3 - L'amiral
L'éther se chargea de négativité tandis que chacun se figeait sur des postures défensives.
- Qu'est-ce qu'ils vous ont promis, sorcière ? cracha Illyana. L'éternelle jeunesse ?
Aito la dédaigna - une inconnue insignifiante de son point de vue, une erreur du point de vue d'Helani. D'autant que bon... Sorcière ? L'utilisation du terme était très significative quant à l'identité réelle de cette « demoiselle », qui devrait d'ailleurs définitivement se montrer plus prudent s'il ne voulait pas se faire fusiller sur place.
- Sérhà, tu devrais apprendre les bonnes manières à ton équipage plutôt que de te mêler d'affaires qui te dépassent.
- De toute évidence, la sécurité du Faré me concerne plus que toi, Protectrice.
Le dégoût que Sérhà mit dans le titre d'Aito n'échappa à personne.
- J'ai de grands projets pour cette colonie, Sérhà. Toi qu'as-tu fait, à part partir ?
Le visage de Sérhà s'assombrit. Elle avait été sélectionnée pour entrer dans les Corps Expéditionnaires de la Reine et elle était partie, se souvint Heilani. Malgré ses attaches au Faré, malgré ses sœurs. Malgré Tuahine, qui en avait eu le cœur brisé pendant des saisons. Elle était revenue marquée dans sa chair. Qu'y avait-elle gagné ?
Le bref regard qu'elle échangea avec Illyana n'apporta aucune réponse à Heilani.
- Je me bats pour la grandeur de l'Empire et pour la liberté de mes sœurs, siffla Sérhà entre ses dents. Et je ne me vends pas à mon ennemi !
Le levé de sourcil d'Illyana, en revanche, révélait toute l'ambiguïté de la position du pirate. Qu'y avait-il gagné lui ? se demanda Heilani. Avait-il même gagné quoi que ce soit ?
Heilani plissa le front en même temps qu'Illyana ployait les genoux. Sérhà le rattrapa alors qu'il défaillait.
- Ce n'est pas le moment, hangareka, maugréa-t-elle avec une pointe d'intonation soucieuse malgré tout.
Puis la réalité se brouilla pour tout le monde.
Flash.
Tourbillon.
Bouclier.
Contrairement à l'explosion sur l'astroport, Heilani ne vit rien venir avant d'être happée dans le vortex psychique. Elle aurait pu s'en extraire sans trop de peine (le phénomène était violent mais désordonné, donc facile à contourner), et elle discerna d'ailleurs l'aura d'Aito qui s'éloignait de son centre. Elle choisit toutefois l'observation... et la stabilisation, compléta-t-elle lorsqu'un demi-plan astral se cristallisa. Sainte Mère, c'était ni fait ni à faire, comme construction mentale !
Elle toucha l'aura de Sérhà, qui lui céda la place. Elle ne s'approcha pas de la pelote bleu nuit qui lançait des vrilles anarchiques d'un bout à l'autre du plan. C'était la première fois qu'elle « voyait » un esprit humain. L'expérience était... particulière.
Froid, chaleur, écartèlement, mosaïque. Elle n'était pas « repoussée » à proprement parler, mais il était clair qu'elle n'était pas bienvenue. Sérhà quant à elle avait tendance à être attirée. Visiblement ça ne la réjouissait pas du tout.
Heilani se concentra pour diffuser des ondes d'apaisement jusqu'à imprégner la totalité du plan. Une fois l'ambiance - relativement - plus calme (c'était très agité un humain, en fait), elle opta pour la simplicité. Configuration sobre : ciel, sol, herbe rase. Tons clairs. Apparence physique classique.
Sérhà se matérialisa avec davantage de longueur de cheveux qu'elle n'en possédait désormais. Harlock réagit avec une latence insupportable, une précision inexistante et une délicatesse que n'aurait pas reniée un troupeau de lémosaures défonçant une bambouseraie, mais il réussit malgré tout à produire un double astral cohérent. Son image sautait néanmoins de l'enveloppe d'Illyana à son apparence native, preuve que le leurre psychique le perturbait en profondeur.
- Tu es pénible à psy-déclencher sans prévenir, hangareka, lâcha Sérhà.
- C'est ta faute. Il est où, l'arbre ?
Le soufflement exaspéré indiqua à Heilani que ce n'était pas la première fois que cette question était posée.
- Harlock, est-ce que tu peux arrêter de réclamer des arbres à chaque fois qu'on se retrouve sur le même plan astral ? Il n'y a des arbres que quand je les mets, parce que si je te laisse mettre quoi que ce soit on a davantage de chances d'obtenir une broussaille mutante diabolique qu'un arbre, et parce que...
Sérhà fixa son aînée le temps d'un soupir suspendu.
- ... parce que c'est notre Gardienne-mère qui dirige cette communion, termina-t-elle.
Silence.
- Ta, corrigea Harlock.
Arrêt.
Souffle retenu.
- Ben un peu la tienne aussi par la force des choses, hangareka.
L'assertion ne plut pas à Harlock, nota Heilani, en témoignait l'onde de rejet violente qu'il émit et qu'elle peina à contenir. Divines Aïeules, il avait de la puissance à revendre !
- Je ne peux permettre un emportement aussi... animal sur mon sol, dit-elle.
Il se hérissa. La projection astrale l'épuisait et il bataillait pour garder une consistance, mais il parvenait malgré tout à ne pas perdre pied - même s'il se bloquait sur l'apparence d'Illyana quand il la regardait. Sûrement parce qu'elle l'avait pris pour un représentant féminin de son espèce au départ, supposa Heilani : elle l'avait appelé « ma Fille » et il lui renvoyait donc, avec une certaine logique, une image de fille.
- Il faut bien que quelqu'un se charge du boulot, grogna-t-il.
Il se voila une fraction de seconde, disparut et se rematérialisa... pas tout à fait avec sa propre enveloppe. Une version plus jeune de lui. Avec ses deux yeux, et un sourire beaucoup trop enfantin pour un capitaine pirate craint et renommé.
- J'suis certaine que je peux tout faire péter encore une fois !
Heilani tiqua. Sérhà aussi, d'ailleurs. Que l'image ne colle pas, d'accord (ce n'était qu'un humain, après tout). Mais là en l'occurrence il venait de se genrer en tant qu'Illyana, il ne s'en était clairement pas rendu compte, et si sa psyché était endommagée cela allait assurément devenir un problème.
Elle s'arc-bouta contre une vague humano-psychique plus scélérate que les autres.
- Il suffit ! gronda-t-elle.
L'usage de force brute était une solution grossière, dépourvue de la finesse qui seyait à son rang, mais puissance monstrueuse ou non ce n'était pas un blanc-bec qui allait lui faire peur. Et comme il se pavanait sans la moindre défense élaborée...
Heilani excellait dans la mise en œuvre de bulles de silence. Parfaites pour les méditations, parfaites pour la quiétude... et parfaites pour y enfermer un jeune rustaud turbulent, trop peu habile pour s'apercevoir du filet psychique qu'elle tissa autour de lui.
La bulle formée, il ne restait plus qu'à resserrer l'étreinte pour étouffer son occupant.
Sérhà désapprouvait. Heilani l'ignora. Elle maîtrisait son art et savait doser sa puissance, elle. Juste ce qu'il fallait pour lui tenir la bride et l'empêcher de « tout faire péter ».
Elle relâcha son emprise quand elle le sentit tomber dans l'inconscience.
Puis elle revint sur le plan réel.
Sérhà avait rattrapé Harlock juste avant le saut astral. Elle ne l'avait pas lâché.
- T'es lourd, hangareka, protestait-elle.
À l'intérieur du Pavillon, les dégâts se révélèrent conséquents. Les mécas avaient été balayés, de même que les lustres, les ornements muraux et le mobilier.
- Je vais... bien. Lâche-moi, râlait Harlock tout en échouant à marcher seul.
Il ne semblait cependant pas avoir fait de victimes sylvidres. Au moins Sérhà lui a-t-elle appris à être sélectif, se dit Heilani en même temps qu'elle se demandait où (si ?) Aito avait fui.
Elle étendit ses sens. Elle distinguait de nombreuses auras étrangères aux abords du Pavillon et de l'Arboretum. Trop. Beaucoup trop.
La Sylve frémit. La colère la saisit avec la soudaineté d'un orage saisonnier. Sans plus se préoccuper de Sérhà qui pestait avec son fardeau à demi-conscient, Heilani quitta le Pavillon du Jugement d'un pas martial, revint au centre du Faré sur l'esplanade que piétinait un détachement de soldats mécanoïdes, se dressa face à eux, face à tous, face aux navettes qui atterrissaient et décollaient impunément, s'emplit d'une rage glaciale, implacable, mortelle.
- Partez, murmura-t-elle.
La Sylve était sienne et elle était la Sylve. En ce lieu, en cet espace, la forêt lui obéissait.
La terre trembla quand des arbres centenaires arrachèrent leurs racines du sol pour attaquer les intrus. Ce n'était pas une marche, plutôt un lent mouvement de reptation qui laissait derrière lui l'humus labouré exhalant des odeurs de mousse et d'écorce. Ce n'était pas rapide. Les mécas évitèrent facilement les premières racines mouvantes. Mais chaque plante était désormais un piège. Et les plantes étaient partout.
Sur toute la surface de la Sylve, les végétaux tendirent leurs branches, leurs tiges, leurs lianes pour saisir quiconque n'appartenait pas au Faré.
Des tirs sporadiques étêtèrent les jeunes arbres, balafrèrent les plus anciens, tronçonnèrent des branches épaisses, brûlèrent des herbes sèches, mais nul corps mécanique ou organique n'était assez robuste pour résister à l'étreinte d'un arbre.
La forêt se peupla de cris.
La Sylve s'auréola d'une lumière pulsée, blanche, verte, aux reflets bleutés.
Des vrilles se déroulèrent d'un coup, saisirent une navette, la plaquèrent au sol.
L'esplanade disparut. La forêt reprit sa place. L'Arboretum se fondit dans la masse végétale, son cœur battant à l'unisson des futaies.
Cela dura le temps qu'il fallut.
La nature retint son souffle, les derniers échos de métal se turent, le silence retomba.
Heilani se voûta, éreintée par l'effort, et lâcha un long soupir avant de se redresser. Elle ne pouvait entrer en régénération maintenant. Pas encore. Pas tant qu'elle ne serait pas certaine de la sécurité de son Faré.
- Mère ? s'inquiéta Sérhà.
La fatigue brouillait ses sens. Pas encore, se répéta-t-elle.
Rumeur sourde. Vrombissement. Intensification. Loin au dessus-des cimes, le soleil se refléta sur un vaisseau. Interstellaire. Plusieurs centaines de mètres de long.
Heilani soupira encore. La fatigue était forte, mais la Sylve était prête. Si le nouveau venu s'approchait à sa portée, il serait broyé comme les autres.
- Ma'am, 'tendez... souffla soudain Harlock. 'vous acharnez pas sur celui-là, il est de votre côté...
Heilani pinça les lèvres. « De mon côté ou du vôtre, ma Fille ? », pensa-t-elle avec aigreur.
La rage ne l'avait pas totalement quittée, mais l'intervention de sa Fille-adoptive-qui-n'était-pas-vraiment-une-fille la contint. Elle avait plus de maîtrise qu'un humain, plus de maîtrise qu'un hors-la-loi, plus de maîtrise qu'un pirate, se tança-t-elle. Elle avait plus de maîtrise et elle ne « s'acharnait » pas.
Le vaisseau envoya une navette, qui se stabilisa en stationnaire à quelques mètres de la canopée.
Elle n'y toucha pas.
Elle attendit.
La diffusion par haut-parleur résonna dans toute la Sylve.
- Ici l'amiral Warrius Zero, du Karyu ! Nous venons pour parlementer !
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