Amandine - Vendredi 21 Juillet 2017
Je crois que ça va aller. Je n'ai pas pleuré aujourd'hui. Je n'ai pas souffert. Pas trop souffert. J'ai souri. Et j'ai ri. J'ai chanté. Et j'ai dansé. J'ai vécu. Et j'ai aimé. J'ai aimé ma journée. J'ai aimé les enfants. J'ai aimé ce que je faisais. Et j'ai aimé Armando ; encore un peu trop. Mais je crois que ça va aller.
On va être séparés. C'est fini. On est déjà séparés. Puis ce n'est pas comme si on n'avait jamais été autre chose que séparés. Séparés par le hasard de la vie. Mais maintenant je ne le verrai plus. Sauf sur Instagram. Il publie des photos de ses peintures. Des trucs vraiment magnifiques. Je suis sûre que je sourirai en voyant chacune de ses publications. Je suis sûre que je ne pleurerai pas. Je sourirai. Pas seulement parce que ses peintures sont magnifiques et pleines de joie. Mais juste parce qu'Armando existe. Je sourirai en pensant à lui. Je sourirai chaque fois que quelqu'un mentionnera son jeu vidéo préféré ou son auteur favori. Je sourirai chaque fois que je mangerai ou verrai des amandes. Je sourirai quand je verrai des crayons mâchouillés. Et je sourirai à un million de petites choses qui me rappelleront Armando. Je sais que ce sera le cas. Je ne pleurerais pas. Je sourirai. Je me souviendrais de lui et je sourirai.
Comment on peut à la fois avoir envie de pleurer et envie de sourire ? Je ne sais pas. Je sais juste que c'est le cas. Parce que malgré tout j'arrive à voir de la beauté dans tout ça. Malgré tout j'aime l'idée qu'on aurait pu être heureux lui et moi, dans une autre version de la réalité. J'aime que ce soit le cas. Je trouve ça plus beau que l'inverse. Moins triste que si j'avais dû penser que c'était juste encore un gars pas compatible avec moi. Je suis heureuse qu'il existe. Je suis heureuse de l'avoir rencontré. Et je suis heureuse qu'il ait vu lui aussi, à quel point on était compatibles. Je vois de la beauté dans tout ça. Je vois déjà un petit miracle dans tout ça. Même si ce n'était pas assez. C'était déjà ça. C'était déjà quelque chose de beau. C'était déjà plus que ce que j'ai l'habitude d'avoir. Plus que rien. Plus que le vide. Peut-être que je suis juste en train d'essayer de me convaincre moi-même. Essayer de me répéter ses choses là pour sourire au lieu de pleurer. Pour ne pas m'effondrer. Mais je crois que ça fonctionne. J'ai l'impression que ça fonctionne. Je souris pour de vrai. Et je crois que je continuerai de sourire.
Je ne peux pas m'effondrer. Je ne peux pas passer ma vie à pleurer. Je ne peux même pas passer une semaine à pleurer. J'ai mieux à faire. Je crois. En tant qu'être humain. Je crois qu'on a le devoir de poursuivre le bonheur. Le devoir de tirer le meilleur parti possible de la vie. Le devoir de chercher à s'épanouir. Je crois que notre premier devoir est envers nous-même. Ce devoir qui justifie que j'ai quitté Marc. Parce qu'une vie avec lui ne m'aurait pas satisfaite. Parce que j'avais le devoir de rechercher plus dans la vie. Ouais, notre premier devoir il es envers nous-même. Sauf que ça n'aurait pas justifié qu'Armando quitte Éline, ce devoir là. Vu qu'ils sont heureux ensemble. Vu qu'ils s'épanouissent ensemble. Il l'aurait quittée pour moi. Et ça n'aurait pas été justifiable. Pas à mes yeux. Et pas aux siens non plus apparemment. Parce qu'on n'a pas seulement un devoir envers nous-mêmes. Je crois que c'est le premier. Mais quand il n'entre pas en ligne de compte, quand on n'est pas en train de se trahir soi-même, on se doit de prendre en compte les autres. Et d'ailleurs, je crois que prendre en compte notre devoir envers les autres, ça fait aussi partie du devoirs envers nous-mêmes.
Je suis heureuse. Aujourd'hui. Là. Maintenant. Tout de suite. Je suis heureuse. Malgré tout. Parce que je suis heureuse de qui je suis. Je suis heureuse d'être moi. Je suis heureuse d'avoir vécu ça. Je crois que notre devoir envers nous-mêmes, c'est d'être le type d'humains qu'on aimerait voir peupler la terre. Et je crois que j'ai agi comme il faut. Je crois qu'on a agi comme il faut. Je crois que j'ai agi conformément à ma conception de l'humanité. Peut-être que c'est assez. Peut-être que c'est plus important que le reste. Peut-être que c'est plus important que tout.
Le truc, c'est que je sais qu'on n'a pas une seule âme-sœur. Je sais que les humains formidables il y en a par milliers. Je sais qu'on serait potentiellement capables d'aimer plusieurs personnes. Pourquoi on s'interdit de le faire ? Pourquoi on a créé l'amour tel qu'il est ? Pourquoi on a créé la fidélité ? Mais je crois que je comprends. Je comprends, parce que j'aime me sentir spéciale. Je comprends, parce que moi aussi je voudrais qu'un jour quelqu'un me regarde comme si j'étais la personne la plus spéciale du monde. La seule qui compte à ce point à ses yeux ; la seule dont il voit à ce point l'humanité pleine et entière. Je voudrais être aimée de cette manière. Celui que j'aimerais, je ne voudrais pas qu'il remarque combien il y a de personnes sur cette terre qui sont aussi spéciales que moi. Même si c'est le cas. Je ne voudrais pas qu'il remarque combien de personnes auraient été aussi parfaitement compatibles avec lui que moi. Probablement que c'est égoïste. Mais voilà, c'est ce que je ressens. Je serais jalouse.
Je ne voudrais pas qu'il ait conscience de ce dont j'ai conscience. Même si je crois qu'on se doit de rechercher la vérité. Peut-être qu'on n'aurait pas le droit de chercher à décortiquer chaque humain qu'on rencontre à ce point là. Pas le droit de chercher trop trop fort à voir à quel point ils sont spéciaux. On en a le devoir pourtant. Mais on n'aurait pas le droit d'aller trop loin. Pas le droit de tous les aimer. On ne pourrait pas, de toute manière. On n'aurait pas assez d'espace mental. Et pas assez de force mentale pour supporter tous leurs soucis. On ne pourrait pas se préoccuper à ce point de tout le monde. Et je serais jalouse moi. Je ne pourrais pas m'empêcher de me comparer aux autres, même si ça n'a pas de sens de comparer des êtres humains. Je voudrais quand même être sa préférée, à celui que j'aimerais.
Alors ouais, je suis heureuse que la fidélité existe. Je suis heureuse que les relations soient exclusives. Je ne peux pas vouloir autre chose que ça. Si certains s'en sentent capables, tant mieux pour eux ; tant que tous ceux impliqués sont d'accord. Mais pas moi. Moi je voudrais être spéciale. Alors si j'étais Éline et que mon Armando rencontrait une Amandine, je ne voudrais pas qu'ils se rapprochent au point qu'il en tombe amoureux. Parce que, oui, il pourrait. Et comme Armando et Éline ils avaient convenu de s'engager dans une relation, exclusive, alors je me devais de rester éloignée. Pour permettre de créer une humanité dans laquelle ce type de relation peut exister. Une humanité capable d'être fidèle. Une humanité capable de choisir d'aimer une personne, et de tenir ses promesses. Je veux de cette humanité là moi. Pour moi. Et pour les autres. Alors j'ai fait ce que je devais. Je n'ai rien fait. J'ai laissé Armando partir. Je n'ai pas essayé de le retenir.
Mais ne rien faire, ce n'est pas assez. Éviter les tâches sur la conscience, ce n'est pas assez. Je me dois aussi de rechercher mon propre bonheur. Alors je vais le faire. Je vais m'épanouir. Par tous les moyens possibles. Je vais m'investir dans des projets. Je vais être aussi humaine que possible. Je vais aimer autant de choses que possibles. Et je vais m'aimer moi. Puis je vais aimer des gens aussi. Amicalement déjà. Ensuite on verra. Si l'envie me prend. Si la chance est au rendez-vous. Je crois que ça va aller. Je suis allé parler à la directrice de la colo ce matin. Je lui ai demandé si elle cherchait du monde dans son équipe. Et c'est le cas ! Je vais passer l'année à travailler avec elle. On va concevoir des projets de colo avec des objectifs pédagogiques magnifiques. On va organiser des voyages. Et on verra bien ce que je ferai après. Ça ou autre chose. J'ai tout plein d'idées de jeux que j'aimerais développer et commercialiser. J'ai des envies de projets par milliers. Je vais passer le mois prochain à animer des stages de théâtre dans ma ville. Je suis heureuse. Je crois que je suis heureuse. Probablement que je pourrais l'être encore un peu plus. Mais je crois que ça va aller. Et puis, j'ai toute la vie devant moi. On verra bien ce que j'y trouverais. Mais je vais aller chercher du bonheur. Hors de question que je reste là à pleurer. Je n'ai pas le droit. Pas le droit de me faire ça à moi.
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