Chapitre VIII - Au crépuscule

Après le débat qu'avait lancé Iâh, le général Apep posa alors la question qui se trouvait sur les lèvres de tous les membres du conseil et qui était aussi la raison de la présence du prince et de la princesse :

— Que pensent ceux de votre âge de la guerre ?

— La réponse dépend de la personne à qui vous posez cette question, répondit Iâh. Certains sont pour, la majorité doit être pour. Cette guerre a été la seule solution pour nous défendre, alors cela me paraît évident que la plupart d'entre nous souhaitent la poursuivre. Toutefois, je pense que la guerre a assez duré en vérité, il faudrait y mettre un terme plutôt que de chercher à la gagner. Elle fait beaucoup trop de victimes et les gens de mon âge ont peur. La guerre ne se résume qu'à des ripostes si j'ai bien compris. Il faut que cela évolue.

Baâl regarda alors sa sœur qui avait osé dire ce qu'elle pensait malgré ses mises en garde. Mehen ne dit rien et fixa sa fille. La princesse ne baissa pas les yeux et osa affronter les prunelles rouges qui lui faisaient face.

— Quelle serait la solution pour vous ? Rencontrer un Daagis ? intervint le général.

— Exactement. Pour moi, la solution serait d'entrer en contact avec eux. On ne peut pas avancer si nous ne savons pas leur raison de nous combattre.

— Il est vain de chercher à comprendre ces êtres, ma fille. Nous ne sommes pas comme eux à l'évidence. Ce ne sont que des monstres qui détruisent, meurtrissent. Ils sont vaniteux, ils se sentent supérieurs et nous prennent pour des êtres nuisibles, pour des raclures !

— Qu'en savez-vous ? Je croyais que vous n'aviez jamais vu de Daagis ? rétorqua Iâh calmement mais pas sans une pointe de défi dans la voix.

— Pourquoi prenez-vous leur défense Iâh ?

— Je ne prends pas leur défense. Vous êtes vous déjà demandés comment eux nous voyaient ? Ils ne doivent pas en penser moins que vous, pourtant nous ne sommes pas ce qu'ils croient de nous. Ne les jugeons pas trop rapidement. Ont-ils pu clairement exposer leurs intentions ? Avons-nous exposé clairement nos intentions ? Non. C'est pour cette raison que nous ramons dans cette guerre et que les victimes s'entassent.

Un silence pesant avait pris place. Iâh avait sans doute laissé les mots sortir un peu trop vite, sans avoir pris le temps de réfléchir à ce qu'elle disait. Au moins, tout le monde autour de la table avait son point de vue et elle espérait que cela les ferait réfléchir. Pour le moment, ils semblaient sidérés.

— Comment pouvez-vous ne serait-ce que vous imaginer à leur place ? C'est absurde, intervint l'un des membres du conseil.

— Pas si absurde que ça, prononça Apep en se grattant le menton, pensif. La petite a raison. Nous devrions y réfléchir.

Le roi se leva et mit fin à cette réunion. Il en avait assez entendu pour le moment. Ils avaient tous besoin de faire une pause et de réfléchir aux mots prononcés aujourd'hui.

La princesse sortit du conseil satisfaite avec le sourire aux lèvres. Aujourd'hui, elle savait que sa vie avait pris un tournant, elle en savait plus sur la guerre et elle savait aussi que ces nouvelles connaissances ne s'arrêteraient pas là. Le discours du général résonnait dans sa tête, plus particulièrement la partie sur les équipements qui leur permettaient de s'approcher de la lumière. Elle devait absolument en savoir plus. Dès la prochaine nuit, elle irait à la rencontres de ceux qui les imaginaient et les fabriquaient. Finalement elle n'était pas la seule à étudier les rayons qu'émettait Daag... Bientôt, ses découvertes et ses expériences pourraient être utiles et elle pourrait les présenter fièrement à son père, sans être prise pour une folle ou une suicidaire. Quoique, elle serait sans doute prise pour une folle dans tous les cas. Iâh tourbillonnait dans les couloirs quand elle fut interrompue par Baâl qui l'interpella :

— Iâh ! Je crois que vous serez heureuse d'apprendre que la nuit tombe, dit-il avec une voix souriante. Si vous étiez restée un peu plus longtemps dans la salle centrale vous l'auriez su un peu plus tôt.

La princesse dévoila la blancheur de son sourire. Elle ne prit pas le temps de remercier son frère et fila comme le vent de couloirs en couloirs. Ses tresses virevoltèrent, tout comme les pans de son habit. Iâh fit un détour par ses appartements pour y prendre son serpent blanc qui se reposait dans les draps de son lit. Une fois le serpent sur ses épaules, elle se précipita vers la trappe, croisa Our au passage qui voulut lui parler mais elle ne s'arrêta pas.

— Je suis pressée je vous raconte après ! lui dit-elle à la volée.

Elle ne vit que de faibles rayons, inoffensifs, qu'elles savaient très bien reconnaître : les rayons du crépuscule. Elle gravit les quelques marches de l'échelle et poussa la trappe. La main sur la poignée et la tête dépassant de la surface du sol, elle prit une bouffée d'air frais. Ses yeux grand ouvert absorbaient toutes les couleurs et elle s'en délectait. Elle posa ses mains sur l'herbe et sortit complètement du sol. Une brise faisait chanter les feuilles des arbres, des oiseaux chantaient eux-aussi, tandis le ciel changeait de couleurs. Le soleil de Daag avait déjà disparu à l'horizon tandis que la lune de Nóth brillait de mille éclats. Petit à petit la contrée du peuple de l'ombre prenait une autre couleur. L'obscurité s'installait en même temps que la sérénité des Nóthis. Plus les minutes passaient, plus les alentours étaient agrémentée de petites lumières, dans un premier temps discrètes, mais qui prenaient ensuite plus d'importance. Les étoiles perçaient les couleurs du ciel pour se faire remarquer. Assise sur un rocher non loin de la trappe, Iâh avait ses prunelles rouges rivés sur l'horizon et ses teintes. Pour rien au monde elle n'aurait manqué la naissance de la nuit.

— Je savais que je vous trouverez là.

Iâh tourna ses yeux. Elle vit la tête de sa mère dépasser de l'herbe et des fleurs.

— Je suis d'accord avec vous. C'est beau, déclara-t-elle d'une douce voix en regardant dans la même direction que sa fille.

— Vous passez plusieurs journées sous terre et dès que Nóth arrive vous traînez pour sortir. Comment faites-vous ?

La mère d'Iâh sortit de terre suite à cette remarque pertinente. Elle vint s'asseoir à côté d'elle.

— J'ai peut-être plus l'habitude que vous de vivre sous terre.

— Je n'y serai jamais habituée. Le ciel me manque trop. L'herbe me manque, les oiseaux me manquent, l'écorce, le vent, les étoiles, les fleurs, les cris des chouettes, énuméra Iâh de plus en plus vite en désignant chaque chose de sa main. Cela manque aussi à Khonsou, regardez-le !

Iâh se mit à rire en voyant son serpent se faufiler entre les brins d'herbe.

— Comment s'est passé la réunion ?

— Plutôt bien, je pense avoir réussi à transmettre mes idées, qui semblent par ailleurs plaire au général Apep, et c'était intéressant. J'arrive un peu mieux à cerner les Daagis.

— Comment comptez-vous participer à la guerre ?

— J'aimerais rencontrer les ingénieurs, ceux qui fabriquent les lunettes et les équipements qui permettent de réduire l'effet de la lumière. J'aimerais participer à l'élaboration de ces outils, et pourquoi pas leur donner des idées. Je me suis un peu penchée sur la question à vrai dire.

— Cela ne me surprend pas. Vous avez toujours été une tête brûlée, dit-elle en souriant. Faites tout de même attention à vous. Manipuler la lumière est très dangereux, j'espère que vous le concevez.

— Je connais les risques et je pense qu'il faut prendre des risques si l'on veut avancer significativement.

— Et Baâl ? Savez-vous ce qu'il compte faire ?

— Pas vraiment. J'imagine qu'il voudra combattre, être dans l'action. Il semblait déçu lorsque nous avons appris que la guerre ne se résumait qu'à la destruction de notre territoire et des attentats de notre part.

— Cette guerre est bien plus compliquée que ce que vous croyiez...

— Comment ça ?

Iâh se retourna intriguée vers sa mère.

— Je veux dire que vous ne connaissez pas encore tous les rouages qui sont en action dans cette guerre. Vous ne voyez que la partie visible de l'iceberg. Et croyez-moi la partie qui est cachée fait bien d'être cachée.

— Mais encore ? Pourquoi est-ce qu'on nous le cacherait ?

La reine souffla.

— Si le conseil ne juge pas utile que vous le sachiez, je ne peux pas vous le dire. Cela serait trop facile, vous ne croyez pas, s'il n'y avait "que ça" ? La guerre, c'est bien plus complexe que deux peuples qui provoquent des morts de chaque côté. Il y a un enjeu bien plus important.

Après une pause qui avait nettement refroidi l'atmosphère, Iâh fit remarquer :

— Vous en avez trop dit mère, de quel enjeu parlez-vous ?

— Justement, j'en ai trop dit. Je dois me taire à présent.

La femme se leva et repartit vers la trappe.

— On se retrouve de l'autre côté. Ne traînez pas trop.

La mère d'Iâh et de Baâl disparut sous la surface.

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