Chapitre IV - Thaashnet
À des centaines de kilomètres du territoire du peuple de l'ombre se trouvait le peuple de la lumière, leurs ennemis, ceux qui avaient provoqué la mort d'un grand nombre d'entre eux. Là-bas, tout y était différent. Les logements, la cité, les habitants, le paysage, l'atmosphère. Rien ne ressemblait aux galeries souterraines des Nóthis.
Le soleil était à son zénith et illuminait Thaashnet, la cité des Daagis qui récupérait volontiers toute cette lumière vitale à ses habitants. Cette cité s'étalait sur plusieurs kilomètres en formant un immense cercle dont les rues principales formaient les rayons rejoignant le centre qui était un gigantesque palais entièrement fait de verre surplombé d'une tour qui semblait toucher les cieux. Tout semblait graviter autour de cette tour qui donnait le vertige et qui pouvait rendre acrophobe toute personne s'aventurant à son sommet. Au loin, les dunes du désert de Sha s'étendaient à perte de vue. Celui-ci n'avait pas une très bonne réputation : personne n'était revenu vivant de ce désert où quiconque se perdait et se perdait lui-même, où les serpents rodaient et où l'eau se faisait plus que rare. Seuls les fous se hasardaient à y pénétrer. Puisque personne ne savait ce qu'il se trouvait de l'autre côté, les légendes s'étaient multipliées et « le monde de l'autre côté » avait hérité d'un nom : Isfet, où régneraient le mal, le désordre, le chaos. Pour eux, le désert était la porte vers les ténèbres et malheureusement, c'était à proximité que les Daagis vivaient parce que c'était dans cet endroit que le Dieu du soleil prolongeait son séjour dans les cieux. En ce lieu atypique où habitaient les Daagis, la terre était certes aride mais ces créatures du jour savaient très bien exploiter ce sol particulier et les arbres fruitiers plantés de l'autre côté de la cité leur apportaient une nourriture suffisante en plus de l'élevage de leur bétail.
En passant par les rues colorées d'étoffes et de marchandises pour s'approcher du palais, l'atmosphère légère et parfumée de la cité devenait plus amère et autoritaire. De nombreux soldats semblaient protéger les alentours de l'immense demeure. Aucune personne ne pouvait réussir à franchir les lignes armées. D'ailleurs, des cris et des bruits métalliques se faisaient entendre derrière elles.
– Remuez-vous bande de larves ! Je veux entendre le tranchant de vos lames et voir le sang couler ! hurla sèchement une femme avec des tatouages sur les bras et une cicatrice sur le visage, debout sur un rocher, les bras croisés et le dos bien droit. S'il n'y a pas au moins un de vous blessé, vous êtes tous privés de repas !
Au pied de cette femme autoritaire dont les cheveux étaient impeccablement coiffés en de petites tresses assemblées en une queue de cheval, s'entraînaient des jeunes hommes et des jeunes femmes à l'épée. Parmi ces dix-huit futurs soldats, deux garçons s'affrontaient dont l'un était plus grand et un peu plus musclé que l'autre et dont les cheveux bouclés teints en rouge permettaient de le reconnaître facilement dans une foule d'apprentis soldats. Ce charmant garnement fit part à son coéquipier de sa réaction à la menace de leur maître d'armes :
– Si elle croit que cela va nous motiver... Tu te dévoues Khépri ?
– Pourquoi ça serait encore moi la victime ? Ce n'est jamais toi Harmakhis ! se plaignit le plus gringalet des deux.
– Parce que c'est plus crédible si c'est toi le blessé. Je me bats dix fois mieux que toi, sourit le jeune homme aux cheveux rouges.
– N'importe quoi !
– Allez, je veux manger ce midi. Fais un beau geste !
– Essaie de me toucher pour voir ! réagit instantanément Khépri en se positionnant prêt à recevoir un coup d'épée.
– Vous deux là-bas ! hurla de nouveau la femme sur son rocher, vous n'êtes pas là pour papoter ! Battez-vous ou c'est moi qui vous bats !
Les deux jeunes gens déglutirent, obéirent et firent retentir le choc métallique de leurs lames dans les rues de Thaashnet. Après de longues heures sous le soleil ardent, la femme les fit arrêter, s'égosilla une énième fois et tourna les talons. Le groupe de jeunes adultes essoufflé, exténué et trempé de sueur, rentra dans une partie du palais au rez-de-chaussée.
– Elle va finir par nous tuer, souffla Hamarkhis qui s'assit avec ses camarades à l'une des grandes tables qui meublaient l'espace de repos. Franchement, on n'a pas eu le maître d'armes le plus cool.
– Ce n'est pas son rôle d'être cool après tout, fit remarquer un autre jeune homme nommé Atoum, qui servit en même temps un grand verre d'eau à son meilleur ami et à lui-même.
– D'accord mais ne va pas me dire que c'est son rôle de nous menacer de mort !
– Parle moins fort, elle pourrait t'entendre, chuchota Atoum désignant du menton la femme qui était adossée à la passerelle surplombant l'espace de repos et qui surveillait ses élèves d'un œil toujours noir et perçant.
Certains disaient que si quelqu'un avait le malheur de croiser ses yeux, il finirait pétrifié. Alors personne ne soutenait son regard de peur d'être changé en statue.
– Au fait, reprit Atoum, t'as encore envoyé Khépri à l'infirmerie ?
– Il a insisté pour faire le blessé, s'amusa Harmakhis qui but d'une traite le liquide glacé. Si tu crois que ça me fait plaisir de lui faire du mal, reprit-il avec sérieux. Je ne tape pas pour mon plaisir, seulement c'est la règle. Elle le voit le voit bien quand on retient nos coups.
– Il va finir défigurer à force de se retrouver contre toi.
– Ce n'est pas moi non plus qui forme les binômes. J'en ai marre de ces entraînements. On n'apprend rien en plus, on se met juste sur la gueule.
– Je suis de ton avis. Heureusement qu'elle ne nous demande pas de nous entre-tuer, plaisanta Atoum.
– Elle en serait capable ! Pourquoi est-ce qu'on n'aurait pas à la place des cours de stratégie ? Cela serait plus utile. Dis-moi à quoi ça nous sert de savoir nous battre si nous ne pouvons même pas vivre sous le ciel en même temps que les Nóthis?
– Pour l'amour de Daag, parle moins fort Harmakhis, tu vas nous attirer des problèmes.
D'apparence, les deux amis étaient du même avis. Néanmoins, ce n'était pas pour les mêmes raisons car ils ne partageaient pas les même ambitions. Harmakhis était entré dans l'armée parce que premièrement, cela était fortement conseillé et deuxièmement, parce qu'il voulait ressembler à son père, un des plus grands soldats de Thaashnet. Devenir soldat était d'ailleurs le rêve de tous les enfants Daagis. Quant à Atoum, ce métier était l'opportunité de connaître enfin les enfants de l'ombre. Ce jeune homme nourrissait l'envie de parcourir le monde et de voir ce peuple soit-disant ennemi. Cette guerre ne devait pas exister selon lui. Il ne comprenait pas pourquoi ce peuple de l'ombre les attaquait et ce qu'il attendait d'eux. La seule chose que l'on apprenait à ces futurs soldats était leur soif de vengeance, de pouvoir, que ces créatures étaient jalouses de la suprématie du peuple Daagis et qu'elles voulaient régner en seul maître et en seul peuple de Maa. Les éradiquer, en somme, semblait être leur but. Pourtant, pour Atoum, cela lui semblait trop puérile, immature et pas assez réfléchi. De ce qu'il avait entendu des attaques des Nóthis, ceux-ci semblaient être habiles et futés. Cela n'était donc pas cohérent selon lui. Alors que se cachait-il vraiment derrière cette guerre ? Atoum souhaitait le découvrir, c'est pourquoi il s'était engagé dans l'armée. Malheureusement, à chaque fois qu'il essayait d'en savoir un peu plus sur les Nóthis, personne ne lui répondait vraiment, ne faisant que répéter ce qu'il savait déjà. Atoum semblait le seul à se préoccuper de ces informations cachées qui seraient pourtant nécessaires pour mettre fin à la guerre.
La grande différence entre Atoum et les autres se trouvait ici : la plupart des Daagis entraient dans l'armée pour continuer la guerre tandis qu'il était entré dans l'armée pour l'arrêter. Pourquoi cette évidence ne l'était que pour lui ?
– Atoum, tu t'es encore perdu dans tes pensées... souffla Harmakhis.
– Pardon, tu disais ?
– J'ai rien dit mais si moi ce sont mes remarques qui vont me faire avoir des problèmes, toi ce sont ces décrochages du monde réel.
– Je n'ai pas décroché du monde réel au contraire, je réfléchis, rétorqua-t-il légèrement vexé.
– Quoique, tes remarques ne passent pas inaperçues non plus, remarqua Harmakhis avec un rictus.
Atoum acquiesça en souriant parce qu'il se remémora la fois où ils s'étaient rencontrés l'un et l'autre, dans le bureau de l'un de leurs supérieurs à cause de ce trait de caractère qu'ils partageaient. Cela leur avait d'ailleurs apporté plus de problèmes qu'autre chose.
« Il n'est peut-être pas si bon d'oser dire tout haut ce qu'on pense tout bas » pensaient-ils parfois.
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