15 - Paris : Absurde sagesse
Il est dans la nature humaine
de penser sagement et
d'agir d'une façon absurde.
ANATOLE FRANCE
MERCREDI 26 DÉCEMBRE
16 : 15
AARON
— Aaron !
Je sursautai. La réalité reprenait ses droits sur l'onirique. Iris fit un pas en arrière, pétrifiée. Je croisai son regard.
Empli de peur.
Pourquoi l'histoire se répétait-elle toujours ?
Pourquoi mon reflet devenait celui d'un monstre dans les yeux des autres ?
Je sentais mon cœur cogner sous l'adrénaline, à chaque battement un poison acide semblait se répandre un peu plus dans mon organisme. Mes doigts tremblaient, leurs veines prenaient une drôle de teinte sombre. Mes veines noires. Peur. Et si le cauchemar recommençait ? Je convulsais. Marie se tenait debout, je voyais par flashs. J'étais à terre, elle se pencha sur moi, empoigna ma main.
Respiration.
Le contact chaleureux absorba le venin. Respiration. Une énergie puissante et bénigne repoussa la douleur. Fraicheur d'une nuit d'été. Respiration. La vie chassait les ténèbres de mon cœur.
— Ça va ?
Ses doigts toujours enlacés aux miens, elle m'envoya un faible sourire. Marie rayonnait. Elle n'avait pas peur de moi. Pas peur des taches sombres qui étaient soudainement apparues sur ma peau. Pas peur de la noirceur qui se cachait en moi depuis ce cauchemar macabre. Iris déglutit bruyamment, prostrée sur le lit.
Choquée par ma forme monstrueuse et sordide.
— Qu'est-ce que tu es, Aaron ? murmura-t-elle.
— Je ne sais pas. Mais je sens des choses.
— Qu'est-ce que tu sens ?
— C'est stupide.
Brûlure sur ma joue. Une gifle violente. Iris, debout devant moi, ne paraissait plus ni terrifiée ni affaiblie. Elle était droite, fière, presque exaltée.
— Fais confiance à ce que tu ressens, ordonna-t-elle.
Je raclai ma gorge.
Je me relevai et me penchai vers ma semblable pour ne souffler qu'un chuchotement à peine audible. Ma sœur ne devait pas savoir.
— Maman va mourir.
*
MERCREDI 26 DÉCEMBRE
16 : 20
IRIS
Courir. Elle ne pouvait que ressentir un sentiment d'allégresse déplacé. Aaron était comme elle, Aaron subissait le même mal. Elle jubilait. Enfin, la solitude semblait la quitter. Son absence allégeait son cœur de son poids métallique, la faisant flotter dans une sorte de brouillard de satisfaction. Elle n'était plus seule à souffrir.
Courir. Elle se sentait pleine de vie. Malgré l'air craché par les pots d'échappement, elle respirait profondément. Enjoués, ses pas sur les trottoirs. Le jeune homme derrière elle parvenait à plein à la suivre, bien qu'il la guidait vers le magasin de la fleuriste. Elle se souvenait d'une façade luxuriante devant laquelle elle passait lors de ses livraisons. Elle pourrait se retrouver sans son aide. Il fallait qu'elle coure. L'énergie florissante qui mettait ses muscles en mouvement lui faisait tant de bien.
Elle s'arrêta net. Une immense marguerite dominait la devanture. Avec son rideau de métal baissé dont les craquements s'évanouissaient dans le brouhaha de la ville, l'endroit avait plus l'allure d'un commerce abandonné que d'une fleuristerie chic et branchée.
Survoltée, elle disparut avec Aaron par la discrète entrée de service.
La réserve débordait de sacs de terreau entassés, de pots neufs et de plantes résistantes dont les feuilles amollies par l'obscurité pendaient lourdement. Les crépitements se faisaient plus intenses.
Bourdonnement derrière le mur. Ils rejoignirent la porte qui menait au show-room. Aaron l'entrouvrit, aussitôt, un courant d'air ardent s'en échappa, portant avec lui des effluves écœurants de chair brûlée.
Toute sa légèreté s'évanouit dans la sueur froide et soudaine qui s'écoula dans son dos.
— C'est quoi ce bordel...
Il s'élança dans la pièce. Iris à sa suite. Fumée âcre piquant les yeux, la gorge. L'endroit était plongé dans le noir bien que quelques points rougeoyants apparaissaient au sol. Elle trébucha, incapable de déterminée sur quoi. Sa vision ne parvenait pas à traverser le nuage de cendres incandescentes qui s'accrochaient à leurs vêtements. Son cœur battait trop vite. Forte odeur de mort.
En étouffant une quinte de toux, Aaron alluma la lampe torche de son téléphone.
La scène la choqua à jamais.
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