ILLUSION 12 - L'AMOUR

Quelques années plus tôt. Pas si loin du présent.

LISTI

Étagères couvertes de jouets aux teintes pimpantes, murs tapissés d'affiches de films et de posters de chanteurs, petite chaise en rotin repoussée dans un coin. Matelas moelleux contre son dos. Odeurs de lavande et de lessive le berçant dans une sensation enfantine de plénitude.

Adam contemplait le plafond, et je le regardais. Étrangère à lui, je restais souvent de longues minutes à ne savoir quoi dire, à ne savoir quoi faire. On avait passé plus d'une vie à s'occuper de moi, et je me trouvais incapable de m'occuper des autres.

Adam respirait difficilement. Pas de peine, pas de douleur. En moi trônait le malaise. Malaise accentué par la distance que prenait mon âme avec le réel.

Tout glissait. La Mort aurait pu le saisir devant mes yeux que je ne me serais pas sentie plus impliquée. Est-ce que quitter Plena avait été une erreur ?

L'image m'effleura. Clarence me rendant ma tenue de Reine et mes pas empruntant le chemin du Koruso sous les regards bienveillants. Serait-ce un jour possible ? Clarence accepterait-elle de revenir en arrière ?

Clarence. Son existence n'apparaissait que périodiquement dans mes souvenirs d'enfance. Depuis quand avait-elle pris tant d'importance dans ma vie ?

Tant de place.

J'étouffais.

Adam hoqueta, puis se roula en boule. Avant de disparaitre derrière ses paupières rougies, ses yeux me lancèrent une accusation silencieuse.

Puis la porte sonna, et je sortis. Athaïs travaillait à cette heure, ça ne pouvait être qu'elle.

Clarence portait un pantalon carotte beige, une large chemise en lin et des cernes. Ses lèvres se déformèrent dans son sourire asymétrique, ce sourire qui me figeait. Et sa manière de détailler mon corps comme si elle voyait à travers.

J'avais toujours trouvé son regard bruyant. Comme si tous les silences que gardait sa bouche se compensaient par la cacophonie des pensées qui transparaissait dans ses iris.

Naïo, ma sœur.

— Qu'est-ce que tu veux ?

— J'ai un cadeau pour toi.

Elle se tourna. Dans son dos, un porte-bébé. Et un bébé dedans. Rose, replet, les yeux clos et la bave sur le menton. Son cou mou, ses mains épaisses et boudinées. Son minuscule corps grassouillet dont s'échappaient deux moignons de jambes. Un être moignon. Encore un être à nourrir, à bercer, à faire sourire. Encore de l'énergie à donner, de l'amour à générer. Pour faire comme les humains.

Je n'avais pas été élevée comme ça. Aucun membre de la Colonie n'était élevé comme ça. Les Ouvriers grandissaient dans le centre de naissance et passaient leur temps à écouter les instructeurs débiter des vérités. Les Royaux n'avaient que peu de contacts avec leurs géniteurs, je ne me souvenais que d'avoir parlé une dizaine de fois à Izia ma mère, et jamais à Féréson. C'était Otto, notre interlocuteur. Et l'amour du peuple m'avait suffi. Mais les humains voyaient d'un mauvais œil les parents distants. Il fallait « donner de l'amour maternel ». Donner de l'amour ? L'amour fait brûler les ventres, s'embrasser les lèvres et coller les corps. Qu'y a-t-il de maternel dans l'amour ? L'amour est un désir. C'est l'expression physique du devoir de procréer. Qu'y avait-il à désirer dans un corps-moignon ? Qu'y avait-il à recevoir ?

Allais-je encore disparaître ? Comme j'avais disparu des yeux d'Athaïs à l'arrivée d'Adam ? À quel plan allais-je passer ? Au troisième ? Les aimaient-ils plus qu'il ne m'aimait moi ? Que serais-je sans l'amour des autres ?

Un fardeau.

Voilà ce qu'était son cadeau.

Je te déteste, Clarence.

Ma pensée avait été si forte qu'elle avait franchi la barrière de l'audible. Un haut-le-cœur me fit perdre l'équilibre. Avais-je vraiment parlé à pleine voix ?

Allait-elle frapper mes joues ? Me cracher ses mots aiguisés comme des lances ? Préparer un tour de ses sciences pour détruire ma maison ? Chercher Athaïs pour me dévaloriser à ses yeux ?

J'attendais ma punition comme une enfant priant pour que le monstre disparaisse.

Mais le monstre changea de visage.

Et elle me sourit. Un sourire différent.

Et elle abandonna délicatement le sac sur le sol. Le bébé dedans.

Et elle descendit les escaliers.

Pour la première fois, je la vis pleurer. 

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