2 - Infiltration

Au matin, Tuahine avait disparu.

Harlock mit quelques secondes à se remémorer pourquoi le nom « Harlock » revenait sans cesse en arrière plan, puis il se mit en quête d'une salle d'eau pour se rafraîchir les idées. Il trouva un cocon de repos ouvert, le coin cuisine, un espace de travail, Illyana s'arrêta pour admirer les broderies en cours de réalisation et se dit qu'elle aimerait bien en posséder de semblables, avant qu'Harlock ne reprenne le fil de ses pensées et ne statue que non, il n'avait pas besoin de tunique brodée.
Mais les motifs sylvidres étaient superbes, il devait bien l'admettre.

Il secoua la tête. Bon sang, il n'était pas là pour penser chiffons.

La salle d'eau était de facture classique, du moins pour une salle d'eau sylvidre, ce qui signifiait donc qu'Illyana la trouva familière et qu'elle s'efforça ensuite de se persuader que tout ceci était très étrange et incongru. « En vrai j'suis plutôt mignonne », songea-t-elle tandis qu'elle se dévisageait dans le miroir holographique avec une pointe de curiosité mutine.

Harlock cilla. Non je... Euh... Scheiße, c'est super bizarre ! Mais elle avait raison, il était plutôt mignonne. Et il allait finir par devenir dingue, aussi.

Il interrompit son geste alors qu'il était à mi-chemin d'ôter sa chemise, d'une part parce qu'il craignit de désactiver le camouflage sans le vouloir (est-ce qu'il avait enfilé ce maudit camcod en dessous ou au-dessus du vêtement ? Il ne se souvenait plus), et d'autre part parce qu'il était peut-être mignonne, mais il ne savait pas si son mental en supporterait davantage.

Une toilette sommaire suffirait, décida-t-il prudemment.

Quelques ablutions rapides plus tard, il était dehors. Le temps était clair, la température douce. À la lumière du jour, le village sylvidre apparaissait dans toute sa verdoyance moussue, et Illyana se demanda pourquoi elle le trouvait trop vert et trop moussu avant de se rappeler qu'elle avait grandi dans une station spatiale et qu'elle n'était d'ailleurs pas une Sylvidre, merde.

— Sérhà, la prochaine fois que tu me proposes une idée aussi saugrenue, tu pourras aller te faire voir chez les mécas, grogna-t-elle.

Et elle s'appelait Harlock. Har-lock. Il inspira à fond. Il s'appelait Harlock, il commandait l'Arcadia, et mieux valait retrouver Sérhà très vite.

Mais où aller ? Il entortilla une mèche autour de son doigt tout en se mordillant la lèvre inférieure. Il n'avait pas la moindre idée de la façon dont s'organisait une colonie forestière sylvidre, et déambuler au hasard lui semblait trop risqué. D'autant que son instinct lui soufflait que le temps pressait.

Ne restait in fine qu'une option : le bosquet chelou. A priori un point névralgique du village, peut-être l'équivalent d'un établissement administratif quelconque ou tout du moins un lieu de rassemblement. Elle y glanerait des infos, même si elle se sentait moyennement en confiance sur le mode opératoire qu'elle devrait mettre en œuvre. Étant donné qu'elle ne savait déjà pas comment dire bonjour en sylvidre, cela promettait un joli numéro d'équilibriste.
Mais bon... C'était son côté pirate intrépide, hein... Rester les bras ballants, non merci.

Les abords du trajet étaient plus animés qu'en pleine nuit. Harlock s'efforça en conséquence de ne pas ressembler à un touriste paumé et ignora obstinément les regards intrigués qu'il s'attirait. Tant que personne n'accourait pour l'arrêter c'est que le camouflage tenait, se répéta-t-il. Les chuchotements curieux qu'il générait sur son passage devaient davantage être causés par son statut d'étrangère à la communauté que par ses émissions astrales bizarres. Sûrement.

Il sursauta quand un groupe de fillettes le dépassa. Elles riaient. Elles ne s'intéressaient pas à lui. Elles s'égayèrent dans une envolée de cheveux. Il les suivit des yeux tandis qu'elles contournaient le bosquet chelou et disparaissaient dans un fourré. Y avait-il un bâtiment là-dedans ? Une école ?
Ah c'est donc ça une école buissonnière... sourit-il à part soi.

Il stoppa à l'orée du bosquet, lequel déployait visiblement un maximum d'efforts pour se donner des airs moins chelous que la veille. Malheureusement pour lui, il chuchotait toujours. Harlock le foudroya d'un regard assassin pour le faire taire, sans grand succès.

— Vous arrivez du Hau Maiangi ? l'interpella-t-on soudain.

Il tressaillit. Il aurait préféré observer de loin sans avoir à interagir avec qui que ce soit. Hélas, la Sylvidre qui s'était matérialisée dans son dos semblait avoir surgi du néant. À moins que ce ne soit le bosquet chelou qui l'ait recrachée, qui savait de quoi était capable un bosquet chelou ?

— Je connais toutes mes Filles et elles sont instruites des restrictions inhérentes à ce refuge, insista la nouvelle venue. Laquelle vous a invité au Faré sans que je n'en sois informée ?

Son âge avancé transparaissait dans sa voix, profonde et un peu rauque, mais aussi dans ses cheveux aux reflets rouge-orangé comme les feuilles en automne. La Gardienne, devina Illyana.
Elle se demanda s'il existait un protocole particulier pour s'adresser à une Gardienne, si elle allait se trahir dès qu'elle ouvrirait la bouche, estima qu'il serait encore plus suspect qu'elle n'ouvre pas la bouche, opta donc pour une approche frontale. Mode pirate, et à Dieu vat.

— Oh je... J'accompagnais Sérhà. Mais elle n'est pas rentrée cette nuit. Vous avez une idée de l'endroit où elle peut se trouver ?
— Elle était partie évaluer la situation à Redemption avec son vaisseau, ma Fille. Je n'ai pas eu connaissance de son retour.

Voilà qui confirmait ce que Tuahine et elle avaient constaté la nuit dernière : Sérhà n'était jamais arrivée à destination, et elle n'avait jamais pu parler à la Gardienne. Et comme il n'y avait aucune raison qu'elle se soit enfuie, cela signifiait donc qu'elle avait été interceptée. Mais par qui ? Et pourquoi ?
Et Tuahine, d'ailleurs ? Avait-elle également été « interceptée » ?

— Je sais, répondit Illyana. J'étais avec elle.

Bon d'accord, pas sur toute la mission, mais elle avait raccroché les wagons sur la fin et de toute façon elle... il était également venu évaluer la situation à Redemption. Avec un spacewolf. Depuis l'Arcadia. Parce qu'il n'était pas une Sylvidre. Bordel.

— Le Hau Maiangi n'est pas encore revenu, objecta la Gardienne.

Non en effet. Et l'Arcadia non plus. Quoi que l'Arcadia, plus dangereux pour la flotte méca, serait sûrement soumis à davantage de difficultés pour semer d'éventuels poursuivants que le petit patrouilleur de Sérhà, ce qui risquait de le retarder d'autant.

Harlock repoussa ses cheveux derrière son oreille et se retint à temps de tirer sur les plis de sa chemise (c'était ses seins à cet endroit, et il était presque certain qu'il serait très impoli de triturer ses seins en présence d'une Gardienne).
Mais bref. Si Sérhà n'avait été empêchée de délivrer son message, alors il pouvait très bien le faire à sa place. Mange-toi ça, inconnu qui intercepte les gens sans savoir que Sérhà fait rentrer n'importe qui dans son village secret fermé aux étrangers !

— Nous avons été attaqués, dit-il. Les mécas ont ouvert le feu sans préavis.

La Sylvidre eut un léger mouvement d'effroi, aussitôt maîtrisé et remplacé par un visage sévère.

— Les avez-vous provoqués ? J'avais été très claire avec Sérhà sur l'absolue nécessité de ne pas s'impliquer.

Harlock hésita. Il n'en savait rien en réalité, mais il n'avait remarqué aucun mouvement sylvidre avant de tomber sur Sérhà – et l'Arcadia n'avait pas non plus intercepté de communications qui auraient pu être provocatrices avant que l'attaque ne débute. On pouvait par conséquent présupposer que le Hau Maiangi s'était maintenu à l'écart des mouvements de la flotte et n'avait pas cherché à interférer. Après, quant à déterminer si son arrivée avait rendu nerveux les mécas et constitué un déclencheur ou non... Harlock tablait davantage sur la présence de l'Arcadia en orbite, mais il reconnaissait volontiers qu'il était de parti pris à ce sujet.

— Les mécas ne s'intéressent qu'à la mine. Il est vital de rester neutre, continuait la Gardienne.

Oh ça c'était bien une vision étriquée de planétaire casanier, persifla Harlock avec toute son arrogance de galactique baroudeur.

— Les mécas ne se contenteront pas de la mine, contredit-il. Ils ne font jamais ça. Vous auriez été aux antipodes de Redemption j'aurais dit pourquoi pas, mais là vous êtes trop près.

La Gardienne tiqua.

— Tuahine avait prétendu la même chose. J'avais consenti à ce qu'elle contacte sa sœur d'âme pour la rassurer, mais Aito n'a jamais été convaincue des visées colonisatrices mécas. Ils veulent la mine et c'est tout. La planète n'a pas d'intérêt.

... et Aito était le nom que Tuahine avait prononcé dans la même phrase que « Sérhà a été emprisonnée », se remémora Harlock. Il avait une piste à creuser. Et, par la même occasion, une suspecte.

Il s'apprêtait à cuisiner la Gardienne au sujet de cette « Aito » lorsqu'un sifflement dissonant lui fit lever la tête.

C'était une barge de transport en phase d'atterrissage.

Une barge mécanoïde.

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