CHAPITRE 1

NOVEMBRE 2022.

— Mais qu'est-ce qu'on fait ici ?

C'est la première fois que quelqu'un exprime cette question à haute voix. Pourtant, tout le monde se la pose : les vingt pilotes de Formule 1 ont eu pour ordre de se présenter dans la cold room utilisée la veille, juste avant le tout dernier podium de la saison. Certains ont dû décaler leur départ, notamment Charles Leclerc, le champion du monde, qui avait prévu de rentrer rapidement à Monaco pour des célébrations. À la place, il se retrouve dans une salle trop petite pour accueillir autant de monde, avec pour seule autre compagnie un écran de télévision noir.

— Tout le monde a reçu le même message, demande Lando Norris, mais c'est plutôt une question rhétorique pour alimenter la conversation. Tous les pilotes hochent la tête en même temps.

— Comme si on avait que ça à faire, marmonne Pierre Gasly.

Plusieurs pilotes soupirent, certains décident de s'asseoir par terre, d'autres restent debout les bras croisés. La porte s'ouvre, et Mohammed Ben Sulayem, le président de la FIA, entre dans la salle. Esteban Ocon se fait la réflexion qu'il n'a pas l'air dans son état normal : il se tamponne le front avec un mouchoir en papier en boule afin d'enlever la transpiration qui coule sur son visage.

— Chers pilotes, bonjour. Je m'excuse pour le retard, ces dernières journées ont été...

Il semble chercher un mot pour clôturer sa phrase avant de secouer la tête. Max Verstappen ne peut qu'être d'accord avec lui : il n'y a pas de mot pour définir ce dernier week-end de la saison.

— Je sais que certains ont dû adapter leurs emplois du temps pour être là aujourd'hui, et je vous en remercie. Ce que j'ai à vous annoncer ne peut pas être dit par téléphone. J'avais besoin de vous avoir avec moi, pour vous en parler personnellement, et à tous en même temps.

Plusieurs visages affichent un air de panique, mais personne n'ose dire quoi que ce soit.

— Vous le savez, à la FIA, nous sommes nombreux à travailler pour le bien-être de la Formule 1. Tous nos choix sont réfléchis longuement, par toute l'équipe, avant de vous être annoncés. Ces dernières années, il y a eu des changements de réglementation importants, et je tiens à vous remercier tout particulièrement pour l'accueil que vous leur avez réservé. Il ne faut pas voir tout ça comme une manière de changer la Formule 1, de ne plus respecter l'essence et les traditions du sport, mais comme une façon d'évoluer, de rester dans l'air du temps.

Il soupire.

— Je ne vous apprends rien, ces dernières années, la Formule 1 a perdu de son caractère. Tout le monde aura son hypothèse pour l'expliquer. L'arrivée de la série Drive To Survive a aidé à relancer le sport, certaines personnes ont commencé à s'intéresser à la Formule 1 grâce à cela. Cependant, ce n'est pas assez.

Il soupire une nouvelle fois.

— La Formule 1 est un sport qui coûte énormément d'argent, et les recettes ne s'améliorent pas. Malgré DTS. Malgré les courses sprint. Alors nous avons pensé à quelque chose de complètement inédit. Vingt-deux courses. Les deux premières sont des courses comme celles que vous connaissez, avec l'ajout d'une nouveauté : chaque place dans le classement apporte des points allant de 20 à 1. A partir de la troisième course, nous entrons dans un mode éliminatoire. Le dernier du classement est éliminé.

Mohammed Ben Sulayem s'arrête, et timidement, Sebastian Vettel lève la main.

— Oui ?

— Par éliminé... qu'est-ce que vous voulez dire ?

— Eliminé. Jusqu'à la saison suivante.

Cette fois-ci, personne ne lève la main : les réactions fusent dans la salle. Tout le monde est choqué et le fait savoir.

— Messieurs, messieurs... Je sais que cette annonce vous surprend, mais comme je l'ai dit précédemment, il faut la voir comme une chose positive, qui va relancer pour de bon la compétition et l'intérêt porté pour le sport. Tout le monde voudra être devant sa télé pour le Grand Prix. Il ne sera plus simplement question de passer la ligne d'arrivée, de drapeaux jaunes et de drapeaux rouges, mais bel et bien d'être plus que jamais le meilleur.

— Alors quelqu'un ne fera que trois courses, et aura terminé sa saison dès le mois de mars ? Ce n'est pas très juste de travailler si dur sur la voiture pour cela, remarque Lewis Hamilton, et Carlos Sainz renchérit :

— Qu'en est-il du championnat constructeur ?

— Il aura toujours lieu, cela ne change rien, confirme Mohammed Ben Sulayem, et Fernando Alonso rit.

— Ça va tout changer. Et quelle sera la règle quand on finit dans le mur à cause d'un coéquipier ? Saison finie pour nous ?

— Il y aura un communiqué de presse qui sortira d'ici quelques jours avec toutes les réponses à vos questions et bien plus encore. J'enchaîne avec une réunion avec vos directeurs d'écuries, je ne peux pas y répondre en personne, je vous demande de m'en excuser. Mais je vous demande de prendre le temps de réfléchir à tout cela. Ce serait une année test, simplement pour voir si cela pourrait être envisageable sur le long terme ou pas. Si l'année suivante, nous revenons au format normal, je m'engage à ce que chacun d'entre vous garde son baquet.

Le visage de Guanyu Zhou s'illumine.

— Bonne soirée, messieurs, et profitez bien de vos vacances.

Et sur ces mots, Mohammed Ben Sulayem disparaît.

Les vingt pilotes restent silencieux, tous dans leurs pensées. Chacun se fait son avis de cette nouvelle inattendue, et personne n'ose l'exprimer oralement. Toujours sans parler, ils sortent un à un de la salle, et chacun rejoint son écurie.

Comme s'ils ne venaient pas d'apprendre la nouvelle la plus importante de leur carrière.

MARS 2023.

Daniel est content de fouler le paddock pour la première fois de la saison. Son grand sourire ne quitte plus ses lèvres, et quand il voit Esteban au loin, il se dépêche d'aller le rejoindre.

— Tu es de retour, dit-il, et Esteban hausse un sourcil.

— Quoi, tu croyais que je n'allais pas revenir ? On s'est vus aux essais hivernaux.

— Je sais. Mais... Daniel soupire. Aux essais hivernaux, tout semblait être comme avant. Je n'étais pas sûr que tout le monde accepterait de revenir pour vivre cette saison inédite.

— Tout le monde est là, Esteban acquiesce, et il cherche les autres pilotes du regard sur le paddock. Il voit Charles qui discute avec Lando, Alex et George. Un peu plus loin, Carlos s'approche du groupe, et Lando se détache pour lui parler. De l'autre côté, Lewis et Sebastian rient. Fernando et Sergio sont en plein échange, assis sur les marches du paddock Red Bull.

— Salut, s'exclame quelqu'un, et Esteban quitte ses pensées. Il sourit en voyant Mick.

— Salut, Mick. Content d'être de retour ?

— Un peu anxieux, avoue-t-il en plissant le nez. Mes performances laissent penser que je ne vais pas beaucoup conduire cette année.

— Eh, ne partons pas défaitiste. Tout peut arriver. Un DNF, ça peut arriver même aux meilleurs.

— Et finalement, c'était un été normal. Une fois la fête finie, j'avais gagné le championnat, mais j'étais toujours Charles.

Pierre rit en entendant la phrase que son ami a adressée à Alex et George. Il se dirige vers eux pour les rejoindre et se remettre dans l'atmosphère des Grand Prix. C'est à ce moment-là que quelqu'un lui écrase le pied.

— Eh, fais attention, s'exclame-t-il, et il soupire en voyant Esteban. Tu peux pas regarder où tu vas ?

— Désolé, je t'avais pas vu.

— Cette blague fonctionne avec Yuki, moi, je suis l'autre pilote, rétorque-t-il, et Esteban lève les yeux au ciel avant de s'éloigner.

Quand il reprend sa route, le petit groupe s'est dissous : George est avec Nicholas, Alex avec Zhou, et Charles est en grande discussion avec Max. Pierre soupire. Il les a ratés.

— Qu'est-ce que tu en penses, toi, demande Lewis, et Sebastian soupire.

— J'ai l'impression que ce n'est plus un sport, mais un show.

— Lewis ne peut pas comprendre, il va tenir longtemps, lance Valtteri, et le Britannique rit.

— Pas sûr. Je n'ai plus gagné le championnat depuis deux ans, vous savez.

— On verra bien, Sebastian déclare, mais je ne suis pas convaincu. Et vous ?

Lewis hausse les épaules.

— Ça peut être drôle.

— Au moins, on sera toujours là l'an prochain, sourit Valtteri.

ILS ÉTAIENT VINGT.


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