Prologue

Je courais à en perdre haleine. À travers les corridors, je sprintais comme si ma vie en dépendait. Ce qui était sans aucun doute le cas.

Je devais être maudite. Je ne voyais pas d'autre solution possible au merdier dans lequel je m'étais encore fourrée. Et sinon, comment expliquer le fait que mon plan, minutieusement préparé et normalement infaillible, était en train de foirer ?

Perdue dans les couloirs de la prison Sherman, dont j'avais essayé de mémoriser les emplacements avant de me faire enfermer, je tentais de m'échapper sans me faire repérer. Les règles en cas de tentative de fuite de l'un des détenus étaient très claires. La pendaison ou le bûcher. Si l'on arrivait à me rattraper, j'étais morte.

À bout de souffle, je me cachai sous l'escalier que je venais de descendre pour reprendre ma respiration. Je me fondis dans les ombres, là où personne ne pourrait me voir. J'avais besoin d'une pause. Même l'agent la plus douée de la mafia parisienne avait ses limites.

Mentalement, je comptais les minutes. Si je ne m'étais pas loupée en organisant mon évasion, il ne me restait plus que quelques secondes avant d'être repérée. Passé ce délai, une alarme allait retentir, indiquant à toute la prison que la porte de l'une des cellules était restée ouverte pendant dix minutes. La mienne, en l'occurrence, puisque je n'avais pas eu le temps de la refermer avant de m'enfuir. Les détenus enfermés dans le même couloir que moi s'étaient mis à crier dès qu'ils m'avaient vue dehors. Comme je ne voulais pas qu'un garde me trouve alors que je venais seulement de sortir, j'étais partie en vitesse, foirant la première partie de mon plan.

D'ici environ quinze secondes maintenant, tous les employés du centre pénitentiaire sauraient que j'essayais de m'évader, ce qui me compliquerait fortement les choses. La sécurité allait augmenter, et les couloirs se rempliraient de personnes armées chargées de me retrouver.

Le bip strident de la sirène retentit alors.

Ils n'allaient pas tarder à venir me chercher.

Mais personne n'arrêtait définitivement une métamorphe, surtout quand la métamorphe en question, c'était moi.

Jamais.

Enfin, dès que j'aurais réussi à me débarrasser du collier à impulsions électriques qu'on m'avait posé de force au moment de mon arrestation. Dès que j'utiliserais mes pouvoirs, il me grillerait le cerveau. Comme cet organe était nécessaire à ma survie, je n'avais pas encore tenté le diable.

Si les policiers avaient su que mon arrestation avait été préméditée et préparée, peut-être qu'ils n'auraient pas fait la bêtise de me simplifier les choses. Surtout que j'avais réussi à dégotter l'information que l'on m'avait demandée pendant ma première promenade dans la cour de la prison.

La sécurité laissait vraiment à désirer.

L'alarme s'éteignit alors, suivie des néons et de la climatisation. Je souris. Il n'y avait plus d'électricité. Ce qui signifiait que les caméras étaient hors service jusqu'à ce que le système de secours se mette à fonctionner. Ça voulait aussi dire que toutes les portes, hormis celles des cellules, étaient ouvertes, puisque leur verrouillage était électrique. Si je me souvenais bien de ce que j'avais lu, je disposais de cinq minutes avant que tout se remette en route. C'était largement suffisant.

Il n'y avait aucun bruit autour de moi. Je sortis la tête de ma cachette pour vérifier que j'étais bien seule. C'était le cas. Je pris une inspiration et me relevai, mon chemin uniquement éclairé par les petites veilleuses qui diffusaient une lumière verte pour remplacer les néons hors service.

La main sur la crosse d'une arme que j'avais volée, je recommençai à progresser dans les couloirs. Je pensais savoir où je me trouvais, mais n'en avais aucune certitude. J'espérais vraiment ne pas me tromper, sinon j'étais bonne pour rester ici encore longtemps.

Une porte se trouvait devant moi. Je l'ouvris, débouchant sur un autre corridor. Je me trouvais dans la partie de la prison opposée aux cellules. Il allait falloir plusieurs minutes aux gardes pour se rendre compte que je n'étais plus dans la partie réservée aux prisonniers, mais dans l'aile administrative. Alors que j'allais m'aventurer dans un énième corridor, du bruit me parvint de celui-ci. Je me plaquai contre le mur juste à temps. Une escouade de garde déboula pour évacuer les fonctionnaires. À pas de loups, je reculai, m'infiltrant dans la première pièce qui se trouvait sur mon chemin.

— Bingo ! m'exclamai-je en chuchotant.

Exactement l'endroit que je cherchais. Devant moi se trouvaient un simple bureau et, sur le mur juste derrière le meuble, une vitrine contenant toutes les clés des colliers privant les détenus de leurs dons. De ce que je savais, c'étaient toutes les mêmes. Faisant le moins de bruit possible, j'allai l'ouvrir rapidement, sans aucun problème. Il fallait dire que Judith, la fille qui travaillait dans cette pièce, était l'une des personnes qui devaient un service à mon patron. Il lui avait demandé de laisser la vitrine ouverte, ce qu'elle avait fait.

En même temps, elle n'avait pas vraiment eu le choix. C'était ça, ou la mort. Et celle de toute sa famille par la même occasion.

J'attrapai l'une des clés et, grâce à mon reflet dans la vitrine, l'insérai dans la serrure de mon collier, juste sous mon menton. Il s'ouvrit dans un déclic bien trop sonore à mon goût, puisqu'il résonna dans le couloir. Des pas se firent entendre non loin de moi. C'était au tour des employés de ce corridor d'être évacués. Je devais faire vite. Je laissai tomber le collier par terre et le poussai sous le bureau d'un coup de pied pour que personne ne le trouve. Ensuite, je fermai les yeux. Lorsque je les rouvris, au bout de quelques secondes seulement, ce n'était plus mon physique que je voyais dans la vitrine, mais celui de Judith. Le plus vite possible, je me changeai et enlevai ma combinaison de détenue pour enfiler les vêtements de secrétaire qui avaient été cachés là pour moi.

Alors que je boutonnai mon jean, la porte s'ouvrit avec fracas sur l'un des gardiens. Il posa les yeux sur moi en fronçant les sourcils.

— Judith ? Je vous ai vu sortir il y a moins d'une heure.

Je ne me démontai pas.

— Je n'étais plus certaine d'avoir fermé, déclarai-je en désignant le meuble derrière moi.

L'homme hocha la tête, l'air pressé, et me fit signe de sortir. Il ne vit rien au subterfuge.

— Que se passe-t-il ? l'interrogeai-je en contournant le bureau.

— Une des détenues s'est échappée. La métamorphe d'Epsilon. Suivez mes collègues, ils vous mèneront dehors.

Je m'exécutai, masquant un sourire. S'il savait... J'en connaissais un qui n'allait pas tarder à se faire virer pour ne pas m'avoir demandé une preuve de mon identité en situation de crise. Tant pis. Ça fera toujours un garde en moins pour le prochain détenu qui voudra s'enfuir.

Je suivis la masse d'employés et de gardes qui se dirigeaient vers la sortie en gardant la tête baissée. Si quelqu'un pensait avoir affaire à Judith et venait me parler, j'allais me trahir. Je ne connaissais personne, et ne savais pas de quoi je pouvais converser avec eux.

Sans soucis, j'arrivai sur le parking où une foule était déjà rassemblée. Je levai les yeux pour regarder autour de moi, vérifiant que personne ne faisait attention à moi ou ne me surveillait puis je partis dans la direction où l'on m'attendait. J'arrivai dans la rue au moment où un individu en costard montait dans une voiture que je connaissais très bien. Il laissa la portière ouverte à mon attention, alors j'accélérai le rythme pour ne pas le faire attendre. En quelques pas, je me retrouvai devant le véhicule et grimpai à l'intérieur. L'habitacle sentait le cuir, comme toujours.

La banquette en face de moi était occupée par mon patron. Son costume noir taillé sur mesure ne laissait place à aucun pli et ses cheveux peignés avec trop de gel à mon goût étaient toujours parfaitement coiffés.

— Chef, le saluai-je une fois ma petite inspection finie.

Il me sourit pendant que je m'installais à l'autre bout de la voiture. Secouant la tête pour faire retomber mes cheveux sur mes épaules, je repris ma véritable apparence. Ma chevelure rousse reprit sa teinte noire et les traits de mon visage redevinrent miens.

— C'est un plaisir de te revoir, m'accueillit-il.

Je levai les yeux au ciel. Il n'y avait qu'une seule chose qui l'intéressait chez moi.

— Menteur, tu veux juste les infos que tu m'as demandées et pour lesquelles j'ai dû me faire enfermer.

Il sourit, et tendit la main dans ma direction, sans même essayer de me contredire. Je sortis le papier subtilisé plusieurs jours auparavant de ma poche et le lui donnai. En échange, il me jeta un sac de sport qui trainait à côté de lui. Il était basique. Un bagage pour étudiant tout ce qu'il y avait de plus normal. Mais rien ne l'était avec le patron. Je l'attrapai et le posai sur mes genoux en fronçant les sourcils.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Ouvre, m'ordonna-t-il.

Je lui obéis, et défis la fermeture éclair. Il n'y avait que des vêtements dans le bagage. Je sortis le premier qui me tomba sous la main. C'était une veste d'uniforme. Scolaire. Je l'observai plus attentivement. Elle était à ma taille.

— Qu'est-ce que tu veux que je foute de ça ? lançai-je.

Je n'étais plus allée à l'école depuis plusieurs années, je n'allais pas en avoir la moindre utilité. Ce n'était pas les études qui allaient m'aider à obtenir ce que je voulais.

— J'ai besoin de toi pour une mission à l'institut Onyx, m'apprit-il.

Je haussai un sourcil désinvolte.

— Refile tes basses besognes à quelqu'un d'autre. J'suis pas là pour ça, tu le sais très bien. J'ai accepté de me faire enfermer pour te refiler des infos uniquement parce qu'un certain enfoiré était censé venir dans la semaine. Finalement, il n'a pas pointé son cul et j'y suis allée pour rien.

Quelque chose dans l'étincelle qui éclairait son regard me donna l'impression qu'il ne m'avait pas encore tout dit. J'attendis donc la suite avec impatience.

— Cette fameuse personne vient d'être engagée comme professeur. Accepte, et tu le verras tous les jours. Tu ne vas quand même pas laisser passer une occasion pareille ?

Mon regard s'éclaira d'une lueur de vengeance à l'entente de cette explication cependant,un détail me fit froncer les sourcils.

— J'ai vingt ans. Comment tu veux réussir à me faire accepter ?

— Il y a eu des travaux dans le gymnase de l'Institut. Il a été inutilisable toute l'année, donc la dernière classe avait été dispensée de cours de pratique des Dons sur toute la période scolaire. Ils reprennent cette année, et une place était libre pour une élève supplémentaire. Ton âge n'est pas un problème, tu auras le même que les autres.

Je fronçai les sourcils. Son argument tenait, mais quelque chose d'autre me titillait.

— L'institut Onyx ne fait pas partie des établissements scolaires dotés d'un dispositif capable de repérer la métamorphose ? l'interrogeai-je.

— Si, répondit aussitôt Chef. C'est exactement pour cette raison que tu iras sous tes véritables traits. Tu ne sors jamais lorsque tu n'es pas métamorphosée. Personne ne saura que tu es ma métamorphe. Alors, toujours décidée à laisser l'un de mes subordonnés faire le boulot à ta place ?

Je souris, pour la première fois depuis un temps considérable.

— La vengeance est un plat qui se mange froid, et la mienne refroidit depuis trop longtemps.

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