ILLUSION 19 - LA FIN
Nos trois silhouettes dans le Hall des esprits se séparèrent. Aaron traversa le premier. Le premier à rejoindre la réalité. Passendre me lança un regard tendre, puis fit surface à son tour. Moi, je ne voulais pas sortir. Pas tout de suite. J'avais une pensée à poursuivre. Une pensée que seul ce lieu me permettait de formuler.
L'illusion, comme la beauté, est dans l'œil de celui qui regarde le monde. L'illusion est un filtre sur la pupille, un filtre tissé de pensées, de préjugés, de besoins et de désirs. Je suis l'œil. Couvert de filtres. Couvert de l'envie de voir ce que je désire.
Les gens sont rarement ce qu'ils prétendent être, leur œil porte les mêmes filtres. Leur visage est dissimulé sous des couches plus ou moins nombreuses, plus ou moins épaisses, plus ou moins hypocrites. J'ai gratté jusqu'à ce que leur maquillage s'effrite, j'ai déchiré mon filtre à vouloir regarder à travers. J'ai eu peur.
J'ai abaissé les boucliers, brisé les carapaces et arraché les étiquettes. J'ai traversé la folie, affronté la peur et fait face au désespoir. J'ai enchaîné la haine, la vengeance et la violence. Dompté l'ignorance et consolé l'ego.
Je ne suis plus ni une enfant des rues, ni la marionnette d'une reine, ni la tueuse de cet homme en noir, ni celle de ces violeurs, ni la compagne d'armes de Côme, ni la protégée d'Annie, ni l'amie de Jérémy, ni la sœur d'Aaron, ni la livreuse du Chibiki, ni la protégée d'Émalique, ni l'élève de Baësile, ni la voleuse de portefeuilles, ni la protectrice de Marie, ni la naïve de Mérope, ni l'assassine de Mona, ni la suspecte d'un trafic de drogue, ni la magicienne des touristes, ni l'humaine, ni la Listienne, ni la créature de laboratoire, ni la résistante, ni la suiveuse, ni la penseuse, ni la guerrière, ni la paumée, ni la peureuse, ni l'Anomalie, ni la vengeance de quiconque.
Et derrière la boue croûteuse des illusions, derrière les filtres de chacun, il y a la réalité.
Il y a mon visage.
Et je me suis reconnue.
Et j'ai su.
Su que face à la peur, je trouve la violence.
Que face à la violence, je cherche la justice.
Que face à la justice, je joue des failles.
Que face aux failles, je tire le profit.
Que face au profit, je deviens prudente.
Que face à la prudence, je veux la fougue.
Que face à la fougue, je me sens joyeuse.
Que face à la joie, je trouve l'attachement.
Que face à l'attachement, je découvre l'amour.
Que face à l'amour, je vois la faiblesse.
Que face à la faiblesse, je prends peur.
Et que face à la peur, je trouve la violence.
C'est cette boucle, sans cesse répétée, qui me traînait dans ce sentiment profond de malheur, puis de soulagement, presque le bonheur, puis la fatalité finissait toujours par me faire retomber.
Non.
Pas la fatalité.
Pas la mauvaise étoile.
Moi.
Moi, je me faisais replonger.
Moi, je brisais mon bonheur.
Moi, je n'osais pas quitter cette boucle, parce que cette boucle, c'est moi.
Et c'est mon visage.
Et puisqu'il n'y a plus ni de jour, ni d'heures, ni de minutes, alors je me contenterai des secondes pour vivre. Vivre sans ce maudit visage. Sans la peur ni la violence.
Alors, je forçai l'obscurité à me frayer un passage.
Parce que je n'étais plus rien, plus rien de vraisemblable, de vif ou de tangible, j'étais une idée.
J'ouvris les yeux (sans filtres ?), yeux de ce corps dissocié, inspira l'air, l'air dactylographié. Mon menton lourd au bout de mon visage (quel visage ?) rendait ma bouche difficilement contrôlable. Mais je m'en foutais. Je me foutais de la vérité médicale (la vérité de qui ?) qu'un corps est mort quand son cœur ne bat plus. Je n'étais plus un cœur dans un corps. Je me foutais des affreuses douleurs qui me cisaillaient Je n'étais plus la douleur. Parce que je n'obéissais plus à la vérité de personne. Je n'obéissais plus aux pensées de quiconque.
Parce que je faisais partie de la réalité (laquelle ?).
Parce que je faisais partie du tout.
J'ai laissé derrière moi jusqu'à mon nom.
Je ne suis plus Iris.
Je suis une idée.
Et mon récit n'est plus mon histoire.
C'est une idée.
Idée précieuse.
Négligée.
Que personne ne peut savoir qui il est sans que ses illusions soient brisées.
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