25 - Refuge : L'adieu du cœur

Écoute le vent, il parle...

Écoute le silence, il murmure...

Écoute ton cœur, il sait...

PROVERBE SIOUX

JEUDI 27 DÉCEMBRE

10 : 00

IRIS

Oxygène. L'air qui entrait dans ses poumons lui était servi devant son petit nez enfantin.

Elle referma doucement la porte en prenant soin de ne pas déranger l'opération mais de faire suffisamment de bruit pour signaler de sa présence. Elle resta en retrait.

Teint verdâtre. Ses fins cheveux blonds s'emmêlaient autour de sa tête. Couronne de fils d'or. Les mouvements précis d'Athaïs qui entaillait le corps de Marie. Le scalpel qui fendait la peau lisse.

Une sphère aplatie, kaki, s'extirpa peu à peu de la chaire ouverte.

L'hémoglobine qui s'échappait à la robe malade. Pour Iris, c'était les coulures de moisissures qui ornaient les murs de son clapier parisien. L'odeur métallique restait la même.

Odeur oxymorique.

Synonyme de mort et de vie.

Sang.

Elle tremblait. Athaïs posa ses instruments, lava ses mains à l'eau claire, les passa sous une lumière à UV puis nettoya la plaie avant de s'équiper du petit appareil blanc fixé sur le chariot aseptisé.

Très lentement, il se mit à survoler la coupure. Un flash bleu, grésillant, éclairait la zone à intervalles réguliers.

— Ça referme les blessures ?

Athaïs leva la tête. Masqué, une charlotte épaisse retenait ses cheveux, couvert d'une blouse translucide et hermétique. Cernes noirs, regard las, sourcils désordonnés. Le peu de sa personne qui apparaissait contrastait avec l'immaculé de son habit.

— Je peux voir ? le relança-t-elle lorsqu'il retourna vers son travail.

— Reste où tu es, même avec des protections, on risque de la contaminer. Les équipements humains sont précaires.

Odeur d'alcool à quatre-vingt-dix. Il faisait froid. Ses bras serrés autour d'elle, elle planta ses ongles dans sa peau à travers l'épais tissu. Discrète douleur. Fil d'Ariane au réel. Pourquoi Athaïs avait-il demandé sa présence ?

L'intéressé soupira longuement en se redressant. Comme il l'aurait fait pour une veilleuse d'enfant, il alluma la lampe orangée au-dessus du bloc. Le regard qu'il posa sur Marie était doux.

— Vous avez besoin de moi ?

Son dos se vouta légèrement. Incendie enfermé dans une bulle de savon. Démon dans une cage de verre. De sa bouche masquée sortirent des paroles fébriles et puissantes :

— Je t'avais dit de fuir avant qu'elle te détruise. Tu es restée. Tu sais si c'était le bon choix ?

— Pas encore.

Il continua en fermant les yeux.

— Je ne veux pas te faire de mal. Ce n'est pas toi que je dois haïr.

Iris ne bougea pas, ses muscles pourtant tendus étaient prêts à agir. Émotions contradictoires bouillonnant sous son front. Renoncer à poser des questions.

Un mot de plus, une explosion...

— L'avorton, il a dit quelque chose quand je suis venu chercher Marie.

Il se mit à ôter une à une ses protections pour les jeter mollement dans une large poubelle métallique. Pourquoi refusait-il toujours de prononcer le nom d'Aaron ?

— Il pense qu'elle est malade et que c'est toi qui lui as apporté cette merde. Il a dû voir la couleur de ton sang d'une manière ou d'une autre. Il a fait le rapprochement.

Morsure glacée de la trahison.

Un pas en arrière.

Accusation.

N'y avait-il personne à qui elle pouvait donner sa confiance ?

— Mais il a tort. Marie n'est pas malade. Tu ne lui as transmis ni bactérie ni virus qui aurait pu l'empoisonner. Il ne sait pas que le sang terne est une caractéristique des Vies. Votre physiologie est différente des autres Listiens. Vos hématies sont couvertes de marqueurs génétiques pigmentés. Ce sont ces mêmes marqueurs qui vous permettent de créer plusieurs réactions dans la matière là où le commun des Listiens ne peut qu'agiter les molécules ou les compresser... Ils agissent comme un aimant, provoquant un rayonnement magnétique plus important que les quelques marqueurs communs. Plus la Vie s'entraine à utiliser ses capacités, plus ses globules rouges se couvrent de pigments, plus son sang est vert. C'est pour ça que Marie n'aurait jamais dû atteindre une telle couleur si vite... Elle n'aurait jamais dû être une Vie tout court.

Appréhension.

Curiosité. Comment s'entrainer ? Sauvage volonté d'évolution. Ne pas paraitre déplacée. Pour dissiper la tension, il fallait le laisser souffler. Il poursuivit :

— Par contre, ce qu'il a dit est pas tout à fait stupide. Marie est humaine. Cette mutation spontanée c'est pas un hasard. Je pense, Iris, qu'il est envisageable que tu lui aies effectivement transmis quelque chose, pas une maladie, mais... la nature listienne.

Il secoua la tête, agacé par ses propres paroles, puis s'assit sur le strapontin qui jouxtait le lit. Ses mains se joignirent devant sa bouche.

— Ce serait totalement inédit, mais... théoriquement possible. Dans notre culture, il y a un mythe très ancien qui parle de cette capacité. Un mythe qui inspire toujours autant d'admiration et de peur depuis des siècles.

Son genou montait et descendait. Rythme frénétique. Pour le ramener à la réalité, elle osa lancer d'une voix éteinte :

— Alors je peux... « transformer » les humains en Listiens ?

Électrifié. Regard fou sur visage ravagé.

— Je le savais, t'es comme elle. Comme elle ! On devrait te tuer, on aurait dû le faire depuis longtemps !

Adrénaline. Son cœur tapait ses tympans comme un tambour. Mains à plat devant elle, son signe d'apaisement l'arrêta net.

— Je suis pas cette femme, Athaïs. Je sais pas de qui vous parlez, je vous jure.

— Elle aussi se demande si les mythes sont possibles...

Il respirait lourdement, immobile. Comment l'homme posé qui venait d'opérer Marie pouvait-il à ce point changer de visage ? Iris laissa doucement retomber ses bras tandis qu'il partait sortir d'un tiroir un nouveau tas d'équipements aseptisés.

Fuir ?

— Je vais prélever un échantillon de la partie interne de ton Îven, dit-il en revêtant sa blouse, on pourra l'analyser pour comprendre. Je ne vais pas te donner de sédatif, si jamais je deviens violent avec toi, au moins, tu pourras te défendre.

Un bip strident.

Déchira l'air.

Fendit le silence.

— Marie !

Il se jeta sur sa patiente. Le corps de la petite se soulevait, se tortillait de douleur. Son visage à demi dissimulé par le masque se déformait en grimaces de lutte. Iris accouru à son tour, elle chassa les cheveux trempés de sueur qui collaient à son front et saisit sa main. La môme la serra fort. Bouée de sauvetage dans la tempête. Athaïs vérifiait frénétiquement toutes les constantes vitales.

Inutile.

Impuissante.

— Qu'est-ce qui se passe ?

Il lui répondit en s'arrêtant sur une donnée qu'affichait la tablette médicale.

— L'Îven. Il continue de créer des marqueurs. Beaucoup trop de marqueurs.

Il bougea la lampe pour éclairer plus fortement le plastron de l'enfant.

— Faut lui enlever. Le scalpel, ordonna-t-il en lui indiquant le meuble à roulette derrière elle.

Elle le lui fit glisser tandis qu'il lui parlait sur un ton sec et clair.

— Je t'ai demandé pour deux choses : chercher si tu es l'élément déclencheur de sa mutation et t'avoir en solution de secours si jamais j'arrive pas à la sauver.

— Je suis pas médecin !

— T'es plus que ça, Iris. Tu es une Vie. Et si t'en es pas une, c'est que tu es plus encore...

Pour la première fois, le regard qu'ils échangèrent n'avait rien de fou ni d'apeuré. Germe de confiance. Puissance.

Épidermes fiévreux.

Silence tendu.

Mélodie chaotique d'alarme et de grondements.

Elle observa. Images métalliques d'instruments et de sang. Voir l'opération la dégoutait. Mais elle ne pouvait détourner les yeux. Marie. Gamine innocente torturée par une douleur indicible. Il n'avait pas encore imputé l'Îven que, soudain, ses halètements incohérents prirent fin.

— Elle respire pas !

Le listien ôta précautionneusement l'arme blanche de la zone ouverte avant de réajuster le masque à oxygène. Son visage se décomposa lorsqu'il vérifia l'électrocardiogramme.

— Athaïs, son cœur !

Panique. L'homme s'agita. Désespéré. Immobile. Il ne pouvait rien faire. Panique.

— J'ai tout essayé.

Choc.

Parti son sourire.

Partie sa joie enfantine.

Plus jamais la précieuse perle de vie.

Fantôme comme souvenir.

La mémoire des morts est aussi insaisissable qu'un rêve ou qu'un silence. Ils ne sont plus que rêve et silence.

Non.

Élan.

Vertige impétueux.

Force révélée.

Son incompréhension prit fin. Elle leva la tête. Serra la main de Marie. Il y avait un soupçon de prétention dans ses gestes sûrs. Non. Pas à elle. Qui que soit la Mort, elle ne tuerait pas sous ses yeux.

Elle savait exactement ce qu'elle faisait là.

Son crâne tournait. Quelque chose venait de se débloquer. Sentiment étrange de ne faire qu'un avec l'environnement. Proche et lointaine. Elle sentait, elle vivait le tout. Elle faisait partie de plus grand. Dont elle était le centre. Dans son corps, dans celui des autres, dans ceux des oiseaux loin dans le ciel, dans celui des microscopiques insectes loin sous ses pieds. Sens décuplés. Vision transfigurée. Elle voyait la vie. Cette infinie source d'énergie qui fourmillait, inaccessible...

— Je sens...

Elle s'effondra, Athaïs l'agrippa par le bras.

— Oui, accroche-toi à ça ! Rattrape toi à ce que tu sens, Iris, tu peux la sauver !

Cette infinie source d'énergie qui fourmillait, inaccessible...

Inaccessible ? Elle sentait les cellules se mouvoir, elle sentait les liens, les chaines, les organisations puissantes et inexplicables. Elle sentait la vie. Elle était la vie. Inaccessible ?

Souffle.

Impulsion.

La vie n'était qu'un mouvement.

Elle insuffla le mouvement.

Dans son poing crispé, les cellules mortes, immobiles, elle les réactivait. Elle les voyait renaitre. Elle les sentait se régénérer. Elle les sentait s'animer. Impulsion.

Souffle de vie.

Elle ne devait pas mourir.

Respiration.

— Elle... elle respire.

Athaïs balbutiait. Athaïs, une forme grise dont elle devinait les contours. Voile sur son regard. Voile sur ses sens. Lenteur. Elle courait dans un océan de sable.

— Je sens plus...

Ses doigts se refermèrent sur du vide. Elle tombait. Elle coulait.

— ... mon corps...

Sombrer.

Vide.

— Iris ! Concentre-toi sur ma voix !

Elle l'entendait, mais elle était ailleurs. Ailleurs, cet endroit merveilleux où plus rien n'existait.

Elle était bien. Haine, souffrance, peur, elles étaient tapies dans ses paumes. Elles étaient loin de son esprit qui luttait pour disparaître.

Âme libre, séparée de cette encre meurtrie, clouée entre les bras d'Athaïs.

Elle voyait cet homme qui la soutenait toujours en essayant de la ranimer. Elle voyait cette fillette étendue sur le dos, son air serein, son torse qui lentement se soulevait, ces montagnes lumineuses qui se dessinaient régulièrement sur l'écran de l'appareil.

Mais elle voyait aussi cette fille aux interminables cheveux ternes, les paupières closes sur son visage maigre. Des fossés noirs sous les yeux. Des jambes rachitiques.

On dirait que j'ai toujours été morte.

Elle le sentait en elle. Ce gouffre tourbillonnant. Qui la bouffait. La tuait. Petit à petit. Combustion. Était-ce ça, la mort ?

Devait-elle troquer sa vie contre celle de l'enfant ?

Était-ce cela, le pouvoir de cet être effrayant ?

— Je suis désolé, Iris, j'aurais tout fait pour que personne ne meure aujourd'hui.

Vide.

*

JEUDI 27 DÉCEMBRE

11 : 08

ATHAÏS

Faible.

Mes doigts agrippés sur l'écran du bloc-notes numérique. Faibles. Mes épaules qui tentaient de tenir mon corps. Faibles. Mes paupières épuisées qui se fermaient d'elles-mêmes. Faibles.

Il ne fallait pourtant pas que je m'arrête d'écrire. Le petit rectangle de verre se recouvrait peu à peu de mes mots. Il fallait que je tape plus vite. Il fallait qu'Iris sache. J'avais si peu de temps et tant de choses à lui dire. Regret.

À son réveil, j'aurais voulu la serrer dans mes bras. J'aurais voulu m'excuser, je lui étais à jamais redevable. Elle ferait une bonne Reine.

Les visages se démasquent dans l'adversité. Il faut le vent d'une tempête pour les souffler, le vent d'un ouragan. L'ouragan était passé, il ne restait que des débris épars retombant mollement sur les ruines. Mon âme, ce débris qui retombait. Je touchais du doigt le visage derrière le masque. Le visage aux antipodes de celui que j'avais imaginé. Ce visage doux, altruiste, dévoué. Ce visage bon. Iris, savais-tu as quel point ton âme était belle ?

Tu es tout, sauf elle. Et j'ai hâte, j'ai si hâte, que tu la rencontres. Que tu la détruises. Votre rencontre engendrera sa destruction.

Regret.

Je pouvais encore l'aider en donnant mes vérités.

Revenir à la ligne, commencer un nouveau paragraphe.

Iris, sache que je ne t'ai jamais menti. Sache que très peu de Listiens te mentiront. Nous manions les mots, ils sont notre force. Les poings serrés et les langues déliées comme toi ne survivront pas longtemps à Plena. Tu es puissante, mais ta capacité l'est trop pour en faire un atout sur la longueur. Tu n'es pas qu'une Vie, Iris. Je n'en ai eu la certitude que quand tu as pris possession du corps de Marie pour la sauver. Une Vie aurait peut-être pu l'aider à maintenir son énergie, comme je pensais que tu pourrais le faire. Mais, en aucun cas, une Vie peut ressusciter quelqu'un. J'ai eu peur quand j'ai vu que tu n'avais aucun effet sur elle, mais c'est quand elle est morte que tu t'es transfigurée. Je n'avais jamais vu ça, et je ne le reverrai jamais. Tu avais des traces violettes sur le visage. Je crois que c'est le résultat de l'accroissement des marqueurs dans ton sang. Tu voulais savoir comment créer plus de marqueurs ? Voilà, tu l'as fait.

Après que Marie se soit réveillée, tu es tombée d'épuisement. Dès l'instant où Marie a inspiré, tout est devenu clair. Tu es une Anomalie, Iris. Ton ADN est un mythe. Si on m'avait raconté ton histoire, jamais je n'y aurais cru. Mais tu étais là, devant mes yeux. Tu es une créature capable de mêler le pouvoir de la Vie et celui de la Mort. Tu es ce que la Nature a de plus pur et de plus incontrôlable. Je n'ai pas le temps de t'expliquer, mais quand tu seras à Plena, cherche Mérope et demande-lui de te parler des Anomalies. À ma connaissance, jamais personne n'a développé cette capacité. Ça revient à une maîtrise totale des éléments (je désigne par là les éléments réels, les atomes et ce qui les lie, pas les élucubrations de nos ancêtres sur un quatuor d'éléments simples...), l'emprise totale sur ce qui t'entoure. Tu peux faire vivre et tuer, par les simples interactions magnétiques et chimiques que tu créées avec ton environnement. Je ne connais pas bien tes capacités, elles sont totalement inédites, mais l'énergie que tu influes dans un corps pour ramener un organisme à la vie, cette énergie ne vient pas de nulle part. Tu dois en prélever dans un corps pour en mettre dans l'autre. Pour sauver quelqu'un, tu as besoin d'en tuer un autre.

Tu étais en train de te tuer, Iris. J'ai hésité. J'ai hésité à te laisser, mais je te dois tellement. Tu as sauvé ma fille. J'ai pris ta place. Je t'ai laissé prendre mon énergie vitale pour remplacer la tienne. Ne dis pas à Marie qui je suis pour elle. Elle m'a déjà perdu, je ne veux pas qu'elle souffre encore.

Je te demande pardon. Je me suis trompé sur toi.

Tu es tout, sauf elle.

Athaïs.

Tremblant. Point final. Je posai le noteur sur le torse d'Iris. Je l'avais allongée à même le sol, sa main prisonnière de la mienne. Je devinais qu'elle devait maintenir un contact physique pour que le transfert d'énergie s'effectue parfaitement. J'aurais tellement d'autres choses à lui dire. Tellement de choses. Mais le temps me manquait. Regret.

Il ne me restait plus qu'une chose à faire.

Je puisais dans mes dernières ressources pour atteindre du bout des doigts l'interrupteur. Le réseau le reliait au bureau d'Émalique. Il arriverait dans une dizaine de secondes, avec ce calme constant, malgré les épreuves, malgré la douleur. Il répèterait la même question, comme à chaque fois qu'il passait cette porte, son regard gris concentré sur les papiers entre ses mains. Qu'importent les circonstances, qu'importe s'il s'inquiétait pour Marie, il ne dévirait pas de ses habitudes. Fidèle à lui-même. Fidèle tout court.

Les secondes, un compte à rebours. Mon temps s'égrainait.

Le souffle de la porte coulissante.

— Un problème ?

Il carda sa vision sur moi. L'habitude fondait dans la surprise. Dans la peur. Il lâcha sa paperasse. Bruissement des documents qui s'écroulent, bruissement des vêtements que son élan vers moi mettait en mouvement.

Oui. Un problème. Le problème, mon ami, c'est que je n'ai fait que des choix merdiques.

Son regard paniqué reconstituait les événements en un instant. Vif. Intelligent. Observateur. Dans un tic de désespoir, il passa sur sa bouche une main agitée. Ses yeux brillaient dans l'éclat criard des lampes.

Sourire. Mon ami. Je trouvais une étrange consolation à finir ma vie ainsi. Assis sur le fauteuil rembourré du petit laboratoire précaire. Affalé sur moi-même. Insignifiant. Je mourrais près de ma fille, qui ne savait même pas qui j'étais.

Et de mon ami.

— Elle... elle n'a pas hésité. Elle le savait, Émalique. Elle le savait qu'elle y laisserait la vie. Mais... elle n'a pas lâché sa main. Je n'aurais jamais pu me regarder en face. Elle... elle le mérite plus que moi. De vivre.

Il posa son œil sur moi. Doux. Il posa sa paume sur moi. Compréhensif. C'est pour ce tempérament serein que je l'avais toujours admiré. Attitude immuable. Solide. Mon inverse. Nous nous complétions. Les opposés indissociables que l'existence avait pourtant réussi à fissurer.

— Je veux... je veux être aussi fort que vous. Au moins... au moins une fois dans ma vie. Même si c'est dans ma mort. Ne m'en veux pas.

— Je comprends, souffla-t-il en s'agenouillant, la panique chassée par un masque de tranquillité. Je ne pourrai jamais t'en vouloir. Mon ami.

Il garda son sourire tendre. Mon ami. Plus assez d'énergie dans mon corps pour les sanglots. Je tombai contre lui, il me serra comme s'il ne m'avait jamais lâché. Fort. Il ne m'avait jamais lâché. C'est moi qui étais parti. Parti si loin. Pour quoi ? Pour qui ? Qu'allais-je laisser derrière moi ? Une fille orpheline. Un ange déchu. Qui étais-je comparé à ces héros ? Ridicule.

— Pars en paix, je les protégerai...

Sa voix. J'aurais aimé voir une dernière fois le visage de Nathalie.

Elle qui n'avait pas eu le courage d'Iris.

J'aurais aimé prendre une dernière fois Adam dans les bras.

Mais si la mort n'était pas une fin, c'est là-bas qu'ils m'attendaient.

La main d'Iris dans la mienne n'avait plus de consistance.

— Je suis là...

Mon ami. Je te laisse mon fardeau. Je pars les rejoindre.

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