Maintenant je sais. Je sais qu'on aurait pu être heureux Armando et moi. Et on sera heureux. Heureux séparément. Mais on aurait pu être heureux ensemble. Je le sais. Il le sait. Et peut-être que ça fait juste mal de savoir. Peut-être qu'on se serait mieux portés si on n'avait jamais su. Mais je le sais. Et je suis contente de le savoir. C'est quand même beau en un sens. Je crois que je suis contente.

C'est horrible non ? Il y a une part de moi qui est contente. Contente de voir qu'il partage mes sentiments. Pas tout a fait. Parce qu'il ne peut pas. Mais au moins un peu. Contente de savoir qu'il a perçu quelque chose en moi. Contente de savoir que lui aussi il sait qu'on aurait pu être heureux ensemble. Même si on ne le sera pas. Jamais. C'est quand même beau de savoir que ça aurait pu être. On se contente de ce qu'on a. Je me contenterais de cette beauté théorique. Je ne peux pas avoir autre chose de toute façon.

Enfin si, je pourrais. J'aurais pu, je suppose. Il y a toujours un moyen. Mais est-ce qu'on est prêt à en payer le prix ? Tout est toujours une question de choix. Sauf ce qui est une question du choix des autres, ou de choix passés. Mais oui, on a toujours le choix. Au moins en partie. Et je crois que lui et moi, en fait on avait le choix. On est des êtres libres après tout. Ouais, on aurait pu être ensemble. Pas seulement dans un autre univers. Aussi dans celui là. Si c'était ce qu'on avait choisi. Mais je suis contente de voir qu'il n'a pas fait ce choix là. Parce que s'il l'avait fait, il n'aurait pas été un Armando que j'aurais pu aimer. Je ne sais pas. Je ne crois pas. Et moi, si j'avais fait un autre choix, je n'aurais pas pu m'aimer non plus. Je ne sais pas. Je ne crois pas.

Il y a toujours un moyen. Il y aurait eu moyen d'être ensemble. Mais on ne voulait pas en payer le prix. Parce que ce prix là, honnêtement, je le trouvais plus cher que la valeur de l'amour qu'on aurait pu avoir. Pourtant, cet amour il aurait eu une valeur infinie. Mais jamais aussi infinie que la valeur de nos consciences, de notre sens de l'identité, et de leur amour à tous les deux. Je n'aurais pas pu m'aimer si j'avais été cette fille là. Je n'aurais pas pu aimer Armando s'il avait été ce gars là. J'aurais peut-être pu. Ouais, je l'aurais probablement aimé quand même. Même s'il m'avait choisie moi. Il y a toujours un moyen. On aurait pu être ensemble. Mais est-ce qu'on aurait pu être heureux ensemble ? Est-ce qu'on aurait pu être heureux en ayant fait une chose pareille ? Est-ce qu'on aurait été heureux de qui on serait devenus ?

En vérité on aurait probablement pu être heureux ensemble. Même dans cet univers là. Même malgré ça. En vérité je ne crois pas que ma conscience m'aurait rongée. Parce que ce n'était pas mon choix à moi. Ce n'était pas ma responsabilité à moi. Armando c'est un être libre. Il pouvait faire le choix qu'il voulait. Ça aurait été sa responsabilité à lui. Pas la mienne. Je ne crois pas que je me serais sentie coupable. J'aurais juste été un élément d'une chaîne de causalité. Mais ce n'était pas ma responsabilité. Je n'avais pas pris d'engagement, moi. J'aurais eu le droit d'être avec Armando, si c'était ce qu'il avait voulu. Ça n'aurait pas été de ma faute. Ça aurait été de sa faute à lui. Ça m'aurait vraiment embêtée d'avoir joué un rôle dans tout ça. Ça m'aurait vraiment embêtée d'être un maillon dans la chaîne de causalité qui aurait tant nuit à cette Éline. Mais son bonheur à elle, ce n'est pas ma responsabilité à moi. C'est sa responsabilité à elle. Et la responsabilité d'Armando. Ça n'aurait pas été de ma faute.

Mais je suis vraiment contente qu'Armando il ait fait le choix qu'il a fait. Même si ça me nuit à moi. Je suis contente pour Éline. Et je suis contente pour Armando. Je suis contente de voir qu'il est ce genre de gars. Je suis contente de voir que j'ai eu raison de l'aimer. Même si j'avais tort de l'aimer. Sauf que je ne pouvais pas savoir. Je ne pouvais pas savoir qu'Éline existait. Mais je savais qu'Armando, ce n'est pas le genre de gars qui laisse tomber sa copine quand une autre fille entre dans le tableau. Je savais qu'Armando, c'est un gars capable d'aimer vraiment. Je ne sais pas comment je le savais. Je le pressentais. Ça se dégage de lui, d'une façon ou d'une autre.

Maintenant je sais. Je sais qu'on aurait pu être heureux ensemble lui et moi. Parce qu'il me l'a dit. Je passais devant la porte de notre dortoir, quand j'ai senti des doigts attraper mon poignet et me tirer à l'intérieur. Je me suis retrouvée avec mon dos contre le mur et Armando en face de moi. Il m'a regardée dans les yeux. Il a passé une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Puis il s'est reculé d'un pas. Il s'est excusé. Il a dit qu'il était désolé mais qu'il avait besoin de me parler, et qu'il y avait toujours du monde, qu'il n'avait pas trouvé d'autre moyen de se trouver seul avec moi. Je lui ai dit que tout allait bien, et que je voulais savoir ce qu'il devait me dire, mais seulement à condition que ce soit honnête.

Alors il a dit ça : « J'aurais pu t'aimer Amandine. Si on s'était rencontrés à un autre moment. Si je ne l'aimais pas déjà elle. Mais je l'aime. Elle. J'aurais pu t'aimer ; je le sais. T'aimer pour de vrai, pour tout ce que tu es. J'aurais pu. Et peut-être que je me sens toujours top dangereusement près de t'aimer. Parce que ce serait tellement facile. Parce que tu le mérites tellement. Parce que ce serait tellement bien. J'aimerais ne pas le savoir ; mais je le sais. Ça me tue d'en avoir conscience à ce point. J'aurais pu, promis, c'est juste la vérité. Mais je l'aime elle. Éline. Je l'aime vraiment. Parce qu'on a construit quelque chose, et que c'est ça qui rend l'amour vraiment réel. Alors je ne peux pas t'aimer. Et ça me fait mal de savoir que je te fais du mal. Que je suis là en train de te refuser ce bonheur que je sais possible. Tu mérites tellement d'être aimée ! Et je voudrais tellement pouvoir t'offrir ça. Mais je ne peux pas. Je voulais juste que tu le saches. Je crois que tu mérites de savoir. Mais c'est elle que j'aime. Et ce sera toujours comme ça. Ça aussi tu mérites de le savoir. Tu mérites la vérité Amandine. Toute la vérité. Aussi triste qu'elle soit. Je suis vraiment désolé. »

Il a passé une autre mèche de mes cheveux derrière mon autre oreille. Il m'a encore regardée et ses yeux étaient plein de sérieux et d'intensité. J'avais une envie folle de me jeter sur ses lèvres. Mais je l'ai pas fait. Je n'avais pas le droit.

Peut-être que ce n'est pas triste après tout. Peut-être que ce n'est pas triste. Je crois qu'au fond ce n'est pas triste. Je crois que je suis contente d'avoir vécu tout ça. Je suis moins contente que dans l'univers où on aurait été heureux ensemble lui et moi, mais je suis plus contente que dans un autre univers où il ne m'aurait même pas remarquée. Peut-être que c'est égoïste. Je suis plus contente que dans un univers où je n'aurais pas du tout rencontré Armando. Peut-être que c'est bizarre. Probablement que n'importe qui trouverait ça bizarre. Mais je suis juste contente qu'il existe. Je suis contente de savoir qu'il existe des Armandos dans l'univers.

Bon sang elle a de la chance cette Éline ! Moins que dans un univers où moi je n'aurais pas existé, ou pas croisé le chemin de son Armando. Mais bon sang qu'est-ce qu'elle a de la chance ! J'espère qu'elle le réalise. Je suis contente de savoir qu'Armando existe. Et, égoïstement, je suis contente de savoir qu'on aurait pu être heureux ensemble lui et moi et que si on l'est pas c'est juste à cause du chaos. Je suis contente de savoir que des Armandos peuvent aimer des Amandines. Ou auraient pu. Je crois que ça me donne espoir dans l'avenir. Pour le jour où un autre Armando croisera mon chemin. En espérant que je sois plus chanceuse ce jour là.

Peut-être que ce n'est pas triste après tout. Même si j'ai passé la nuit à pleurer en enlaçant mon oreiller.