Chapitre 1
Les murs étaient blancs. Blancs comme la lumière qui se décompose en toutes les couleurs, du rouge au violet, n'en délaissant aucune. Tous les murs de toute la ville étaient ainsi. Elle avait l'air tellement propre, ainsi ! Et tellement grande ! Car le plafond semblait plus haut ainsi. C'était pour faire plus impressionnant, pour plaire aux habitants, mais aussi pour réduire les factures d'électricité. Car la ville n'était en réalité qu'un seul immense bâtiment. Personne n'était jamais sorti au dehors. Le chauffage commun émanait du sol, de l'incinération quotidienne qui avait lieu a six heures, le mâtin, et réchauffait la ville durant toute la journée grâce au sol prévu pour emmagasiner la chaleur. Dans la Ville, il n'y avait pas d'hiver où d'été. Il faisait toute l'année la même température. Il faisait juste un peu plus chaud lors des fête, car le nombre de déchets, d'emballages d'alimentation ou de papiers cadeaux, était tout simplement beaucoup plus élevé.
Chacun avait un appartement, suffisamment grand pour vivre. Tous étaient identiques, sauf ceux des hauts classés ou celui du Roi, que l'on supposait beaucoup plus grand, bien que peu l'aient vu.
Chasseur ouvrit les yeux et se retrouva face à son plafond blanc. Il se redressa, se prépara et se retrouva dans la glace. Son regard croisa le reflet de ses yeux bleus. Il coiffa en vitesse ses longs cheveux blonds-dorés. Son meilleur ami, Alexandre, les trouvaient trop longs. Ils lui arrivaient en effet jusqu'au milieu du dos. Mais cela n'avait pas d'importance. Chasseur regarda sa montre, puis s'approcha rapidement de la porte. Il ne faudrait pas qu'il arrive en retard à son travail. Il réalisa alors qu'il ne travaillerait pas ce jour-ci. C'était dimanche ! Quel idiot ! Maintenant qu'il était debout, il ne se rallongerait pas. Il sortit tout de même.
-Chasseur ! Tu vas bien ?
Se retournant, le jeune homme aperçut son voisin, un garçon qui devait être à peine plus âgé que lui, qu'il voyait tous les matins. Il avait des cheveux courts et bruns, des yeux bruns également et était plus petit en taille que lui. Chasseur était en effet un homme très grand. Plus grand que la plupart des gens de cette ville. Le garçon que Chasseur dévisageait était un sans-race. C'est ainsi que l'on appelait les humains qui ne portaient pas de caractéristiques animales. Lui était un aigle. Il était également comme les sans-races, mais avec deux grandes ailes brunes et majestueuses dans le dos. Mais ce terme n'était pas très flatteur et les sans-races étant les plus nombreux, le Roi en étant un, ce terme avait été banni du langage. Pour se « venger » de cette appellation souvent reniée, ceux qui avaient une « race » étaient appelés « hybrides », ou « mutants ». Sans-races et Hybrides étaient comme Noirs et Blancs, vivant sur un pied d'égalité, mais déclenchant chez certains des réactions haineuses. Chasseur était hors de cette haine, et son voisin aussi, certainement, vu qu'ils étaient comme « amis », se souriant chaque jour un peu plus.
-Oui, et toi ? Répondit le jeune aigle.
-Très bien. J'ai cru que je devais aller travailler aujourd'hui !
-C'est fou ! Moi aussi !
Ces haines étaient vraiment idiotes ! Ici était la preuve que toutes les races étaient égales. Toutes les races avaient deux yeux de la même couleur, des cheveux, deux bras et deux jambes, seuls deux oreilles et parfois un nez faisaient la différences entre la plupart des races. Seuls les oiseaux étaient différents, ils avaient des ailes. Mais cela n'avait aucune importance.
-Si on déjeunait ensemble, pour apprendre à se connaître, demanda le voisin.
-Avec plaisir, répondit Chasseur.
Les deux hommes se rendirent vers le restaurant le plus proche. Ils s'assirent à une table blanche, assis sur deux chaises blanches, face à face.
-Comment tu t'appelles ? Demanda le voisin.
-Moi c'est Chasseur. Et toi ?
-Enchanté, Chasseur. Moi c'est Tomas.
-Et bien, enchanté, Tomas. Tu m'as l'air très sympa. Je suis content de faire connaissance avec toi.
-Oui, moi aussi. Dis-moi, Chasseur, que vas-tu faire aujourd'hui ?
-Ah... et bien... je vais certainement aller voir mes parents, comme tous les dimanches... Je vais dîner avec eux, et après... Je vais lire ou prendre des photos...
-Ah ! Tu aimes lire et prendre des photos ? J'aime bien lire. Mais je trouve qu'il n'y a plus beaucoup de livres que je n'ai pas lus.
-Tu es un grand lecteur alors !
-Disons que j'ai connu plus grande bibliothèque. Mais bon, pas de quoi s'inquiéter là dessus. Je les commanderais moi-même. Et bien, j'ai été enchanté de partager ce déjeuner avec toi, Chasseur. Laisses-moi payer...
-Pas question ! Je vais payer ma part !
À peine ses paroles prononcées, Tomas se leva et se dirigea vers la caisse, où il eut fini de payer avant même que Chasseur se soit levé.
-Tu m'as eu... soupira ce dernier.
-En honneur de notre soi-disant rencontre !
Et il disparut au milieu de la foule aussi blanche que les murs. Oui, car ici les costumes de travail, les chaussures propres et cirées et la plupart des vêtements étaient blancs éclatant.
Chasseur marcha en réfléchissant. Pas assez de livres ? Il faudrait pour cela plus d'écrivains. Chasseur se rendit alors dans une librairie. Pas la librairie à laquelle tous les gens du quartiers se rendent pour lire, mais une vieille bibliothèque, tenue par un vieil homme qui donnait l'impression de perdre la tête tout en restant sain d'esprit.
Chasseur entra, lentement. Si l'extérieur de la porte était peint en blanc, on y voyait encore les rainures du bois et on devinait aisément que cette « maison » n'était pas comme les autres. Il vit en rentrant les murs sombres, le bureau central recouvert de poussière, les toiles d'araignées dans les coins et les vieux livres aux couvertures épaisses et aux pages jaunies. Instinctivement, il mit son bras devant sa bouche, avant d'entendre une voix presque inaudible lui dire :
-Ce n'est pas la peine de te cacher le visage, la vieillesse n'est pas contagieuse.
Gêné, Chasseur retira en vitesse son bras de son visage. La vieille bibliothèque sentait le renfermé et la poussière ambiante. Le vieil homme avait de longs cheveux gris – ils devaient mesurer les deux tiers de sa tête – retombant sans grâce sur son crâne et de vieux habits bruns foncés, lui donnant, avec sa bibliothèque, un semblant moyenâgeux. De plus, il était plutôt petit, et se courbait le dos, faisant presque pitié.
Le vieil homme le regarda sans intérêt pendant une milliseconde, rebaissa son visage, puis s'empressa de le relever, le regardant avec de grands yeux, comme surpris, ébahis, ahuri. Alors, il se leva, contourna son grand bureau, puis s'approcha du jeune homme. Il passa ses mains sur son visage, comme s'il observait minutieusement un vase précieux.
Soudain, sa faible voix troua le silence.
-Chasseur... C'est bien toi ?
-Oui. J'ai bien cru que tu ne me reconnaîtrais pas ! Répondit celui-ci.
-Tu était tellement... jeune !
-Je sais. Content de te revoir, Hilderick.
Le vieillard inspira, comme pour parler, mais retint sa respiration en regardant le jeune homme, hésitant. Ne tenant plus à parler, il l'enlaça finalement. Quand il desserra son étreinte, de fines larmes perlaient de ses yeux ridés.
-Cela fait si longtemps que je ne t'ai pas vu... Que je n'ai pas vu qui que ce soit qui m'importe à mes yeux... Quelle chance tu as d'être jeune... d'avoir des amis... Mais... mais...
Hilderick sembla hésiter un instant, tant il avait de choses à dire, et tant il ne savait pas que dire à ce garçon. Après quelques secondes de silence, il reprit :
-Mais assieds-toi, je t'en pris ! Tu veux quelque chose ?
-Non, ce n'est pas la peine, merci.
Chasseur s'assit sur la chaise poussiéreuse que le vieillard venait de lui apporter.
-Alors, mon garçon, qu'est-ce qui t'amène ?
-Je... je sais pas vraiment... Avec un ami, on a parlé de livres. Il a dit qu'il n'avait pas assez de livres dans sa bibliothèque... Alors... J'ai d'abord voulu aller dans une bibliothèque autre que la plus proche, mais je me suis dit que c'était bête, ce qui l'était d'ailleurs, puisque toutes les bibliothèques de la ville comportent les même livres. Alors je me suis souvenu de toi, et je me suis dit que peut-être tu pourrais m'aider...
-En prêtant des livres à un inconnu ! Sûrement pas. Mes livres sont trop précieux.
-Pourquoi donc ?
-Parce que ce sont encore les rares livres qui parlent de tout.
-Mais les romans que je lis tous les jours parlent de tout... Il y en a des policiers, des fantastiques... des...
-Non, ils ne parlent pas de tout. Tu vois ces feuilles ?
Le vieillard désigna un gros tas de feuilles de papier et Chasseur acquiesça.
-C'est un texte que j'ai écrit moi même. Pas long, pas prodigieux. Je ne suis pas écrivain. Mais je l'ai écrit... Pour rendre compte de la réalité.
-Tout le monde la voit la réalité. Et il y a aussi des livres qui parlent de la réalité...
-Non ! Il y a des livres qui parlent de la réalité à laquelle on te fait croire... Ce texte, je l'ai envoyé anonymement à la maison d'édition de la ville. Tu sais ce qui c'est passé ? Ils l'on brûlé. Heureusement que j'en ai gardé un exemplaire ! Ils l'on censuré. Si ils savaient que c'était moi, ils m'auraient tué !
-Tu racontes n'importe quoi ! Tu perds la tête !
-Non, je ne perds pas la tête ! Je connais juste la vérité !
-La vérité c'est que tu es fou !
-La vérité, c'est que le monde dans lequel tu vis n'est pas la réalité ! C'est une illusion ! Tu n'as jamais vu le ciel, Chasseur ! T'en rends tu compte ? Tu n'as jamais vu le ciel, ni l'herbe ! Tu n'as jamais mangé que de la nourriture de synthèse et tu n'as jamais affronté un hiver, sué un été ! Tu n'es qu'un pion dans leur mascarade.
-Tu mens !
-Non je ne mens pas.
-Si, tu mens !
-Alors, dis-moi. Combien d'animaux as-tu touché dans ta vie ?
-Je...
-Combien de religions différentes as-tu entendu parlé dans ta vie ?
-Mais il n'y a qu'une seule religion...
-Non ! Combien de personnes amputées as-tu vu dans ta vie ?
-Ça n'existe pas comme mot, « entupé »...
-Amputé ! Combien de langues connais-tu ? Combien de maladies génétiques connais-tu ? Combien de livres, de films ou de documentaires contestant la société ou parlant du dehors as-tu vu ?
Chasseur ne répondit pas. Il savait qu'il ne pouvait contester ces questions. Hilderick était à présent debout, penché le plus possible sur la table, très près du visage du jeune homme, mal à l'aise.
-Tu vois ! Tu vois bien que j'ai raison et que je ne fais pas d'histoires. Ils nous manipulent, Chasseur. Et tout le monde est tombé dans le panneau, à part moi. Parce que grâce à mes livres datant du Moyen-âge, pour les plus vieux, je sais beaucoup de choses.
-Mais si tu penses que tu as raison, pourquoi tu ne le dis pas à tout le monde ! Si tu avais raison, les gens changeraient !
-Je ne peux pas ! Déjà, personne ne me croirait, comme toi, et ensuite, les autorités me tueraient. Attends, si j'avais raison ? Mais j'ai raison, Chasseur !
-Non, tu te fais des idées ! Si on ne nous parle pas de tout ça, c'est pour notre bien ! Notre bien à tous !
-Non. Pas à tous. Au Roi, oui. Il ignore qu'il y a eu des régimes démocratiques dans le temps ! Que des pays ne comportaient pas de Roi et se portaient mieux !
-Je ne suis pas revenu pour entendre ça ! Pour entendre des mensonges ! Il n'y a jamais eu ça ! Je ne te crois pas ! Je n'aurais jamais dû revenir ! Je me suis trompé sur ton compte.
Chasseur se leva brusquement, et sortit en claquant la porte.
Il ne sut pas combien de temps il marcha ainsi, dans une direction hasardeuse, sans même y penser. Soudain, une voix brutale le tira de ses pensées.
-Halte là !
Chasseur releva les yeux et aperçut un garde imposant – bien que plus petit que lui – en uniforme épais et blanc, luisant comme s'il s'agissait d'une armure.
-Désolé, j'ai pas regardé où j'allais...
-Menteur ! Tu pensais que j'allais croire que tu marchais " sans regarder "... JUSTE DEVANT LE PALAIS DU ROI !
-Dé... désolé... vraiment, je... je m'en vais.
Et Chasseur partit sans plus tarder. Quand il se jugea assez loin, il risqua un coup d'œil vers la grande porte blanche, étincelante comme aucune autre, ornée de volutes dorées ressortant légèrement de la porte, comme de magnifiques cheveux dorés. De nombreux gardes aux « armures » blanches épurées comme celle du premier étaient postés à l'entrée.
Alors, il vit le premier garde parler aux autres. Soudain, tous se jetèrent sur lui, sauf quelques uns, et on lui passa des menottes. Le premier garde s'approcha de lui et lui dit, d'un ton colérique :
-On ne trompe pas un garde comme moi aussi facilement...
-Mais je vous jure !
-Je ne te crois pas. Emmenez-le !
Et les gardes emmenèrent Chasseur, apeuré, derrière les grandes portes dorées du palais royal.
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