3 - Leblanc : La mascarade et le déluge
Tu me crois la marée
et je suis le déluge.
VICTOR HUGO
MARDI 8 JANVIER
11:12
CAMILLE LEBLANC
Presque deux semaines s'étaient écoulées depuis le transfert du corps de Yohan Dieu à l'hôpital Saint-Louis dans le dixième arrondissement. Il était plongé dans un état de vie artificielle mais son cerveau était mort.
Juste de quoi étudier les effets de la drogue sur son corps.
Chaque jour, depuis, je me rendais dans ces locaux puants en espérant apprendre quelque chose. N'importe quoi qui puisse briser l'atroce engourdissement des ventres repus aux crânes saturés de remontrances familiales. Les périodes de fêtes m'exécraient...
Tandis que je me rendais une nouvelle fois au chevet du comateux, un médecin hirsute s'approcha de moi avec la lenteur adaptée à ces temps de foie gras.
— Encore dans mes pattes, Camille ? plaisanta-t-il avec un accent créole délassant.
Thaïs Honoré était un bon thérapeute. Assez bon pour ne pas s'être laissé biaisé par la version officielle. Je l'avais pourtant bien baratiné, racontant que le type avait pris un mauvais cocktail d'opiacé et de coke. À l'évidence, mon histoire l'avait intrigué. Et les tests poussés d'analyse de la molécule du psychotrope l'avait conduit tout droit à notre SMPC. J'avais reçu son appel en plein milieu de la nuit. Sa franchise avait dissipé mes réticences et, sans en parler à Édron, j'avais mis le docteur dans la confidence...
J'aurais mieux faire de fermer ma gueule...
Il prenait à présent un plaisir fatiguant à agir comme un personnage de série policière. L'enquête excitait sa curiosité, son imagination aussi... Sa manie de tourner ses phrases comme des répliques de films ne faisait rire que lui. Cependant, je m'étais attaché à sa bouille joyeuse et, surtout, à son professionnalisme d'une grande aide.
— Je t'ai appelé tout à l'heure, pourquoi t'as pas répondu ? continua-t-il en fouillant dans ses poches pour ressortir un petit papier froissé.
Je ne lui avouai pas avoir volontairement occulté son appel et me contentai de saisir la feuille qu'il me tendait. Il expliqua d'une voix conspiratrice :
— Les résultats de l'analyse. Si tu veux mon avis, notre gars, enfin ce qu'il en reste, va passer un sale quart d'heure. La migration a déjà déchiré ses organes, pourtant les myocardiocytes continuent de se multiplier partout dans son corps. Franchement, si demain il est pas vraiment mort...
— Qu'est-ce que ça veut dire « marqueurs anormaux à 6 microgrammes par litre » ? citai-je, les yeux fixé les lignes étranges.
Mon regard de profane peinait à donner un sens à ces lettres absconses. Il se pencha sur le papier, son odeur de café ranima mes narines anesthésiées par l'antiseptique.
— Justement, j'allais t'en parler. Notre gars, enfin ce qu'il en reste, a vraiment un soucis ! Je m'attendais à trouver des marqueurs tumoraux, pas ces trucs ! Franchement, Camille, j'ai jamais vu ça de ma vie... C'est comme des... des chaines de protéines.
Il entrepris de mimer son propos.
— C'est comme plein de chaines toutes recroquevillées, qui seraient générées depuis les cardiomyocytes et qui seraient diffusées dans l'organisme par le cœur. Elles s'accrochent aux hématies et, c'est comme si après ça elles se mettaient à générer un faible champ magnétique.
— Comment c'est possible ?
Le médecin haussa les épaules, ajustant le col de sa blouse.
— J'ai l'habitude de récupérer des jambes cassées, pas des mutants...
— Alors il va falloir te spécialiser, j'ai besoin du moindre détail des effets de cette merde. Il faudrait isoler les composants du SMPC aussi, savoir quelles peuvent être les matières premières.
— C'est déjà fait ! s'écria-t-il en m'offrant un large sourire. J'ai mis mon compte rendu dans sa chambre.
Il avait beau être difficilement supportable, cet excentrique débordait d'une énergie contaminante. Légèrement plus confiant, je me glissai à sa suite dans le box du patient. Toujours plongé dans sa vie artificielle. Sa peau cireuse me donnait mauvaise conscience.
— Tiens, ça t'aideras pas si je t'explique pas, mais des fois j'aime bien sentir ma supériorité !
Il me tendit le dossier que je ne pris même pas la peine d'ouvrir.
— Arrête tes conneries, j'ai pas de temps à perdre... C'est quoi les matières premières.
Surexcité, il tentait de contenir son intérêt enfantin pour l'enquête en s'asseyant sur la petite chaise tubulaire. Il écarta les bras pour amplifier son emphase.
— Ça n'a pas été facile, je vous l'accorde mon cher Watson, mais j'ai réussi a isoler une toxine. Une toxine générée par de l'ADN !
— Générée ?
— C'est ce que je viens de dire, oui...
Je jetai un œil fiévreux aux papiers indéchiffrables. Alors la Quintessence n'avait pas modifié l'ADN d'Iris, c'était l'ADN d'Iris le générateur de Quintessence...
À son insu ?
— Cette... « toxine », elle est sécrétée par une personne ?
— Difficile de le dire avec certitude mon cher Watson... Mais l'idée est pas totalement stupide je vous l'accorde. On pourrait même aller jusqu'à dire qu'elle est issues de glandes sudoripares.
— De la sueur ?
— Tout juste ! s'emporta-t-il en croisant les jambes. À voir ta tête je crois que tu as une petite idée de ce qui se passe...
Le scénario étrange se modela. Scénario étrangement crédible. Et si Iris était la source même de cet molécule et Yohan le releveur de la matière première ? L'appareil blanc trouvé dans son appartement serait le matériel de prélèvement.
Il habitait sur le même palier qu'Iris, il aurait été facile pour lui de prendre le produit sur ses effets personnels dès qu'elle sortait, un double des clés et l'affaire était réglée. Il ne lui suffisait qu'à insérer ses prélèvements dans la centrifugeuse de précision. Et le produit vicieux naissait.
Joshua Willem était peut-être même dans la confidence, voilà pourquoi il n'aurait pas viré Iris de sa résidence qu'elle ne payait plus.
À bien y regarder, le tissage de cette histoire ressemblait plus à une expérience scientifique à grande échelle qu'à une véritable filiale de stupéfiants.
Dans ce cas, l'enquête ne concernerait plus les STUPs.
Et j'en serais écarté.
Non. Cette affaire était devenue bien trop personnelle pour que je l'abandonne aux mains d'un autre. Un autre qui ne lirait pas l'innocence dans les yeux d'Iris. Un autre qui briserait les derniers liens qui maintenait son maigre corps à la vie.
Non.
Je désignai le drogué du menton :
— Théoriquement, on peut survivre à ça ?
— Survivre, c'est un grand mot dans son cas mais... Si la dose est administrée avec extrême précision... Oui. Pas assez et les cardiomyocytes se contenteront de se multiplier pour faire une jolie tumeur mortelle, trop et la migration du nouvel organe sera trop rapide et déchirera les autres tissus... C'est se qui s'est passé pour lui.
J'avais tué cet homme en sous estimant son meurtrier. Je l'avais condamné. Le méritait-il ?
— Et si quelqu'un sécrétait naturellement cette substance ? Est-ce qu'elle pourrait la transmettre à quelqu'un d'autre juste en le touchant ?
— Dites-moi tout, Watson...
Sans plus contenir mes théories, je déballai tout à ce drôle d'inconnu. Iris. Cette inexplicable blessure que j'avais vu en elle. Cette inexplicable blessure qu'elle avait ravivé en moi. Ce qui était improbable, et possible. Ce qui semblait nous échapper, mais qui ne faisait que nous suivre. Édron m'aurait foudroyé. Mais je me foutais bien de ce que mes supérieurs penseraient. Je ne me battais pas pour le devoir d'un uniforme. Pas pour la gloire. J'avais déjà enfreint les règles. Brisées les obligations. Je ne me battais pas pour elles.
Je me battais pour la vérité.
— Mon cher Watson, repris le médecin en m'entrainant dans le couloir, je crois que cette enquête vas nous triturer les méninges...
— Arrête de m'appeler comme ça... Et puis de nous deux, c'est plutôt moi Sherlock Holmes.
À nouveau, Thaïs dévoila ses dents brillantes. Nous marchions d'un pas prometteur, presque léger. Cet allier me serait utile. Une sincère compassion transperça sa voix lorsqu'il me tapota l'épaule :
— On la sauvera, ta gamine...
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