir su rebondir comme ça. La pression est terrible cette année, vous vous en doutez, bien plus que les autres années, car il y a cette règle d'élimination... qui tourne un peu au cauchemar. Il faut sans cesse se dépasser et dépasser les autres, littéralement, pour sauver sa peau. C'est très anxiogène. Et j'espère que le problème sera réglé le plus rapidement possible, parce que je ne peux pas concevoir que ma carrière en Formule 1 soit terminée. Et je sais que tous les pilotes partagent mon point de vue là-dessus.

Soudain, un bruit sourd retentit. Pierre fronce les sourcils et relève la tête de son assiette, se demandant ce qu'il a bien pu rater à l'image. Son cœur se met à battre rapidement quand il remarque que le plateau n'a plus une apparence de plateau. Il y a comme un trou à l'endroit exact où Esteban était assis quelques secondes plus tôt.

— Qu'est-ce qui vient de se passer, se demande-t-il, perdu, et soudain, l'image est coupée. Un documentaire sur la victoire en Hongrie d'Esteban Ocon est diffusé comme si de rien n'était, et Pierre reste interdit devant la télévision.

— Il y a eu un problème, dit-il comme s'il n'était pas sûr d'avoir bien compris ce qu'il venait de voir.

Il attrape immédiatement son téléphone et sans réfléchir, choisit un contact dans son téléphone.

— Max ?

— Salut, Pierre, tout va bien ?

— Non. Désolé, je ne sais pas pourquoi c'est toi que j'ai appelé, mais je... je crois que je viens de voir Esteban mourir en direct à la télé française.

— Tu quoi ?!

— George, allume les infos.

— Bonjour Toto, merci de demander si ça va !

— George. Urgent.

— Ok, ok, désolé, s'excuse le Britannique avant de mettre la BBC. Ses yeux s'ouvrent grand en voyant le grand titre.

"LE PILOTE ESTEBAN OCON ÉCRASÉ PAR UN PROJECTEUR EN DIRECT SUR UNE CHAÎNE FRANÇAISE"

— Qu'est-ce qui s'est passé ?!

— Il était avant-dernier ! C'est le classement officiel, Charles !

Le monégasque soupire avant de poursuivre :

— Il a le même nombre de points que Pierre. Ils sont théoriquement tous les deux derniers. Je suis étonné que Pierre soit toujours parmi nous.

— Mais...

— Carlos ! Ça fait des semaines que c'est comme ça ! On ne va pas remettre ça en cause à chaque mort !

— Pourquoi il est mort ?! On a annulé le Grand Prix pour éviter ça !

Charles rit.

— Parce que le tueur veut nous éliminer quoi qu'il arrive.

— Le pronostic vital du pilote est engagé... La chaîne n'a pour l'instant pas communiqué sur les récents événements, préférant passer un ancien documentaire sur la première victoire d'Esteban Ocon, en Hongrie, où aurait dû se dérouler le Grand Prix de la semaine.

Le documentaire sur Esteban prend fin, et l'image passe au noir quelques secondes avant de laisser apparaître les deux commentateurs de la chaîne. On peut voir sur leurs visages qu'ils ne vont pas bien, cependant, l'un deux tente d'esquisser un sourire avant de lancer :

— Bonjour à tous, ou rebonjour. Nous reprenons l'antenne en direct après plus d'une heure de pause soudaine. Nous nous excusons d'abord auprès de nos abonnés qui ont vu l'accident en direct. L'image a été coupée dès que possible, bien que sans explication, car ce genre d'images n'a pas lieu d'être sur nos antennes.

Il s'arrête, et son collègue reprend le flambeau :

— Sur notre plateau, de nombreuses choses sont accrochées au-dessus de nos têtes, comme c'est courant. Le projecteur attaché au-dessus d'Esteban lui est tombé dessus.

— Esteban ne devait pas être assis ici. Il devait être à ma place, mais en arrivant sur le plateau, il a demandé à pouvoir s'asseoir dans l'angle du canapé car ça lui paraissait confortable. Nous avons évidemment accepté.

— C'est avec douleur que nous sommes si transparents avec vous. L'accident s'est déroulé sur notre plateau et la chaîne en pèse les conséquences et les assumera. Nos pensées sont tournées vers Esteban et sa famille.

— Comment c'est possible, demande Sergio, et Max soupire à l'autre bout du fil.

— À ton avis ? Il était dernier du classement.

— Mais non... ça n'a pas de lien... c'est la chaîne, ils ont mal fixé leurs projecteurs...

— Pile celui au-dessus d'Esteban ? Pile le jour où il aurait dû mourir s'il y avait eu un Grand Prix ? Je sais que ça va pas trop en ce moment pour toi, Sergio, que tout ça t'angoisse énormément, mais... je crois qu'il faut voir la vérité en face. Ils sont après nous, Grand Prix ou pas. Peu importe qui est "ils".

— Pierre ?

— Ça va pas du tout, Yuki.

— Je sais, Pierre...

— Alors on va tous mourir ?

— Je crois que oui, Pierre. Course ou pas, le tueur est après tout le monde.

— Bonsoir à tous et bienvenue pour le journal de 20 h. Première information, nous venons à l'instant d'apprendre le décès du pilote français Esteban Ocon. Celui-ci était entre la vie et la mort depuis son passage sur Canal+ cet après-midi, où un projecteur lui est tombé dessus. Le pilote n'avait que 26 ans, et avait deux victoires en Formule 1 à son actif : en Hongrie, le 1er août 2021, et à Silverstone, le 3 juillet 2023, il y a quelques semaines.

ILS ÉTAIENT VINGT, ILS NE SONT PLUS QUE NEUF.

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