15 - Leblanc : La reine de l'échiquier

Au jeu d'échecs,

les fous sont les plus près du roi.

MATHURIN RÉGNIER

DIMANCHE 13 JANVIER

16 : 05

CAMILLE LEBLANC

— Vingt-deux !

Mon cri résonna dans la succursale de la mort. Il résonna en moi comme la preuve que je n'étais qu'un piètre enquêteur, une marionnette illusionnée par la fugacité d'une gamine.

Une gamine ? Non. Iris Polkha était tout, sauf une gamine. Je doutais que même à huit ans on ait pu lui attribuer ce titre. Quel cerveau en béton armé fallait-il avoir pour supporter tant de noirceur, de haine et de mépris pour la vie ?

Nous savions à présent que la SMPC tirait sa source de l'ADN d'Iris récupéré sur ses effets personnels par Yohan Dieu, petite main d'une grande manipulatrice, lorsqu'il habitait encore en face de chez elle. Par un procédé chimique alambiqué, la substance prélevée était transformée en une drogue surnommée Quintessence par ses consommateurs. Une drogue que notre marionnettiste présentait être une voie de salut pour l'humanité mais qui, en réalité, tuait tous ses consommateurs adultes. Pas les enfants.

Les dossiers retrouvés dans l'ancien domicile et lieu de travail de la psychologue Nathalie Guérin, ou du moins celle qui se faisait passer comme telle, citaient clairement une liste d'une quarantaine de patients « spéciaux », tous des mômes exposés à de sordides traumatismes. Il était évident que cette femme leur avait inoculé la substance lors de leurs consultations et s'était assurée d'intensifier leurs failles pour qu'ils restent durablement des ombres de la société, discrets et peureux.

Avait-elle fait disparaitre à jamais ses sujets d'expérience ?

Il fallait dissocier les meurtres commis par cette manipulatrice de ceux d'Iris. Effectués de la même manière, pourtant. Car oui, cette frêle fille en avait un paquet à son compteur. La substance qui sortait de ses paumes moites pouvait assassiner aussi surement qu'une trop forte injection de Quintessence.

La tueuse à la sueur mortelle... Pathétique.

— Vingt-deux, répétai-je dans un souffle.

Depuis l'incident avec Yohan, j'enquêtais sur la tête du trafic tandis qu'Édron creusait du côté d'Iris. Écarter mon regard biaisé des preuves était une sage décision. Et quelles preuves... Le commissaire avait passé ses jours à entendre des témoignages plus ou moins certains, à recouper des sources plus ou moins fiables, pour composer la pile de renseignements qui frémissait entre mes mains. Doigts tremblants de rage envers ma propre incompétence, je tournai à nouveau les pages du dossier dans l'espoir de l'innocenter.

Rien.

Rien que des preuves.

De l'ADN, de la science, du concret.

Des putains de preuves.

— Elle devait avoir une bonne raison de le faire...

— Pas à chaque fois, mon garçon, pas à chaque fois... Pour la proxénète et les types véreux, même pour les collégiens, je suppose que c'était de la légitime défense. La peur de mort imminente, ça fait suer plus fort et alors fatalement... Mais la dernière victime, cette réceptionniste qu'elle a agrippée au cou ! On a les images, mon garçon, elle l'a agressée sans raison. Et cette pauvre femme est morte bien plus tard...

Mon supérieur s'affala dans le fauteuil de cuir qu'il se plaisait à définir comme sien. Dans cette scénographie raffinée et orgueilleuse de la haute sphère parisienne, Édron rayonnait de médiocrité. Son crâne nu, ses grosses mains malhabiles et son ventre proéminent juraient avec la décoration chic, presque bohème, de l'appartement de la véritable Nathalie Guérin. Cette fleuriste toute simple qui s'était fait assassiner pour dissimuler la fuite de celle qui usurpait son nom.

Toute simple ?

— Iris...

— Arrête de vouloir en faire un ange, mon garçon, coupa-t-il d'un air condescendant. Les anges, ça existe pas.

J'explosai :

— C'est pas ce que j'allais dire bordel ! Iris est venue ici !

— Quoi ?

— Iris est venue ici ! C'est son uniforme, là !

Au fond de la corbeille du bureau, comme s'il avait été jeté avec rage, se tassait le tissu rouge et blanc qu'elle portait le jour où elle nous avait échappé. Édron sortit ses gants, bon réflexe après ces dernières révélations, pour récupérer la tenue du bout des doigts. Exorbités, les yeux du commissaire fixaient l'indice avec stupeur.

— Je commençais à avoir l'impression d'y comprendre quelque chose... Mais alors là !

Au contraire, en m'éloignant vers la fenêtre, je compris.

La signature de la baronne de l'ombre. De la maitresse de l'échiquier. Tous les pions étaient tombés, c'était maintenant la reine qu'il fallait piéger.

En me penchant dans l'air frais de ce drôle de début d'année, je compris.

Il n'y avait rien de si complexe, d'insolvable, de nébuleux.

Seulement sa signature.

L'illusion.

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