ILLUSION 11 - LA PAIX

Des années plus tôt. Loin, très loin du présent.

Clarence fit ouvrir un passage par Passendre vers les terres humaines.

Puis Ténéré fit construire le Refuge dans la montagne dans laquelle le passage s'ouvrait.

Puis les Ouvriers chercheurs le traversèrent, Athaïs parmi eux. Et commencèrent à chercher.

Puis, se dessinèrent les traces sanglantes qu'ils laissèrent dans leur sillage. On les nomma les Loyaux-Chercheurs, pour la postérité. Leurs découvertes restèrent secrètes.

Puis la Peste humaine s'en prit à eux. Et ils périrent un à un.

Puis, malgré l'interdiction formelle, Listi autorisa Athaïs à traverser avant la découverte d'un remède. L'amour qu'elle lui portait lui aurait fait franchir toutes les limites. Même celle de la raison.

Puis, la Peste qu'il portait en plus de son amour brûla la Colonie de son feu mortuaire.

Puis Clarence chercha un antidote.

Puis elle proposa l'Ernam comme traitement, empêchant l'altération des cellules. La production était infime. Trop. À peine assez pour approvisionner la moitié de la population.

Puis Listi choisit. Elle prit la décision la plus froide et la plus détestable. La plus basique. La plus logique aussi.

Renoncer aux Néoténiques.

Puis il y eut la cérémonie de l'Uki. Celle où Ewa se présenta. Elle et son ultimatum.

Puis le présent dérapa dans le sang.

Puis, les Néoténiques furent sacrifiés. Laissés sans barrières face à la Peste. Trois individus subsistèrent au massacre viral. Clarence, protégée par le privilège d'être la créatrice du breuvage sauveur. Ténéré, protégé par le fait d'être la Mort en personne, et dissocié de l'espace mortel. Et Ewa, protégée par un gène extraordinairement résistant.

Puis, n'ayant plus d'hôte à tuer, ce fut la Peste qui rendit l'âme. Et le Carnage Immaculé mené par Ewa figea Plena dans la peur.

La peur qui flottait au-dessus des cadavres des martyres.

Puis Clarence hésita à rejoindre les membres de cette résistance qu'on surnommait les Aranéens.

Puis elle se ravisa, et choisit la voie de la logique. La voie de la Colonie. Elle choisit de poursuivre ses recherches sur les Homo sapiens, peaufiner ses plans d'avenir en attendant que la guerre du poison s'essouffle. Mais la guerre n'aime pas être négligée. Alors, lorsqu'on captura Ewa, Listi la condamna à la peine de mort.

Puis Clarence s'y opposa, et inventa l'Opalescence. L'alternative parfaite.

Puis sa création fut reprise, et les opposants un à un capturés et lobotomisés. Elle assista à chacune de ce qu'elle nommait « exécution ». Plus que d'y assister, elle s'en servit pour stocker la mémoire subtilisée aux condamnés. Elle souffrit.

Puis, des centaines d'années plus tard, des dizaines de générations d'Ouvriers plus tard, vint le jour où tout fut prêt.

Vint le jour où Clarence fit l'ablation des Îvens de Listi et Athaïs, qui s'appelaient désormais Nathalie et Arthur Guérin. Et vint le jour où ils devinrent de parfaits petits humains de vingtième siècle. D'apparence, de pensée, de mœurs. Conservés par la puissance antioxydante de l'Ernam, ils paraissaient si jeunes.

Puis, vint le jour où Clarence devint Listi. Elle devint Reine à sa place et personne n'en sut rien. Personne à Plena. Sauf Émalique.

Émalique, le fidèle Émalique, brisé de voir s'éloigner à jamais la personne qu'il aimait, brisé par son désir contre nature, brisé de devoir rester aux côtés de Clarence.

Puis Clarence créa le Renz, un super aliment synthétique qui remplaça bientôt toutes les autres matières premières. Dans les ombres de la Ruche, elle faisait naître les nouvelles générations d'Ouvriers. Des œufs parfaitement similaires à ceux dont pouvait accoucher Listi grâce à sa capacité de vie. À la différence que les Ouvriers ne possédaient plus d'Îven. Pas que Clarence ait échoué, au contraire, c'était volontaire. Un gain d'énergie, une sécurité pour le futur, une évolution régressive contrôlée... La Colonie prospéra. Comme jamais auparavant.

Puis on la surnomma la Reine de l'abondance.

Mais Clarence n'était pas une Reine. Et diriger n'était pas son rôle. Alors elle fit ce qu'elle savait le mieux faire : créer.

Un enfant, tout d'abord, pour « Nathalie et Arthur ». Un enfant mélangeant leurs ADN. Elle leur offrit comme un présent ce petit humain fripé et gémissant qui sortait tout droit de son caisson. Adam, l'ont-ils baptisé. Un parfait nom humain. Elle se souvint du radieux sourire que sa sœur lui avait adressé. Un sourire pour elle.

Rien que pour elle.

Puis, pour la première fois, elle crut entrevoir la paix.

Puis, ce fut la ruine.

Adam tomba malade. Non. Il était malade. Il était né ainsi : défectueux. Listi, Nathalie plutôt, accusa Clarence de l'avoir créé de cette façon volontairement.

— Tu m'avais promis que tu me donnerais un enfant ! avait gémi l'humaine néophyte.

— Et alors ? C'est ce que j'ai fait, non ? Tu l'aimes moins parce qu'il est malade ? Tu l'aimes moins parce qu'il va mourir ? avait-elle ricané au visage de sa sœur, livide, qui tenait à peine la tasse de café tremblant dans ses mains.

Puis Nathalie s'était tue. Comme incapable de prononcer les mots qui la démangeaient. « Donne-m'en un autre » hurlait pourtant son regard, et Athaïs le lut. Il fut furieux. Et fit fuir à coups de grands cris la scientifique de leur vaste appartement francilien avant que les mots puissent être prononcés. Il avait si peur que sa chère et douce femme les prononce, ces mots cruels.

Et Clarence en jubilait.

« Le masque tombera... » pensait son cerveau en boucle.

Et elle laissa le temps passer. Une poignée d'année dans sa vie d'immortelle. Elle s'absentait de plus en plus souvent de Plena, nul ne savait pourquoi. Pas même Émalique. Seule la Mort, du haut de son statut, observait le manège incessant de la faiseuse de rêve.

Qu'elle aurait aimé être ainsi nommée...

La faiseuse de rêve, donc, préparait en secret la réalisation du sien.

Faire évoluer les humains en Listiens.

Car depuis longtemps, elle savait. Elle savait que les listiens étaient le stade supérieur de leur évolution. L'Îven n'était ni la marque d'une déité ni celle d'un mystère de l'ombre. C'était simplement le stigmate de la transformation de la crête neurale juvénile des humains en adulte. La néoténie en était la clé, et ceux que les Listiens nommaient Néoténiques n'étaient autres que des humains. Rien ne les différenciait.

Car depuis longtemps, elle savait.

Qu'elle était humaine.

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