Chapitre III - La princesse

Iâh n'avait pas beaucoup dormi comme elle l'avait pressenti. Elle s'était tournée et retournée dans son lit, n'arrivant pas à s'assoupir. C'était aujourd'hui qu'avait lieu la fameuse réunion de guerre. Iâh était à la fois stressée et pressée d'y être. Elle se leva donc assez tôt, puisqu'elle ne trouvait finalement pas le sommeil et se prépara. Iâh était une fille assez simple. Contrairement aux femmes de son âge, elle ne passait pas un temps fou à se maquiller ou à se coiffer. Elle défaisait rarement ses deux tresses et ses cheveux coupés en un carré court ne s'emmêlaient pas, restant droits comme des bâtons. Elle portait des boucles d'oreilles discrètes et des bagues représentant un serpent qui s'enroulait autour de son doigt et elle dessinait un triangle sur son front dont le sommet désignait son nez, et deux autres sous les yeux. Une fois propre et habillée de son kimono traditionnel dans les tons clairs, elle emprunta les longs couloirs jusqu'à l'antichambre de la salle centrale. Elle devait être en avance : personne ne se trouvait devant la porte. Un instant elle se demanda s'ils n'étaient pas tous rentrés et si c'était elle la retardataire. Elle hésitait à entrer dans la salle quand son frère la rejoignit.

– Ouf, je commençais à stresser de ne voir personne, fit Iâh soulagée.

– Nous avons un peu d'avance. C'est mieux d'arriver trop tôt que trop tard, surtout pour une réunion telle que celle-ci. Comment le sentez-vous ? interrogea Baâl.

– Moyennement bien. Je ne sais pas comment cela va se passer. Et vous ?

– Je le sens bien. Je suis serein.

– Ironique n'est-ce pas ? La sérénité alors que c'est la guerre...

– Iâh, je vous conseille de simplement écouter et de ne pas intervenir. Gardez votre bouche fermée.

Cette dernière fut surprise. Elle fronça les sourcils, alors Baâl continua :

– Nous sommes là pour écouter, pas pour parler. Et si c'est pour être sarcastique ou faire des remarques déplacées, il vaut mieux se taire.

– D'abord, père a dit « participer » et non « écouter » et puis vous insinuez quoi là ? Que je suis un boulet ?

– Je sais comment vous êtes et comment vous risquez de réagir ! Tout le monde n'a pas la même vision de la situation que vous ! Je sais que vous mourrez d'envie de voir le jour et nos ennemis de vos propres yeux. Ils vous diront que la guerre n'est pas une question de curiosité. Ils vous  prendront pour une folle et vont vite vous rembarrer. Si vous voulez prendre le risque alors allez-y. Je vous conseille juste de l'éviter.

Iâh se tut. Baâl la connaissait bien, c'était certain, mais elle ne comptait pas rester muette. Si elle avait des yeux, c'était pour voir, si elle avait une langue, c'était pour parler. Alors pourquoi n'avait-elle pas le droit de vouloir observer les couleurs du jour et pourquoi ne pouvait-elle pas dire son opinion ? Iâh était assez catégorique sur ce sujet : tout le monde a son mot à dire. Elle n'était pas contre un débat ; cette jeune femme aimait discuter d'avis et d'autres, exposer son point de vue, écouter celui des autres et tenter de le comprendre. Malheureusement peu de personnes souhaitaient débattre avec elle jugeant qu'il fallait être du même avis que son peuple pour être soudés. Ce fut alors évident que Baâl s'inquiéta pour sa sœur car son attitude ne plaisait guère à leur paternel.

La jeune femme ne tenait pas en place, marchant autour de son grand frère qui se tenait bien droit et fixait l'immense porte en attendant qu'elle s'ouvrît. Iâh semblait légère à marcher sur la pointe des pieds. Baâl finit par l'observer et se dit que sa sœur pouvait être à la fois très mature et avoir un comportement de petite fille. Elle suivait du bout des doigts les reliefs de métal sur les murs de l'antichambre qui formaient des vagues.

– Remettez-vous en place. Si les autres arrivent ils vont penser quoi de vous franchement, ordonna Baâl.

– Que je ne suis pas comme du métal mais plutôt comme le vent, déclara-t-elle en tournant sur elle-même les bras ouverts.

– Qu'est-ce que vous racontez ?

– Ne pouvez-vous pas me laisser tranquille deux secondes ? Je n'aime pas attendre sans rien faire. Un peu de fantaisie ! dit-elle en prenant les mains de son frère pour le faire danser mais celui-ci resta immobile.

Derrière eux arrivèrent d'autres invités de la réunion. Ces derniers et le frère et la sœur se saluèrent et se présentèrent. Ils avaient été informés que les enfants du roi seraient présents et trouvaient que c'était une bonne idée. Il fallait des jeunes pour continuer la guerre ; la relève était assurée. Du moins, elle le semblait. Qui avait donné son avis ? C'était pourquoi leur présence était importante aujourd'hui. C'était aussi ce que tout le monde redoutait.

La porte finit enfin par s'ouvrir. Ils entrèrent un par un. Quand Iâh entra, elle salua les deux soldats qui gardaient la porte. Ils lui rendirent son sourire. Les gardes aimaient bien la princesse, elle était la seule qui faisait un tant soit peu attention à eux et qui les remerciait. Au fond, Iâh se disait qu'ils étaient comme elle, qu'il y a avait des personnes derrière leurs fonctions et que c'était irrespectueux de les ignorer. Baâl et Iâh avaient beau être le prince et la princesse, ils ne prenaient pas la grosse tête et ne se sentaient pas supérieurs aux autres. Évidement il y avait une hiérarchie mais elle n'était pas ressentie par tous. Dans ces villages souterrains, tout le monde était sur un pied d'égalité. S'il y avait une famille royale, c'était pour qu'il y ait une « tête » en haut de l'échelle car c'est plus facile au niveau de l'organisation mais Mehen, le souverain, ne décidait jamais seul et ne prenait pas de décisions sans le conseil. Dans la politique des Nóthis, ce n'était pas le fils du roi qui prenait la descendance mais un membre du conseil qui avait acquis de l'expérience. Le changement se faisait lorsque le conseil le jugeait nécessaire. Ainsi, Baâl et Iâh n'étaient pas nés prince et princesse. Mehen avait pris le pouvoir dix ans auparavant et comme il avait l'air de bien s'en sortir, il était resté à la tête du peuple de l'ombre. Le roi se trouvait déjà à sa place et était le seul assis. Au fur et à mesure, la table se remplit et Iâh ne sachant pas où se mettre attendit la dernière place vacante pour l'occuper. Elle se retrouva en face de son père. Était-ce une coïncidence ? Elle continuait de stresser mais elle décida de garder la tête haute, le dos droit pour avoir l'air crédible et pour ne pas donner l'image d'une enfant innocente étant là par erreur.

– Bonjour à tous. C'est un honneur pour moi aujourd'hui de présider cette assemblée particulière car, comme je vous avais prévenus, nous avons deux nouvelles têtes à cette table, mon fils Baâl et ma fille Iâh, venus pour participer à cette réunion de guerre. Nous avons compris à quel point il était important de faire participer chaque personne de notre espèce à la guerre qui fait rage à l'extérieur. Nous sommes tous en danger alors nous devons tous nous protéger les uns les autres. C'est pourquoi le nouvelle génération d'adultes est importante car elle est la relève ! Cela serait inutile de vous rappeler que nous avons perdu beaucoup des nôtres dans cette guerre. Notre effectif avait incroyablement diminué au début de ce combat mais grâce à nos fortifications de métal, nous avons grossi nos rangs et aujourd'hui nous sommes capables de riposter. Nous n'avons jamais été aussi proche de la victoire. Oui, j'ose le dire, prononcer ce mot si fort, si espéré ! Car nous avons fait une énorme avancée et je crois que nous avons pris le dessus.

– Sire, pardonnez-moi de vous interrompre, mais ne faudrait-il pas d'abord expliquer aux enfants comment nous agissons dans la guerre ? Il me semble que nous n'abordons pas ce sujet dans l'éducation, n'est-ce pas ? demanda un homme plus âgé que le souverain aux deux jeunes gens.

– C'est exact, nous savons bien évidemment l'essentiel mais nous n'apprenons pas vos stratégies, vos déplacements, vos méthodes de travail sur le terrain. Ni d'ailleurs comment eux s'y prennent à la surface, répondit Baâl.

– Vous avez raison de nous le faire remarquer Général, je vais donc vous laisser expliquer cela mieux que moi !

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