1 - Premier contact
Elle était revenue. Quand elle avait reçu le message de Tuahine, elle n'avait pas hésité : le Hau Maiangi avait aussitôt pris un cap vers Faré Oko et avait atterri sur le petit astroport de la colonie moins de dix jours plus tard.
Sérhà avait retrouvé les lieux où elle avait grandi presque identiques à ses souvenirs, même si ses retrouvailles avec Tuahine s'étaient teintées d'une pointe de nostalgie. Toutes deux avaient changé, elle sûrement davantage – et de manière irrémédiable. Elle avait été absente longtemps, était allée au-devant de la guerre plutôt que de rester sous les frondaisons protectrices du Faré. Et elle avait... perdu une partie d'elle-même.
Elle laissa ses doigts glisser le long d'une mèche désormais disparue. Ses cheveux ne repousseraient pas, mais le geste demeurait.
Son bracelet-com interrompit le cours de ses pensées.
— Kapene, nos radars détectent deux autres frégates en phase d'atterrissage ! On ne va pas pouvoir tenir !
Sérhà pinça les lèvres. Le Hau Maiangi la couvrait pendant qu'elle effectuait une reconnaissance au sol du côté de la mine humaine de Redemption, et les mauvaises nouvelles n'avaient cessé de s'amonceler.
Un, Redemption n'avait plus rien du hameau misérable dans lequel vivotait une poignée de pionniers en quête d'illusoires richesses. Le village était devenu une ville de taille respectable, dont l'activité était dopée par la mine de trinium et qui possédait pas moins de quatre docks de chargement sur son astroport flambant neuf.
Deux, ledit astroport n'accueillait pas que des cargos civils. Sérhà avait compté cinq appareils de facture humaine probablement utilisés pour la protection des approches, trois intercepteurs (humains également) à peu près de la taille de son patrouilleur, un transport de troupe méca et une frégate à l'ancre.
Et trois, personne ne semblait enclin à user de diplomatie. Le contrôle du port avertissait en boucle que ses défenses de zone étaient actives, un bataillon entier de policiers barrait l'accès aux docks, et une source indéterminée émettait un brouillage large fréquence qui perturbait toutes les transmissions.
Peut-être l'arrivée impromptue du Hau Maiangi mit-elle le feu aux poudres. Peut-être le conflit était-il latent, ou peut-être avait-il déjà débuté sans que quiconque au Faré ne s'en aperçoive. Quoi qu'il en soit, son évaluation de la situation initiale était loin d'être correcte, comprit Sérhà.
Lorsque les frégates mécas ouvrirent le feu, le chaos s'imposa. En un éclair, le ciel fut strié d'éclats lasers et de traînées de fumée, l'air s'emplit du bruit des explosions, de cris, le sol lui-même trembla.
— Repliez-vous ! transmit Sérhà. Maintenant !
S'il était pris dans la mêlée, le Hau Maiangi serait haché menu.
— On ne vous abandonne pas, kapene !
— Repliez-vous maintenant ! répéta-t-elle. Passez en furtif et semez-les dans la haute atmosphère !
La communication grésilla. Avait-elle été reçue ?
Sérhà leva les yeux. Les frégates pilonnaient l'astroport, la défense au sol ripostait avec acharnement, des missiles explosaient sur les boucliers magnétiques ou étaient détruits par des essaims de leurres actifs. Le Hau Maiangi ne semblait heureusement pas être une cible prioritaire.
— Repliez-vous ! transmit-elle une nouvelle fois.
Sa radio ne lui renvoya que des parasites.
Elle fronça les sourcils, furieuse de son impuissance, se convainquit que son second prendrait les bonnes décisions, se reconcentra sur sa propre sécurité.
— On dégage ! lança-t-elle aux deux soldates qui l'accompagnaient. Il faut qu'on s'éloigne de la ville !
L'ennemi était invisible. Le danger, omniprésent. Et le bruit noyait tout. Quiconque pensait que la guerre se déroulait en rangs organisés n'en avait jamais vécu une.
Tirs. Impacts. Pluie d'éclats.
Était-elle visée ? Sérhà n'aurait su le dire. Elle lâcha une rafale au jugé, cria à nouveau « on dégage ! Suivez-moi ! », courut de l'angle d'un bâtiment à une porte cochère.
Grondement permanent, rumeur sourde.
Sur l'astroport, un bâtiment s'effondra.
Le bruit engloutissait ses pensées. Elle serra les dents. Elle ne pouvait plus isoler sa psyché des agressions extérieures aussi hermétiquement qu'auparavant. Elle captait la peur, la haine, toutes les émotions primaires rejetées par les habitants de Redemption. Elle captait la douleur mentale des âmes qui s'arrachent aux corps, elle ressentait la mort et elle maudit sa faiblesse.
Le bruit.
La mort.
Déflagration.
Le souffle la renversa.
Elle roula de côté par réflexe, se plaqua d'instinct contre un mur. Un nuage sombre opacifia l'atmosphère, s'étendit, s'écoula au sol tel un serpent liquide.
Le brouillard était visqueux.
Il pleuvait des scories noires, collantes et lourdes.
Trinium, déduisit Sérhà. Le minerai non raffiné était très instable, extrêmement inflammable, hautement explosif. Un tir – intentionnel ou non – avait dû atteindre un entrepôt.
Canonnade régulière. Quels dégâts imaginer si jamais la mine était touchée ?
— Il faut qu'on s'éloigne, dit-elle encore.
Elle était seule. Ses mots se perdirent. Où avaient disparu ses soldates ?
En bordure d'un cratère, sur la terre fraîchement retournée, elle trouva un pistolet sylvidre. Les bribes d'un ceinturon carbonisé. Des cendres.
Un soupir de détresse flottait autour d'elle. Les Sylvidres se consumaient à leur trépas.
Elle cilla.
Le fracas asphyxiait les sens.
Le brouillard mélangeait les sons.
La poussière âcre anesthésiait son sang. Il faut qu'on s'éloigne.
Il fallait qu'elle s'éloigne.
La guerre lui avait volé une partie de sa prescience psychique, mais lui avait octroyé en échange un surplus de combativité. Elle ne percevait plus qu'avec difficulté les ondes mentales de ses sœurs, et il lui était désormais interdit de se réfugier dans le cocon astral qu'elles avaient tissé ensemble, mais les épreuves qu'elle avait traversées lui avaient appris à avancer en solitaire.
Parce que la vie était plus forte.
Parce que des batailles devaient être menées.
Et parce que si elle ne les menait pas, qui le ferait ?
Avancer. Envers et contre tout.
Des tirs. Humains ou mécas ? Impossible de le savoir. Les ombres autour des ruines de l'astroport étaient casquées et bardées de noir, anonymes et mortelles.
Esquiver.
Riposter.
Courir.
Vivre.
Tout le quartier était la proie des flammes.
Courir.
Sérhà se dégagea du nuage de trinium en suspension au moment où une série d'explosions éclataient dans son dos. D'autres entrepôts ? Des vaisseaux en perdition ? Elle ne se retourna pas pour vérifier.
— Hey, là-bas ! Stop !
Elle ne s'arrêta pas pour s'expliquer.
Faré Oko et Redemption auraient pu s'unir, regretta-t-elle. Leurs forces combinées auraient peut-être eu davantage de poids contre la flottille méca. Sylvidres et humains étaient loin de leurs planètes-mères, ici, loin des grosses bases militaires, loin de renforts potentiels. Ils auraient dû se rapprocher depuis longtemps.
Un tir de plasma frôla son crâne. Deux autres l'encadrèrent. Elle zigzagua.
Il était trop tard pour négocier.
Courir.
Chapelet de détonations.
Hurlement.
Elle grimaça quand la vague psy du mort la percuta, tituba, serra le poing, reprit sa course. Un groupe s'interposa. Des humains. Mal armés, mal défendus, maladroits. Tant pis pour eux.
Elle n'accorda pas un regard aux cadavres.
Vivre.
Elle bifurqua dans une ruelle, changea de direction au hasard, s'en remit à son expérience pour s'extraire de la zone de danger.
La ville se clairsemait. Les immeubles devenaient des maisons, les maisons des baraquements de zinc et de bois. Elle croisa des habitants hébétés, paniqués, des fuyards qui entassaient leurs possessions sur des chariots de fortune et d'autres qui se claquemuraient chez eux.
Elle repéra des monticules alignés, des déchets miniers entassés à la lisière de la ville. Le site était entretenu. Elle y trouverait des véhicules, déduisit-elle. Des engins de chantier, robustes et tout terrain. Un moyen de transport plus efficace que les berlines brinquebalantes utilisées par les civils, plus facile à « emprunter » qu'un jet militaire ou un glisseur de rupin.
L'emprise n'était pas gardée, les portes ouvertes à tous vents et les installations désertes. Les ouvriers avaient fui précipitamment, constata-t-elle. Des outils gisaient au sol, ici un casque, là une veste abandonnée. Elle en fouilla machinalement les poches. Vides.
Les échos des combats sur l'astroport s'étouffaient dans les tas de gravats et les piles d'étais usagés.
Lorsqu'elle dénicha enfin ce qu'elle cherchait (un six-roues avec un pare-buffle, parfait pour forcer des barrages), le soulagement prit le pas sur la prudence. L'espace d'un instant, elle baissa sa garde, et alors qu'elle contournait le véhicule par la gauche pour gagner la place du conducteur, elle buta sans ménagement dans la poitrine de quelqu'un qui faisait de même en sens inverse.
Et qu'elle connaissait.
— Harlock ?
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