4 - Explications
La surprise balaya la rigueur protocolaire aussi radicalement qu'un éternuement sur un château de cartes.
— Harlock ! Espèce de crétin de pirate, qu'est-ce que tu as encore foutu ?
— Hé, c'est pas ma faute !
Warrius se contenta d'un sourire narquois pour toute réponse, qui arracha un « pfeuh ! » offensé à l'intéressé. Pas sa faute, hmm ? Ce petit voyou était un véritable catalyseur à ennuis ! S'il n'avait pas provoqué tout ce bordel, il aurait été très étonnant qu'il n'ait pas sa part de responsabilité là-dedans.
— Je pensais que tu aurais appelé ton vaisseau, hangareka, commenta Sérhà.
Harlock haussa négligemment les épaules.
— Alors figure-toi que je fais dans la vitrification plutôt que dans la négociation, et je ne suis pas sûr que faire péter une flotte d'invasion aurait résolu vos problèmes de façon pérenne.
Il y avait tant de bon sens dans cette phrase que Warrius se demanda un instant s'il n'avait pas sous les yeux une Sylvidre camouflée en Harlock et non pas l'inverse.
— Je note que tu deviens raisonnable avec l'âge, persifla-t-il.
Le regard furibond qu'il obtint en retour dissipa ses (maigres) doutes. Il ne restait plus au pirate qu'une seule de ses deux prunelles noisette et elle avait perdu les éclats d'innocence de sa jeunesse, mais Warrius l'aurait reconnue entre mille.
Son cœur battait la samba. Le soulagement, la joie... Il ne s'était pas attendu à ce que les émotions l'inondent à ce point. Peut-être était-ce dû à la présence des Sylvidres, dont il savait que les émissions, télépathiques ou autres, étaient de nature à perturber l'affect des humains à proximité. Peut-être... ou peut-être pas.
Il avala sa salive. Sa bouche était sèche.
— Cette planète entre dans la juridiction de Technologia, dit-il, et nous nous efforçons de garantir à tous la sécurité de pouvoir vivre selon ses choix. Je n'empêcherai pas des mécanoïdes de fonder une colonie ici si tel est leur désir, mais je veillerai à ce qu'ils ne le fassent pas au détriment des autres populations déjà installées.
Ça ne plairait pas à Harlock, évidemment. Harlock s'était opposé aux mécanoïdes par la force depuis aussi loin qu'il le connaisse. Mais les temps changeaient, l'empire méca s'était effondré, et Technologia, malgré les cahots qui parsemaient le chemin, était une utopie qui fonctionnait.
Warrius y croyait, en tout cas. Harlock un peu moins.
Les Sylvidres l'invitèrent à poursuivre.
— Quelles sont vos doléances ? demanda-t-il.
— La forêt nous appartient, répondit Heilani. Il en a toujours été ainsi avec les humains.
— Et qu'en est-il de la mine ?
La Gardienne-mère esquissa un sourire.
— Nous commerçons avec les mineurs, amiral. Le trinium est utile à tout le monde... Mais nous n'exploitons pas la mine et peu m'importe qui le fera à l'avenir.
Bon... Un problème en moins, songea Warrius. La mine serait le point d'achoppement entre les humains et les mécas, qui voudraient tous deux la primauté de l'exploitation. Que les Sylvidres ne s'incluent pas dans l'équation faciliterait les débats.
Et si Harlock ne s'immisçait pas dans les négociations, ce serait parfait.
Hélas, ce foutu pirate ne savait pas quand se taire.
— Warrius, avant de songer à la suite il serait peut-être intelligent de traiter l'urgence en cours, non ?
Et il avait de toute évidence des idées bien arrêtées sur le déroulé de « la suite », qui impliquaient d'ailleurs probablement de foncer dans le tas à un moment ou à un autre. Warrius soupira. Il se contraindrait à ne pas foncer dans le tas autant que faire se peut, mais il s'agissait toujours d'une ligne de conduite difficile à tenir lorsque l'Arcadia était de la partie.
— De quelle urgence tu parles ? biaisa-t-il, histoire de gagner du temps.
Harlock donna l'impression d'attendre une réaction côté sylvidre, puis il expira son mépris par le nez lorsqu'il s'avéra que personne ne semblait disposé à le soutenir.
— Il y a une certaine « Aito » qui semble s'être alliée à ton « groupe dissident méca » pour foutre le bordel dans cette forêt, s'agaça-t-il. J'suis okay pour que tu négocies, mais d'abord il va falloir neutraliser !
Ah. Voilà où se trouvait le « foncer dans le tas », déduisit Warrius. Même s'il était étrange qu'Harlock intercède pour une forêt, lui qui s'était toujours montré davantage citadin que féru de nature sauvage.
En outre, depuis quand s'était-il rangé dans le camp sylvidre ? N'avait-il pas aussi « foncé dans le tas » contre la flotte de la Reine Lafressia lorsqu'elle s'était approchée de la Terre ?
Warrius plissa le front. Il ne s'était pas intéressé d'assez près aux manœuvres sylvidres, trop périphériques pour inquiéter Technologia. Et, il le reconnaissait, il avait très lâchement laissé la défense de la Terre à Harlock, en estimant que ce foutu pirate se débrouillerait bien tout seul – ce qu'il avait fait avec brio, d'ailleurs. Sauf que...
— Tu veux que je défende ces Sylvidres pour toi, explicita-t-il.
— Voilà.
D'accord. Pas forcément logique, mais d'accord.
— ... et les humains de Redemption ?
— M'en fous, rétorqua Harlock sans la moindre hésitation. La colonie qui est importante à préserver, c'est celle-ci.
Pas du tout logique, même. Harlock faisait toujours passer les intérêts humains avant tous les autres, alors pourquoi n'était-ce pas le cas ici ?
Warrius tressaillit malgré lui lorsque Sérhà frôla de la main les mèches rebelles du pirate.
— Harlock, t'es vraiment un idiot. J'espère que tu le sais.
Elle ébaucha un sourire, presque invisible, vite expédié, peut-être un peu gêné. Harlock y répondit de la même manière, en basculant son poids d'un pied sur l'autre et avec une mimique embarrassée. Leurs regards se croisèrent, se détournèrent aussitôt. Ah, oui. Pas la colonie qu'il défendait, en réalité, devina Warrius.
Il réfléchit à un commentaire mordant pour desserrer l'étau qui lui comprima soudain la poitrine.
Refusa de croire qu'il était basiquement jaloux.
Se prépara à arracher cet idiot de pirate aux griffes télépathico-végétales d'une Sylvidre qui se montrerait trop possessive à son goût.
Cilla. Ce n'était pas sa mission. Pourquoi avait-il toujours tendance à dériver de sa mission dès qu'Harlock entrait dans son champ de vision ?
— Amiral ! intervint Ishikura. Amiral, le Karyu détecte une frégate et son groupe d'escorte en route directe vers notre position. La zone n'est plus sûre, il faut partir !
Warrius se secoua. De l'action, excellent.
— Madame, si cela vous convient, je vous invite à bord de mon vaisseau. Vous y serez en sécurité.
— Je ne peux m'éloigner de ma Sylve, objecta Heilani. Ne vous inquiétez pas pour moi, emmenez Sérhà et votre ami.
— Mère, ce n'est pas prudent de rester seule ! protesta Sérhà.
Harlock, lui, ne s'embêta pas d'une quelconque forme de déférence : il saisit la Gardienne-mère par le poignet et la tira vers Warrius en grognant « ben le Karyu volera à basse altitude, voilà tout ».
— Allez, on embarque ! ajouta-t-il.
Warrius eut la nette impression que la Gardienne était amusée plus qu'autre chose.
— Ma Fille, êtes-vous conscient que vous foulez aux pieds la structure profonde de notre civilisation en même temps que des millénaires de rituels raffinés ?
— Je laisse le raffinement aux officiers respectables, ma'am, répliqua Harlock sans se troubler. L'amiral Zero est l'homme de la situation pour ce rôle.
Trop d'honneurs, grinça Warrius à part soi. Et à lui de démêler les imbroglios diplomatiques par la suite, c'est ça ?
Lorsqu'il passa devant lui, Harlock se débrouilla Dieu seul sait comment pour lui adresser un clin d'œil. Avec son œil droit. Celui qu'il ne possédait plus.
Les papillons dansèrent, soulevant un vent glacial.
Warrius frissonna.
Au même moment, le ciel s'assombrit.
— Aito ! cria Sérhà. Viens te battre en face, taru kino !
La Gardienne leva la tête, marqua un temps d'arrêt, haussa un sourcil incrédule.
— Son aura est différente, grimaça-t-elle. Plus puissante et... métallique.
Le mot tinta dans le silence soudain. Un autre le remplaça en surimpression, en écho têtu, en menace latente.
Mécanoïde.
Les mécas se targuaient de maîtriser tout type d'augmentation cybernétique, modifications physiques comme améliorations psychiques. Warrius se tourna vers Ishikura. Le capitaine s'était figé sur sa tablette de données.
— On a une vague de brouillage monstrueuse qui nous arrive dessus, amiral ! s'effara-t-il.
Une vague de brouillage c'était toujours mieux qu'une vague de lave, voire une vague tout court, mais vu l'expression des Sylvidres Warrius douta qu'il ne s'agisse que de perturbations électromagnétiques « basiques ».
— Attaque psy ! hurla Sérhà. Protégez-vous !
Elle regarda Harlock.
Elle le regarda.
Elle sembla s'excuser.
Ses yeux reflétaient l'angoisse.
Puis le monde s'éteignit.
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