Chapitre I
Je suis seule dans une grande pièce aux murs blancs. Tout est terne. Le grand bureau au milieu de cette blancheur extrême semble m'appeler, je m'avance. Il y a un homme assis sur un fauteuil de cuir blanc et, même dans cette position, je vois qu'il est grand. Il me fait signe de m'assoir : je n'avais pas vu la chaise en face du bureau, je m'exécute.
« Tu es en retard Ilona. » Il me parle. Sa voix est rauque, dure, il parait insensible et je m'agrippe à ma chaise : j'ai l'impression qu'il me veut du mal.
« Je ne suis pas Ilona, vous devez vous tromper. » Ma voix est plus douce, et pourtant, le regard de l'homme s'assombrit, passant du vert au noir. Il pose ses grandes mains contre le verre du bureau et s'approche de moi, collant presque son visage au mien. Je m'enfonce un peu plus dans mon siège. L'atmosphère est pesante, je voudrais disparaître. Il plante ses yeux dans les miens et j'essaye de détourner le regard mais, je sens mes mains se dérober de mon siège et, avant même de réaliser ce qu'il m'arrive, je sens que les murs se fracassent contre le sol, qui, lui aussi, disparaît lorsque seul un hurlement strident s'échappe de ma bouche.
Tout passe tout d'un coup très vite, trop vite : il fait noir et je me met à pleurer, mes jambes repliées contre mon torse. Je tremble, ma tête tourne, l'homme me regarde, je crois tomber dans le néant sous mes pieds mais je ne suis plus dans mon corps, je ne suis plus moi-même, parce que je suis soudainement recouvert d'une espèce de pâte visqueuse carmin, le visage recouvert de bleus et de coupures sanguinolentes, les cheveux en désordre... je ne suis plus Violette, non, non ! Je suis quelqu'un d'autre, je ne suis plus qu'un autre pion au milieu d'un jeu, un pion en attente de son sort. L'homme me sourie et me pousse dans le vide soudain apparu, je pleure encore plus fort.
« Tu seras toujours Ilona, Violette. » Son souffle n'est alors plus qu'un murmure.
Je regarde les chiffres numériques qui s'affichent et clignotent devant moi : 3H04. Je reprend doucement ma respiration et emmène mon corps dans la cuisine. Je me prépare une tisane, une tisane à la camomille, ça doit m'apaiser mais comme d'habitude : ça ne fait rien.
J'ai déjà fait ce rêve des centaines de fois. Toujours la même angoisse, toujours la même sensation, toujours le même homme. Je suis allée voir quelqu'un, une fois, pour savoir ce que ce rêve voulait dire, pourquoi est-ce que je suis en retard dans ce rêve, pourquoi est-ce-que je suis quelqu'un d'autre, pourquoi est-ce-que cet homme m'appelle Ilona ? Personne n'a jamais compris, personne n'a jamais essayé de comprendre, sauf moi. J'ai cherché, j'ai creusé dans ma mémoire, peut-être avais-je eue une amie du nom d'Ilona ? Non, pourquoi ça m'aurait autant hanté ? Depuis, je ne cherche plus, je ne me détruis plus la santé pour un pauvre rêve, un rêve qui n'a pas de sens.
« Tu as encore fait ce cauchemar ? » Joshua me regarde doucement alors qu'il enlève l'opercule de son yaourt au fruit. « Tu devrais peut-être revoir un psy, tu pourrais au moins dormir plus tranquillement et éviter de me réveiller toutes les nuits. » Il dit ça en ricanant et en s'approchant doucement de moi avant de passer une main dans mes cheveux. « Je ne te réveille pas toutes les nuits Jo, tu passes juste celles-ci à lire des magazines et tu te lèves dès que tu entends la bouilloire siffler. » Je pose mes bras sur ses épaules et lui sourit. « C'est vrai. »
Joshua est mon colocataire. Il est aussi un peu mon meilleur ami, enfin, je crois. C'est lui qui a loué l'appartement en premier, puis il a fait une demande de colocataires (il avait mis une annonce dans toutes les boutiques de la ville) et je suis arrivée à ce qu'il aime appeler : le casting pour être son/sa coloc'. D'après lui, plus de 20 personnes se sont présentées ce samedi là (le nombre était plus proche de 5 mais bon...) et c'est moi qui ait été choisie pour la simple et bonne raison que je ne lui plairait jamais (il ne veut surtout pas d'une relation amoureuse entre colocataires, c'est pour ça. Oui, c'est plutôt débile,surtout qu'il a l'intention de trouver le grand amour et d'emménager avec).
« Tu vas voir Emilie aujourd'hui ? » Je demande, il finit son yaourt et racle le fond avec sa cuillère avant de me répondre : « Evidemment. On va aller au cinéma, puis au café, et on ira surement chez elle après, elle veut me présenter à ses petits frères. » Emilie est la copine de Joshua, ils sont ensemble depuis quoi ? 2 semaines ? « Elle ne te les a pas déjà présentés ? » Joshua contourne l'îlot central avant de déclarer d'un ton enfantin : « J'ai seulement rencontré Mason et Jean, elle a 4 frères. » Puis il rentre dans sa chambre, le sourire aux lèvres à force de penser à sa « dulcinée ».
*
Je suis entrain de ranger des livres par ordre alphabétique dans une des grandes étagères qui orne la librairie lorsque la sonnette de la porte retentit. Je ne prête pas attention au nouveau client, je préfère laisser les gens vagabonder dans les rayons avant de les conseiller (je travaille dans une librairie). L'acheteur regarde d'abord les bandes dessinés, il pioche un spirou quand je me remet au travail.
Quand j'ai fini de classer tous ces bouquins, le client est toujours là, il me semble qu'il lit un livre de Zola (très loin du spirou qu'il avait en main quelques minutes avant), avachi dans un des fauteuils en tissu kaki au fond de la boutique. Je n'ai pas le temps de faire attention à lui, je dois écrire mon avis sur un livre que j'ai lu avant de le mettre sur la table réservée aux « coups de coeur des libraires ».
« Excusez-moi mademoiselle. » Je lève les yeux vers l'homme qui est maintenant face à moi. « Bonjour, comment puis-je vous aider ? » Je lui souris et lâche mon stylo pour me lever, en attente de sa question. « Je me demandais pourquoi vous disiez que Ne tirez pas sur un oiseau moqueur était un roman autobiographique dans votre étiquette coup de coeur. » Je hausse un sourcil, personne ne lis jamais mes « pourquoi est-ce-que j'ai aimé ce livre », c'est la première fois qu'on me pose une question là dessus et cet homme a l'air de vraiment s'y intéresser. « Et bien, Harper Lee montre une partie d'elle-même dans Scout, elle aussi a été un peu garçon manqué, et les protagonistes sont inspirés de personne réelles : il me semble qu'Atticus est inspiré du père d'une amie d'Harper, je ne sais plus vraiment, je pourrais vous écrire une dissertation là-dessus si vous le voulez. » Il rigole doucement et je le rejoins avant de me tendre un bouquin que je n'ai jamais lu, le titre s'intitule : Entre nous, je me permet de lire le résumé lorsque le client me lance : « Je ne vous avais jamais vue ici, pourtant, je viens, quoi ? 1 fois par semaine ? Vous êtes nouvelle ? Ou alors vous avez changé de couleur de cheveux ? » J'suis étonnée de sa question « Non, vous avez raison, j'ai commencé il y a trois semaines, le gérant est un ami d'un ami et j'avais besoin d'un petit boulot alors... »
Il acquiesce et nous nous dirigeons vers la caisse, il m'explique qu'il lit environ 6 livres par semaine et que parfois, lorsqu'il est trop « impliqué » (il a utilisé ce terme) dans l'histoire, il en oublie de dormir, manger et d'aller aux toilettes. Pendant qu'il paye, il me tend une carte avec son numéro de téléphone : « Si jamais vous ne savez pas quoi lire, appelez-moi et je vous trouverai un excellent livre pour vous occuper. ». Je lui souris et il avance d'un pas assuré vers la porte : « Ah, et moi c'est Charles. » Il s'en va.
Est-ce-que je viens de me faire draguer sur mon lieu de travail ?
*
Il est tard, je crois qu'il est quelque chose comme 1h07. Je n'arrive pas à dormir. Je pourrais sortir ? Je pourrais réveiller Joshua (ou le sortir de sa transe de lecteur en manque) et lui dire « Hey ça te dirait d'aller en boîte de nuit ? Comment ça tu dors ? C'est pas le moment de dormir ! Ah bah si. » ou non..je pourrais appeler le client de la librairie, Charles. Non, il me trouverait bizarre si je l'appelais à une heure pareille.
Je décide d'aller dans le bar juste en bas de mon immeuble, après tout, on est samedi et il y a du monde, j'ai le droit de m'amuser. J'enfile un jean et je garde mon haut de pyjama (c'est juste un vieux t-shirt, ça fera l'affaire pour boire un mojito et me faire draguer par des alcooliques) puis je descend.
L'atmosphère dans le bar est chaleureuse et enivrante, ça sent le vin rouge et l'argent. Il y a une table de billard au milieu de la pièce et des tonneaux sont posés autour de ça, servant de tables aux clients. Je commande mon mojito, le serveur me regarde étrangement, non je ne suis pas coiffée, et alors ?
Je finis d'avaler le sucre au fond de mon verre avec ma paille lorsque je sens un regard insistant sur moi, je tourne le regard vers la droite, il y a un homme. Il est beau, presque hypnotisant. Les yeux verts, les cheveux sombres, le visage cerné et dur. Le temps s'arrête. Le silence se fait : plus de bruits de conversation, de tintements de verre contre le bois des tonneaux, plus de musique d'ambiance juste, le silence.
« Oh mon dieu. » Il murmure dans un souffle alors que je me lève de mon tabouret, les yeux toujours ancrés dans les siens, un peu étonnée face à la réaction de cet inconnu. « Ilona. »
Je sens mon corps qui se durcit à l'entente de ce prénom, je manque de tomber sur le parquet brun du bar, je crois que je réussis à me rattraper grâce à mon tabouret. J'ai l'impression que le monde entier autour de moi se met à vaciller. Pourquoi est-ce-que ça me fait ça ? Il s'est juste trompé de personne. Mais il t'a appelé Ilona, comme dans tes rêves.
« Non, non, je ne suis pas Ilona, vous devez vous tromper. » Ma voix est tremblante, incertaine, je sens les larmes se former au coin de mes yeux : Pourquoi est-ce-que je réagis comme ça ? L'homme me regarde longuement, les doigts serrés autour de son verre, il semble réfléchir, lui aussi n'a pas l'air bien. Je crois qu'il pleure.
« Je...je suis vraiment désolé..vous...vous ressemblez tellement à...Ilona. » Il me sourit faiblement, je préfère regarder la porte devant moi pour m'empêcher d'éclater en sanglots, j'ai l'impression de revivre mes rêves. Je ne veux pas rester ici. Je ne peux pas. « Je suis vraiment...vraiment désolé mademoiselle...je...je ne pensais pas que...ça vous affecterait autant. »
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Voila ! Le premier chapitre de cette fiction :D J'espère que ça vous plaît, en tout cas, moi, je suis plutôt contente ☻
Plein d'amour
Alggie
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