Chapitre V
Connaissez-vous cette sensation que vous avez avant un rendez-vous ? Cette étrange excitation accompagnée d'une pointe amer de stress et d'anxiété ? C'est exactement ce que je ressens maintenant, peut-être même en dix fois pire parce que : de 1. ce soir, je vais sortir avec un presque inconnu et de 2. mon premier rendez-vous galant m'a terrorisée. Sans blague ! La fille avec qui je suis sortie ce soir-là avait oublié de réserver au restaurant dans lequel on devait se rendre et, parce qu'il était déjà trop tard, nous avons été forcées de rentrer manger chez elle... avec ses parents ! Parents qui, évidemment, ne savaient pas que leur très chère fille aimait AUSSI les femmes... Résultat ? J'ai dû me faire passer pour une copine et faire semblant d'être intéressée par son frère (les parents n'arrêtaient pas de faire des allusions). Chouette soirée !
Enfin bref, revenons à mon rendez-vous de ce soir. Charles est censé me retrouver au cinéma où nous choisirons notre film. Vous allez me dire : mais pourquoi tu flippes Violette ? Pourquoi je flippe ? POURQUOI JE FLIPPE ? Je flippe parce que je suis totalement capable de ne jamais retrouver Charles au cinéma (j'ai un très mauvais sens de l'orientation), parce que le film pourrait être un navet romantique et, dans ce cas-là, je devrais respecter le cliché du rendez-vous au cinéma (quand les acteurs s'embrassent, les amants le font eux aussi) et enfin car je risque de faire une overdose de pop-corn ce qui me conduirait à me contenter d'une salade lors du dîner au restaurant après le cinéma.
« Violette ! Ton taxi est en bas ! » C'est Joshua qui hurle depuis le salon. Je finis d'enfiler mes chaussures et arrive en quatrième vitesse sur le seuil de la porte d'entrée. Je dépose un bisou sur la joue de mon colocataire et cours dans les escaliers avant de m'engouffrer dans le taxi m'emmenant au cinéma.
Je réussie à rejoindre Charles (non sans peine, j'ai mis un quart d'heure à trouver notre point de rencontre). Il est vraiment bien habillé comparé à moi, je me sens stupide... Je porte seulement un t-shirt uni, un jean et des baskets alors qu'il a mis une chemise et un pantalon noir...et une cravate ! « Bonsoir Violette, comment vas-tu ? » Je souris et l'enlace pour le saluer : « Je vais très bien et toi ? » « Nickel. Tu as regardé les films à l'affiche ? Je te laisse choisir. » « Je n'ai pas encore regardé non. »
Nous nous échangeons des banalités puis consultons le catalogue du cinéma. Charles et moi nous mettons d'accord (même si je devais choisir seule) sur le film : Sur le canapé. C'est une comédie. D'autres films m'intéressaient d'avantage mais je préfère voir celui-ci car : - Lors d'une comédie, mon rendez-vous ne peut pas essayer de m'attraper la main amoureusement comme il le ferait dans Coup de foudre à Nothing Hill
Une des actrices du films est une des meilleurs d'Hollywood (et en plus, elle est presque aussi sexy que Charles)
Le film n'a pas l'air si mal que ça au final. Je pourrais affirmer sans trop mentir à la fin de la séance que j'ai aimé.
Quand on arrive dans la salle, celle-ci est bondée et nous sommes obligés de nous excuser auprès des gens à force d'essayer de passer entre les sièges. Heureusement, on trouve une place dans le rang du milieu. Je demande : « Pourquoi il y a autant de monde ? Il n'a rien de spécial ce film. » Charles passe un bras derrière ma nuque et l'enroule autour de mes épaules avant de prendre un ton amusé : « On est vendredi Violette, il n'y a que des couples ou futurs couples qui viennent au cinéma pour... conclure. » Je m'empresse de répondre : « Tu veux conclure ? ». Je crois que mon ton (vraiment très enfantin) l'a surpris car il ouvre grand sa bouche. Le blond se reprend cependant très vite et déclare d'une voix suave : « N'est-ce pas ce que nous voulons tous les deux ? ». Cette fois c'est moi qui suis étonnée mais je suis rapidement « coupée » par le début de la publicité qui semble très intéressante pour Charles et moi (saviez-vous qu'avec CE shampoing miracle, vous n'aurez plus jamais de pellicules ?).
*
A un moment du film, un des protagonistes (en l'occurence, Samuel) décide de quitter son boulot (pourtant très bien payé), sa femme (qu'il laisse dépitée) et sa Louisiane natale pour aller s'installer en Chine pour faire on ne sait pas trop quoi, surement se la péter parce qu'il est occidental. Bref, c'est à ce moment précis (enfin au moment où il annonce son départ à Annie, sa femme) que Charles s'est retourné vers moi et m'a chuchoté : « Et si on s'enfuyait ? Toi, il me pointe avec son index, moi, il retourne son doigt vers son torse, tous les deux, dans un pays inconnu...le rêve. » Je le coupe rapidement dans ses élans en rétorquant : « On se connait depuis peu de temps. Je ne voudrais pas détruire tes.. rêves mais ça risque d'être compliqué. » Il a vraiment cru que je ferais un truc aussi stupide ? « Je te connais très bien, crois moi. » Son ton est si sec que j'ai comme l'impression que toute la salle (pourtant très occupée à se bécoter) s'est retournée vers nous. Je reste figée sur mon siège pendant un instant. Puis, Charles reprend un ton « normal » et brise le silence (oui, le silence, mon cerveau a décidé d'ignorer la voix agaçante de Samuel) : « On se casse ? Le film est nul. » Le blond entortille une mèche de mes cheveux bruns autour de son index et, vu son regard et son attitude, mon petit doigt me dit qu'il a déjà sorti exactement la même phrase à d'autres filles. Mais j'accepte et on s'enfuie, pas très loin mais c'est parfois ça, l'aventure : redécouvrir les environs.
Charles m'ordonne : « Ferme les yeux. » Je m'exécute. Il englobe ma main sèche de la sienne (chaude et d'une douceur idyllique) et me guide dans la ville. Je sens les pavés se frotter aux semelles de mes chaussures alors que l'on marche, j'ai l'impression qu'on se ballade depuis seulement cinq minutes alors que d'après mon rendez-vous, ça fait déjà une heure. Je garde les paupières closes (du moins j'essaye, aux dernières nouvelles, on était sur l'île Saint-Louis mais vu mes repères temporelles, ça doit faire une éternité que nous n'y sommes plus) et je sens tout à coup que nous entrons dans une boutique (il fait plus chaud et j'entend le brouhaha des gens qui discutent). « Vanille ou chocolat ? » J'ai l'impression que la voix de Charles s'est transformée en satin, douce et houleuse, je répond : « Vanille. » « Je vais t'aider à t'assoir sur une chaise et tu attendras. D'accord ? » J'acquiesce et il m'aide à m'installer dans un fauteuil extrêmement mou. Même si je ne peux pas voir, je sens les regards des clients sur moi, la fille aux yeux fermés.
En attendant le retour du blond, j'essaye d'imaginer la pièce. Il fait chaud, le plafond doit être bas. Je pourrais parier que les murs sont peints d'une couleur vive comme le rose ou le jaune citron, que le sol est un vieux parquet à chevrons...Les tables, elles aussi, doivent être de couleurs vives et surplombées de fleurs, oui ! Il doit y avoir pleins de variétés de fleurs dans cette boutique, je peux sentir l'odeur des roses et des lilas m'envahir les sens...
J'entend finalement la chaise devant moi bouger et Charles me parler : « Tu peux ouvrir les yeux, je m'exécute et il pose un verre devant moi, un milkshake à la vanille pour la plus belle des fleurs. » Je ne prête pas attention à sa remarque et le remercie avant de constater que la boutique dans laquelle je me trouve ressemble exactement à ce que j'imaginais...flippant.
Nous commençons à déguster nos boissons et je peux parfois sentir la main de Charles s'aventurer au dessus de la mienne, posée sur la table. Pourtant, il ne les scellent jamais ensemble (nos mains), comme par peur. C'est mignon. « Tu es déjà venu ici ? » Je demande pendant qu'il pose sa main sur la mienne pour la énième fois, il répond : « Oui, ça m'arrive parfois, les milkshakes sont bons et l'environnement est sympa. ». Je lui souris gentiment et cette fois c'est moi. C'est moi qui entrelacent nos mains. On peut prendre ça pour un signal : un signal pour dire vas-y, n'ai pas peur, j'en ai envie. Il pose longuement son regard sur nos doigts attachés puis demande : « Tu veux toujours aller au restaurant ou tu préfères siroter des milkshakes toute la nuit ? » « Tu as réservé quelque part ? » « Oui, mais ça n'a rien à voir. Si tu préfères rester ici, on reste. » Mes lèvres s'écartent pour lui sourire et je me lève, rompant ainsi notre contact physique. « Tu m'as emmenée dans un endroit où tu aimes passer du temps, à moi de te montrer une facette de ma personnalité maintenant. » Je vois son visage s'illuminer alors que nous payons (hors de question de le laisser payer) et quittons la boutique.
30 minutes plus tard, nous sommes devant un immeuble haussmanien dont un mur est recouvert d'une immense plaque de bois sur laquelle est gravé : SALON DE THE. Charles lâche comme dans un murmure : « C'est magnifique. » Et nous rentrons à l'intérieur de la tour. Le salon est au cinquième étage et nous devons donc passer devant les portes colorées de chaque étage (chacune des portes de la propriété a été peinte d'une couleur différente allant du blanc au vert fluo) avant d'arriver... sur le toit. Nous nous asseyons à une table.
« Le café se trouve sur le toit ? C'est génial ! » Charles s'écrit « Oh ! Ne prononcez pas ce mot ! Nous somme un salon de thé ! » Une jeune femme a interrompu le châtain pendant son discours. Les yeux rieurs et bleu océan semblent d'ailleurs être la seule partie de son visage non atteinte par la vieillesse et, ses mains fripées et peuplées de veines surgirent (avant que je ne puisse finir de l'observer) avec deux grandes cartes au nom de MENU.
« Il n'y a pas de thé St Petersbourg les enfants. Je rie au surnom. Je reviens dans quelques minutes, sachez que tous les thés sont issus du commerce équitable ici.» Et elle s'en va.
« Tu as l'habitude de venir ici ? C'est si beau ! Surtout avec cette vue sur la ville de nuit ! » Charles s'exclame. En effet, notre table se situe au bord du toit, nous offrant un panorama incroyable de Paris. La tour Eiffel et les plus beaux immeubles de la ville lumière semblent s'être illuminés juste pour nous.
Nous.
*
« Violette, il commence, je... je voulais savoir si tu voyais quelqu'un en ce moment. » Nous avons déjà commandé nos thé et Charles m'a pris la main. « Non et toi ? » Le châtain se met à sourire naïvement, serrant ses doigts encore plus fermement autour des miens. « Bien sûr que non Violette, il marque une pause, alors tu viens régulièrement ici ? Tu ne m'as pas répondu. » « Non, pas vraiment. Mais Joshua, mon colocataire, adore cet endroit et m'en parle souvent. Je crois que ce qu'il aime, c'est prendre des photos de la vue. Il veut devenir photographe, d'ailleurs tu fais des études toi ? » Charles ouvre la bouche mais il est coupée par la serveuse âgée qui nous sert à chacun une théière (rouge framboise pour lui, verte et jaune pour moi).
Charles reprend : « Je ne sais pas quoi faire de ma vie donc, en attendant, je travaille au magasin bio pour me faire de l'argent. » J'hoche la tête et commence à siroter mon thé (Dieu qu'il est bon). « Tu sais, dès que je t'ai vu dans la librairie, tu m'as plue. Tu avais les cheveux en désordre, un peu ondulés et tu étais belle... il voit mon regard effrayé. Je sais qu'on ne se connait que très peu mais je voulais juste que tu le saches. Que tu saches que tu me plais. »
Je ne répond pas et on ne dit plus rien. On ne dit plus rien pendant une heure, peut-être deux. On boit notre thé (je l'entend qui se sert régulièrement), on en recommande, toujours sans s'adresser la parole. On regarde Paris une dernière fois, et on s'en va. On rejoint mon appartement, toujours en silence, on s'observe, remettons mutuellement nos vêtements en place. Je peux sentir qu'il veut m'embrasser par ses yeux brulants posés sur ma bouche. Il s'approche un peu, dans un éternel silence, et, à ce moment-là, peut-être parce que je suis shootée aux feuilles de thé et à la fatigue mais, moi aussi, j'ai envie de l'embrasser.
Alors dans un excès de folie et d'excitation, je pose mes lèvres sur les siennes.
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