1 - Retour au Faré

Le phytoptère déploya ses samares avant de s'élever au-dessus des arbres, puis prit de la vitesse au ras de la canopée. Sérhà contrôla les paramètres de vol et le bon fonctionnement du dispositif de furtivité : tout était en ordre.

— Qu'on soit clair, sorcière : il n'est pas question de prisonnier, d'otage, de moyens de coercition ou de rien qui se rapproche d'un interrogatoire, n'est-ce pas ?
— Je ne t'ai pas forcé à venir, hangareka, répliqua-t-elle.

Harlock plissa le front, puis se trémoussa sur son assise. Même s'il était plutôt mince pour un humain, sa morphologie ne correspondait pas aux standards sylvidres et le siège baquet du phytoptère s'adaptait mal à ses épaules.

— Et tu penses réussir à convaincre tes copines que je suis juste « un invité » ? continua-t-il.

Sérhà grimaça. Non, ça ne serait pas aussi simple.

— Je ne vais pas leur dire, avoua-t-elle. L'accès d'un Faré est interdit à tous ceux qui ne font pas partie de la...

Elle hésita. Le mot le plus juste était « famille », mais l'acception sylvidre était différente du sens humain. Harlock ne comprendrait pas.

— ... c'est interdit, répéta-t-elle simplement.
— Je ne crois pas que je saurai me dissimuler au milieu d'une colonie de fougères télépathes, objecta-t-il.
— Nous possédons des moyens de préserver notre intimité psychique. Si tu évites les émotions violentes, personne ne percevra tes pensées.

Il fit « hmm », peu convaincu. Elle ne pouvait pas l'en blâmer : elle-même ne voyait guère de solution au casse-tête qui se présentait à elle.
Alors d'accord, les cônes perfoliés utilisés comme habitat étaient sélectionnés pour leurs propriétés psy-isolantes de manière à, comme elle l'avait mentionné, « préserver l'intimité psychique », mais ça ne suffirait pas à camoufler au sein du Faré la présence d'un humain, mâle de surcroît. En particulier parce qu'elle ne possédait pas – plus – son propre logement.

En réalité, réfléchit Sérhà, la solution la plus sûre c'était d'embarquer Harlock sur le Hau Maiangi. Sauf que le Hau Maiangi était en pleine manœuvre évasive, que ça durerait au mieux une journée entière et qu'il ne se poserait de toute façon pas à proximité du Faré – l'astroport sylvidre étant situé largement plus au nord des habitations par mesure de discrétion.

Elle ne pouvait pas cacher Harlock dans le phytoptère faute de place, elle ne pouvait pas non plus l'abandonner dans la forêt à cause des pièges mentaux qui y étaient disséminés, et elle ne pouvait plus générer seule un bouclier psychique qui aurait effacé l'empreinte astrale du pirate (en partie à cause de lui, d'ailleurs). Ce qui impliquait donc une aide extérieure. Au seul endroit du Faré qu'elle considérait sûr. Chez Tuahine.

Ça n'allait pas lui plaire.

                                                  —————

Ça ne lui avait pas plu.

— C'est de la folie ! Il faut qu'il parte tout de suite !

Tuahine s'était hérissée sitôt rentrée, et seules les ondes rassurantes de Sérhà l'avaient retenue de lancer un appel psy immédiat. Elle ne s'était pas calmée pour autant.

Harlock considérait l'éclat de voix avec flegme. Il gardait les bras croisés et Sérhà lui pardonnait son léger sourire suffisant pourvu qu'il ne fasse pas de geste malheureux vers ses armes.

— S'il n'y a que ça pour vous faire plaisir, alors je peux appeler l'Arcadia, dit-il. Ma radio n'est plus brouillée, et je garantis que les mécas n'ont pas percé mes codes de chiffrement.
— Sûrement pas, trancha Sérhà. Cryptée ou pas, une émission s'intercepte et ils ne se priveront pas pour faire de la gonio. Et si ce n'est pas le cas, je te rappelle que ton vaisseau n'est pas du genre discret à l'atterrissage.

Harlock leva un sourcil, sans toutefois cesser de sourire.

— L'Arcadia possède tout ce qu'il faut en termes de furtivité, mais d'accord pour le risque d'interception des émissions.

Légère pause. Sourire. Regard ostensible en direction de Tuahine.

— Mais si j'étais toi, je ne tarderais pas à me faire bouger d'ici, poursuivit-il. À mon avis ce n'est qu'une question de minutes avant que je ne sois dénoncé.

Tuahine releva le menton pour bien signifier son dédain.

— Jamais je ne trahirai une de mes sœurs ! s'offusqua-t-elle. – elle adressa une moue implorante à Sérhà – ... Il faut qu'il parte, répéta-t-elle.

Sérhà secoua la tête. Non. Elle était (enfin) parvenue à élaborer une tactique viable et comptait bien la mettre en œuvre. En revanche, nota-t-elle in petto, son idée n'était pas du tout orthodoxe, voire complètement crétine, à un point tel qu'elle se demanda brièvement si les habitudes d'Harlock en matière de stratégie militaire ne déteignaient pas sur elle.
Elle expira avec humeur. Okay, il l'influençait, mais était-ce un mal ? L'adaptabilité était la clé, c'était ce qu'elle avait appris à force de côtoyer Harlock. Tuahine et les autres devraient s'y faire.

— Tuahine, s'il te plaît... Tu peux me prêter une unité camcod ?
— Pour lui ? Il ne le supportera jamais !
— Attends voir, espèce de graminée maléfique ! se raidit Harlock simultanément. On avait dit pas d'interrogatoire !

Sérhà souffla. Elle n'était pas aidée, avec ces deux-là. Mais bon, au moins ne s'étaient-ils pas encore sauté à la gorge. Toujours ça de pris.

— Camcod pour camouflage corporel dynamique, s'agaça-t-elle. Et il a supporté une fusion avec moi, donc je pense qu'il se débrouillera avec un camcod, dit-elle à Tuahine.

Elle perçut la déception avant de l'entendre dans la voix de Tuahine, et s'en voulut d'avoir été aussi rude. Tuahine était sa sœur d'âme. La première. L'unique. Elle ne méritait pas d'être traitée ainsi. J'aurais dû la prévenir. Il était trop tard.

— Tu me fais des infidélités avec ce... cet humain ?

Elle ne méritait pas.

— Eh, je ne veux pas être inclus dans vos histoires de couple ! intervint Harlock.

Sérhà grogna. Le pirate interprétait la situation à sa manière. Un peu de travers. Calqué sur ce qu'il connaissait. Il commençait à accumuler une bonne expérience en astral, elle était bien placée pour le savoir, mais qu'en retenait-il ? Maudits soient les humains et leur psy-imperméabilité !

— Ne parle pas de ce que tu ne comprends pas, hangareka.

Il se tut, et ses questions imprononcées flottèrent un instant entre eux. Peut-être lui expliquerait-elle plus tard, se dit-elle. Peut-être trouverait-elle les mots. Peut-être. Plus tard.
Elle agita la main, balaya l'air devant elle.

— Je vais paramétrer le camcod pour toi avec des niveaux minimums. Je m'occupe aussi du leurre psychique pour parer les contre-détections télépathiques.

Harlock fit « okay ». Son expression parvenait à être à la fois sceptique, perdue et intéressée.

— Le camcod est un catalyseur d'illusions, expliqua-t-elle. Il permet de figer une apparence extérieure en évitant que le porteur n'ait à focaliser toute son énergie mentale dessus. Et le leurre génère une aura psychique factice qui se superposera à la tienne.

Elle s'interrompit. Le système n'était pas prévu pour fonctionner en autonome. Les agentes qui l'utilisaient modulaient leurs propres illusions et maîtrisaient le processus psychique de bout en bout, ce qu'Harlock était par nature totalement incapable de faire. Le camcod seul risquait la surcharge – et, accessoirement, de griller le cerveau du pirate si la simulation produite était trop complexe.

— Et il faut que tu changes de vêtements, termina-t-elle. Ce sera plus simple.

Harlock s'esclaffa.

— Ha ! Tu penses que je vais rentrer dans ta garde-robe, sorcière ?
— Dans une combinaison ample, oui, trancha-t-elle. Tuahine, tu peux lui en prêter une ?
— Ce n'est pas une magouille pour me désarmer ?
— Non.

Elle attendit une rébellion qui n'arriva pas, sentit l'onde de désapprobation de Tuahine et entendit Harlock pester tandis qu'elle réglait le camcod.

— J'ai l'air ridicule, grommelait-il.

Lorsqu'il revint se placer en face d'elle, elle retint de justesse une approbation moqueuse. Tuahine lui avait donné un pantalon de toile souple et une vareuse en tissu fluide, respectivement gris cendré et bleu cobalt, assez larges pour qu'il puisse les revêtir... mais auxquels il manquait une trentaine de centimètres de longueur de jambes. Il avait raison, il était ridicule.

— C'est parfait, décréta-t-elle. Tu peux garder tes bottes.

Elle brandit le harnais du camcod.

— Et enfile ça.

Harlock obtempéra avec une moue désabusée.

— Je ne crois pas que ton truc trompera tes copines, dit-il.
— Attends que je le mette en marche avant de te prononcer, hangareka.

Sérhà se passa la langue sur les lèvres. Le dispositif était psy-actif, en ce sens qu'il agissait directement sur l'esprit du porteur pour modifier ses émissions astrales – et par là même, l'apparence externe qu'il renvoyait aux autres. Une illusion de base, mais que les humains ne maîtrisaient pas.
Pire, les humains rejetaient ce genre de manipulation mentale.

— Ça risque d'être, euh... un peu douloureux, dit-elle.

Il leva un sourcil. Il semblait davantage amusé que méfiant.

— Douloureux comment ?
— Eh bien...

Elle enclencha le camcod et lui adressa une mimique désolée.

Il cria.

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