C'est de ma faute. Cette fois c'est de ma faute. C'est de la faute du hasard. Mais c'est quand-même de ma faute. Parce que c'était moi qui ait décidé de laisser le hasard choisir. Alors c'est de ma faute. C'est de ma faute si j'avais loupé mes examens. Je viens d'avoir les résultats, et je réalise que depuis trois ans je fais n'importe quoi.

C'était aussi à cause de cette fille devant moi à la caisse du supermarché il y a trois ans. Je l'entendais parler avec une de ses amies au téléphone, et elle a dit quelque chose qui m'a marquée. Elle a dit qu'on s'angoisse pour rien à penser qu'il y a toujours un bon choix et un mauvais. Elle a dit que quoi qu'on choisisse, on peut ensuite trouver le moyen de faire en sorte que ce soit un bon choix. Elle a dit que quand on hésite, c'est parce qu'aucun des choix possibles n'est mauvais. Elle a dit qu'on pourrait aussi bien tout choisir au hasard, que ce n'était pas important.

Alors c'est ce que j'ai fait. J'ai choisi au hasard. J'ai commencé à lancer des pièces. Ça m'a fait du bien. J'arrêtais de me prendre la tête pour tout et n'importe quoi. Je lançais une pièce et la pièce choisissait pour moi. Si les choses tournaient mal, je pouvais blâmer la pièce, ce n'était pas vraiment de ma faute à moi. Mais les choses ne tournaient jamais mal. Quand elles tournaient mal, je réalisais qu'elles auraient tout aussi bien pu mal tourner si j'avais fait l'autre choix. Je n'aurais pas pu prévoir les conséquences de toute façon.

Sauf que parfois, on peut. Parfois on peut prévoir les conséquences. Et quand on peut, c'est vraiment stupide de laisser le hasard choisir à notre place ! Au fond de moi je le savais que ce n'était pas une bonne idée. D'habitude, je lance des pièces pour des choix sans importance. Les pièces m'ont fait du bien, justement parce qu'elles m'ont permis de réaliser que la plupart de mes choix n'ont pas tant d'importance que ça. Ils en ont bien sûr. Chaque choix, aussi petit soit-il, change complètement ma vie d'une façon que je ne peux pas prévoir. Mais peu importe, justement parce que je ne peux pas prévoir. Je ne peux pas savoir si ma vie aurait été mieux ou pire autrement, alors ça ne sert à rien de se poser la question. Ce qui compte c'est de faire au mieux avec ma vie telle qu'elle est maintenant.

Je n'avais rien compris. Les choix sont importants. Bien sûr qu'ils le sont ! La plupart du temps, les conséquences on peut les prévoir. J'avais étendu trop loin un concept qui n'était valable que dans certaines situations. Si je ne pouvais pas trancher moi, je pouvais lancer une pièce. Mais la plupart du temps, j'aurais pu trancher moi. Bien sûr que j'aurais pu prévoir, j'aurais pu savoir, que faire l'impasse sur un chapitre du programme n'est jamais une bonne idée. Mais j'étais fatiguée. J'étais fatiguée de réviser, j'avais envie de sortir m'amuser. Alors, pour ne pas culpabiliser, j'ai laissé la pièce choisir à ma place. Elle est tombée sur face, alors j'ai fait l'impasse sur le dernier chapitre du programme plutôt que sur l'avant dernier. Bien sûr, c'est celui qui est tombé à l'examen.

Et maintenant que je viens d'avoir les résultats, et que j'ai confirmation que mon improvisation sur le sujet n'a pas suffi à m'empêcher d'échouer. Je dois assumer. Maintenant je dois admettre que c'était de ma faute. Bien sûr que ce n'était pas la faute de la pièce. Vu que j'aurais pu prévoir. Sauf que se blâmer une fois qu'un choix est fait, ça ne sert à rien. On peut juste faire au mieux à partir de ce qu'on a. Alors je vais redoubler, et retenir la leçon. Je ne ferais plus jamais l'impasse sur aucun chapitre, et j'arrêterais de lancer cette fichue pièce quand je ferais mieux de prendre des décisions moi-même.

La poisse quand-même. J'avais plus de chances de tomber sur un des dix autres chapitres que sur celui-ci. Mais c'est comme ça. C'est comme ça et c'est trop tard je ne peux plus rien y faire. C'était le hasard. Mais c'était quand-même de ma faute, au moins en partie. C'était l'alliance des deux. Tant pis. Ça ne sert plus à rien d'y repenser maintenant. Mais quand-même, des fois je me demande si le hasard n'a pas une volonté. Il voulait me punir non ? Ou bien, le hasard est hasardeux. Mais s'il est hasardeux, il devrait se compenser. S'il est hasardeux, si je fais plein de décisions au hasard j'aurais moitié de chance et moitié de malchance. Je crois bien que les règles des statistiques veulent ça, d'une certaine manière. Et je ne crois pas que le hasard ait une volonté. Alors je suis allé acheter un ticket de loto. Histoire de donner au hasard l'occasion de se compenser d'une jolie façon. Je sais bien que ça ne marche pas comme ça. Mais je ne peux pas m'empêcher d'y croire.

Alors j'ai acheté un ticket de loto. Je ne sais pas encore s'il est gagnant. Mais en sortant mon ticket à la main, je me suis pris une crotte de pigeon sur la tête ! Franchement, je crois que j'ai la poisse. Peut-être que le hasard s'acharne contre moi. Ou peut-être que je vais gagner au loto.