2 - Retour en forêt
Dans ces conditions, il fallait réagir vite. Harlock savaient quels étaient les modes d'action des mécanoïdes : s'ils n'avaient pas effectué de bombardements préliminaires, c'est qu'ils estimaient pouvoir prendre le contrôle politique sans heurt (en général avec le slogan « nous vous offrons l'immortalité d'un corps mécanique ») – ce qui impliquait donc de mettre la main sur les édiles locaux.
Or, l'un des édiles locaux – la Gardienne – était justement en face de lui. Allait-il se priver d'être un grain de sable dans les rouages de la machine de guerre méca ? Non, évidemment.
— Ils sont là pour vous ! s'exclama-t-il. Venez !
Il la saisit par le poignet et la tira vers le sous-bois avant qu'elle ne puisse se défendre. Bien sûr, il ignorait à quel point la Gardienne était mêlée à l'imbroglio avec Sérhà, ou même si elle était à l'origine de la venue des mécas... En un sens, l'entraîner à sa suite lui permettrait cependant d'être fixé très vite. Si elle me dénonce, c'est que c'était une mauvaise idée. Pas très élaboré, mais zut.
Une fois sous les frondaisons, il zigzagua quelques minutes entre les fourrés puis, dès qu'il jugea être hors de vue, il stoppa et relâcha sa prise. La Gardienne ne cria pas, ne protesta pas, se contenta seulement de le considérer sans mot dire, lentement, calme et hiératique.
Lorsqu'elle parla enfin, une expression étrange flottait au coin de ses lèvres.
— Sérhà aurait dû vous avertir qu'un camouflage psychique est beaucoup moins efficace dès qu'il y a contact physique, dit-elle.
Harlock se figea. Non, Sérhà n'avait rien mentionné de tel. Sérhà n'avait pas expliqué grand-chose. Et Sérhà avait disparu.
— Humaine ? continua la Gardienne. Il est rare de prendre compagne parmi les Filles de la Terre, mais je reconnais là le caractère aventureux de Sérhà.
Ah. Hum. Alors comment dire... Harlock entendit Illyana glousser quelque part à l'arrière de son crâne, finalement assez satisfaite de réussir malgré tout à tromper les perceptions psy d'une sorcière sylvidre. En partie peut-être, mais c'était quand même une victoire, non ? Elle caressa un instant l'option de répondre « oui ».
— C'est, euh... plus compliqué, biaisa-t-elle.
Le mot « compagne » l'embêtait quelque peu, en réalité. Notamment parce qu'elle sentait que tout un pan de cette histoire lui échappait.
— Je n'en doute pas, reprit la Gardienne. Les humaines sont loin d'être réputées pour leurs aptitudes psychiques.
Il y avait un zeste de moquerie dans les intonations policées, de l'amusement dans le plissement des paupières. Illyana y percevait cependant aussi, sans grande surprise, des relents de méfiance. Si la Gardienne tentait de sonder son esprit, elle devait se heurter à tout un tas d'incompatibilités mentales : après tout, une bonne part de son « moi » pensait toujours s'appeler Harlock.
Illyana se figea, cilla. Ou alors était-ce l'inverse ? Elle se passa la main sur les yeux.
— Sérhà a parlé d'un leurre de surface, se rappela-t-elle. Mais je... je ne sais plus vraiment où j'en suis.
— Vous ne vous en tirez pas si mal, la rassura la Gardienne. Au pire vous pouvez l'enlever, je ne pense pas que cela ait encore de l'importance.
Moui... Illyana n'aurait pas été aussi catégorique, surtout pour le côté « Harlock ». Qu'elle soit humaine, d'accord. Mais était-ce judicieux de révéler qu'elle était... qu'il était... Elle vacilla.
— Non je... ça va. Je gère.
Après, gérait-il en tant qu'Harlock ou gérait-elle en tant qu'Illyana, là était la question... Iel inspira. Il serait toujours temps d'y réfléchir plus tard. Pour l'instant, la priorité restait aux mécas.
— S'ils procèdent comme à l'accoutumée, dit-il à la Gardienne, ils vont prétendre avoir été librement conviés et exhiber une figure d'autorité quelconque pour justifier leurs propos.
C'était le moment de remettre Aito sur le tapis. Harlock étudia la possibilité d'être subtil, abandonna aussitôt.
— ... C'est qui, « Aito » ? enchaîna-t-il. Vous pensez qu'elle aurait un intérêt à faire venir les mécas chez vous ?
— Jeune fille, Aito est notre Protectrice, s'offusqua la Gardienne. Et son rôle, comme son nom l'indique, est de protéger ces lieux des intrus, pas de les y amener.
Et donc d'arrêter Sérhà qui venait l'avertir des manœuvres hostiles desdits intrus plutôt que de coopérer avec elle ? Même à considérer des divergences sémantiques entre humains et Sylvidres, ce n'était pas à proprement parler un comportement protecteur, ça...
— Elle a mis Sérhà en prison, répliqua-t-il. Et la Sylvidre chez qui elle m'avait emmené... Tuahine... Elle aussi, probablement.
La Gardienne ne se troubla pas.
— Je présume qu'elle a agi dans le cadre de son mandat, lié à la présence d'une intruse sur les terres du Faré, répondit-elle tout en le fixant avec une intensité pénétrante.
— Je n'ai pas été arrêté, contra-t-il.
Là en revanche il l'avait désarçonnée, jubila-t-il. Il croisa les bras tandis que la Gardienne se drapait dans les pans de son manteau ample avec un dédain visible.
— Vous insinuez que les plus hautes sphères de ce Faré pourraient être corrompues, ma Fille ? siffla-t-elle.
Oui tout à fait. C'est soit elle, soit vous, soit toutes les deux. Il y aurait mis ses cheveux à couper.
Silence.
Chatouillis psychique.
Harlock se raidit. Oh, et ça c'était non, se rebella-t-il. Il n'était pas psy-compétent et la plupart du temps il ne remarquait rien, mais quand il s'en rendait compte il savait se blinder contre le forçage télépathique, hein...
Simultanément, il se passa alors plusieurs choses.
Un, la Gardienne recula précipitamment.
Deux, les arbres se remirent à chuchoter.
Trois, ses cheveux ondulèrent.
Quatre, le voile typique d'un black-out obscurcit sa vision. Sauf qu'il n'était pas rouge, ni noir, mais bleu. Et bleu, c'était très mauvais. Scheiße, machinchose psychique non contrôlé ! Provenait-il de lui ? De la Gardienne ? Des arbres ? De Sérhà ? De tout cela combiné ?
Était-ce une coïncidence ? Son subconscient avait-il anticipé la suite ?
— Mains sur la tête, maudits rebelles ! Et pas de gestes brusques !
... Et cinq, une escouade méca surgit arme au poing. Ils semblaient savoir exactement ce qu'ils cherchaient. Et surtout où le chercher.
Harlock plaqua les mains sur ses oreilles. Le chuchotement était un râle, le râle un cri, le cri un hurlement féral.
Le temps se dilata. Son plan d'existence se tordit.
Avec Sérhà il y avait « l'arbre », se souvint-il. Toujours le même, balise immuable qui marquait l'entrée du domaine astral. Cela lui permettait de reconnaître l'illusion et de l'apprivoiser quelque peu. Seul il n'y parvenait pas, et il ne gardait (presque) aucun souvenir des dégâts qu'il commettait.
Il n'y avait pas d'arbre.
Un chouia étonné, il s'aperçut néanmoins qu'avec Illyana c'était plus facile : Illyana attaquait avec ses cheveux. Ses mèches se déployaient en volutes, sifflantes et sinueuses, indépendantes et chargées d'agressivité.
Harlock ignorait s'il s'agissait d'une réalité sylvidre ou d'un fantasme personnel, tout comme il ne savait décider si les vrilles capillaires existaient vraiment ou n'étaient qu'hallucination. Mais la vision, concrète et pragmatique, bien différente des bulles oniriques et incompréhensibles de l'astral, restait fermement ancrée sur le présent. Ici les ennemis, là les obstacles, de ce côté un taillis qui pourrait servir de point de retrait.
Ici ses armes.
Là les cibles sur lesquelles les diriger.
Il était pirate, elle était gorgone, il était capitaine et elle se gonflait de puissance. La liberté était son combat. N'y aurait-il point de place pour Méduse sur l'Arcadia ?
Les serpents étaient végétaux ; ils n'en restaient pas moins mortels. Si elle ne savait pétrifier, elle saurait étrangler.
L'air autour d'ellui crépita.
Blam.
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