ILLUSION 9 - LE PARDON
Des années plus tôt. Loin, très loin du présent.
CLARENCE
Je pensais l'affaiblir en la liant à moi. Je m'étais aveuglée. Et affaiblie moi-même.
C'est moi qui m'étais liée à elle.
Moi qui m'étais attachée à ce petit bout de légèreté que je croyais dénué d'intelligence.
Jamais je n'aurais estimé ma sœur capable d'une telle calomnie. Listi. L'adoratrice de la justice, de la vérité, la pureté incarnée. Listi. La trahison.
Les travaux scientifiques furent repris par quelques Ouvriers s'autoproclamant chercheurs. Athaïs à leur tête. Ils me tinrent à l'écart de leurs avancées.
Le peuple était partagé entre une curiosité frénétique et une peur xénophobe. « Sont-ils dangereux ? » semblait murmurer la foule.
Tant de mots résonnaient sur les lèvres sans jamais me rendre hommage. À cause d'elle, je restais dans l'ombre de mon immense découverte.
Mais elle se trompait sur moi.
Je ne possédais rien d'autre que des ambitions.
Pas même des limites.
Peu de temps après l'annonce de la Reine, je pris plaisir à me montrer à elle plus peinée qu'en colère. Listi, navrée par l'état dans lequel elle pensait m'avoir mise, tenta de m'approcher, gênée.
— Clarence...
Ses petites mains croisées devant ses jambes serrées. Son regard plombé par la honte, fuyant lâchement le mien.
— Je suis venue pour m'excuser...
— C'est un peu tard.
Mon ton n'était pas froid, pas cassant. Il était triste, terriblement triste. Rien de mieux pour culpabiliser. Torture d'une douleur fautive.
— Clarence, si tu savais comme je m'en veux ! Pardonne-moi...
Elle se jeta dans mes bras en sanglotant.
Tu es pathétique. Si la Colonie t'aime, c'est parce que je t'ai toujours couverte.
Je la consolai, lui jurai que tout allait s'arranger.
Ce qui, dans un sens, était vrai.
Elle me crut, cette idiote.
Et se laissa diriger comme une marionnette obéissante.
Tu veux te faire pardonner. Alors écoute-moi. Et suis-moi.
— Quel est ton plus grand rêve, Listi ?
Comme je l'avais fait pour Ténéré, je déverserai mes ambitions dans son oreille. Mes ambitions, déguisées dans son idéal.
Ténéré. Où était-il depuis ces années qui devenaient lointaines ?
Grâce à moi, Ténéré avait atteint son apogée. Il construisait. Sans contraintes. Il construisait dans l'espace hors de contrôle de la Nature. Celui attribué à la Mort.
Grâce à moi, Ténéré était la Mort. Et grâce à lui, j'avais un caisson fonctionnel pour mettre au monde des êtres pérennes.
— Mon plus grand rêve ?
Sa bouche entrouverte. Son regard vaporeux. Sa désolante ingénuité.
— Je te connais, ma sœur, tu ne veux pas de tout ça. La Colonie, le pouvoir, le don de Vie... toutes ces responsabilités, ça doit t'épuiser. Tu es frêle, tu es délicate... Je sais ce qui est bon pour toi. Tu me fais confiance ?
Tu n'as pas le choix.
Elle essuya ses yeux, renifla. Acquiesça.
Pathétique.
Je serai restée bouche bée si je n'avais pas dû tenir mon rôle.
— Les terres humaines sont prospères. Athaïs et toi, vous pourrez y vivre heureux. Tu te feras aimer là-bas, comme ici. C'est naturel chez toi. Je sais comment traverser. Envoie tes scientifiques étudier les humains. Et s'ils donnent leur accord, pars t'épanouir avec celui que tu aimes. Je te remplacerai.
Pars. Loin de moi. Loin du mal que je pourrai te faire.
Lentement, en avalant laborieusement sa salive, elle secoua sa tête penchée.
Je copiai sa posture.
— Que pensera la Colonie ? Elle se sentira abandonnée ! gémit-elle, incertaine.
— Listi... Tu n'aimes pas la Colonie. Tu ne l'as jamais aimée. Ne l'utilise pas comme excuse.
Après tes trahisons, je te tends encore la main pour t'offrir ton rêve. Tu devrais plutôt t'inquiéter de ce que moi je ressens.
Ses yeux papillonnèrent, puis elle me servit un sourire gêné. Elle devint plus confuse.
— Mais... je suis la Vie. La Vie ne peut pas être remplacée.
— Tu t'inventes toujours des limites. Pourquoi tu recules encore ?
Tu n'as aucun courage.
— Mais... Tu es une Néoténique... Tu vieilliras. Puis tu mourras vers cent ans et... Et ils verront le mensonge ! Non ! Pas de mensonge ! C'est interdit Clarence.
Du bout des doigts, je poussai vers elle le verre soufflé empli d'un liquide mordoré qui trônait sur ma paillasse.
— De l'Ernam, commentai-je. Mon nouveau chef-d'œuvre. Je te passe la composition. Celui-ci est pour Athaïs. S'il en prend trois gouttes tous les jours, il vivra aussi longtemps que toi. Je ferai la même chose pour moi.
Ta longévité est reproductible.
— Mais mon Îven ? Et ma peau ?
— Îven synthétique. Il ne servira pas en public. Et, tu imagines bien que j'ai déjà relevé un défi si accessible que changer la couleur d'un épiderme.
Plusieurs fois, j'ai joué à être toi. Et personne n'a rien vu. Tu es remplaçable.
— Et les œufs ? Comment tu vas maintenir la Colonie sans mon pouvoir de Vie ?
— Avec le caisson que m'a construit Ténéré, je peux donner la vie à autant d'œufs que toi.
Tu es dispensable.
Elle sourit nerveusement. J'effleurai sa joue. Si douce. Léger mouvement de recul. À mon tour, je lui dévoilai mes dents. Grimace forcée.
Malgré tout ce que j'ai fait pour toi, je continue de te terrifier. Qu'est-ce que tu veux de plus ?
— Nous nous ressemblons beaucoup, murmurai-je en confidence. Personne ne verra que j'ai pris ta place. Émalique est qualifié, il maintiendra son rôle. En réalité, c'est lui qui règnera, comme aujourd'hui. C'était sensé de ta part, de lui donner le pouvoir de cette façon. Il s'occupera bien de la Colonie et je garderai ton icône.
Tu n'as jamais eu de raisons d'avoir peur de moi.
Maintenant si.
Tremble. Chiale. Supplie-moi.
Tu m'as trahie.
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