Chapitre II - Commère


Iâh sortit de la pièce centrale et partit dans ses appartements. Les galeries souterraines étaient un vrai dédale. Seul le peuple de l'ombre, que l'on appelait les Nóthis, ainsi que les nombreux serpents albinos qui leur tenaient compagnie pouvaient se repérer et filer de couloirs en couloirs sans se perdre. Iâh les connaissait si bien qu'elle avançait généralement les paupières fermées. Les Nóthis n'utilisaient pas souvent leurs yeux, qui pourtant voyaient très bien dans le noir, parce qu'ils avaient appris à se servir de leurs autres sens. Ils avaient l'ouïe très développée ainsi que le toucher. Malheureusement, leur habitat ne leur donnait pas beaucoup de textures différentes. C'était pourquoi Iâh n'attendait qu'une chose : sortir à la surface. Elle était une jeune femme qui n'aimait pas être enfermée. Elle avait besoin de sentir l'air frais sur sa peau, de sentir la roche, l'herbe, l'écorce, écouter les animaux de la nuit, le bruissement du vent dans les feuilles. Mais ce qu'elle préférait par dessus tout était de contempler les couleurs du crépuscule. Ce ciel orangé et bleuté était la seule chose colorée qu'elle pouvait regarder sans abîmer ses prunelles fragiles. Alors elle s'en donnait à cœur joie et tentait de profiter de chaque seconde face à la tombée de la nuit qui ne durait malheureusement pas très longtemps.

La demoiselle rentra dans sa chambre ne sachant pas vraiment quoi faire. Elle passa la porte froide et s'étala dans son lit : un matelas à deux places posé sur un sommier rasant le sol avec trois oreillers qui s'écrasèrent sous le poids de son corps. Cette dernière réfléchissait à la nouvelle apprise quelques minutes plus tôt. Elle allait enfin voir les coulisses de la guerre, connaître leurs ennemis.

On frappa à la porte de sa chambre. Iâh donna l'autorisation d'entrer. Une tête passa l'entrebâillement.

– Alors ? Racontez ! réclama le jeune homme qui rentra complètement dans la pièce.

– Alors quoi ? fit Iâh innocente.

– La réunion avec votre père. Il vous a dit quoi ?

– Vous êtes une vraie commère Our, commenta simplement Iâh. Comment savez-vous que j'étais avec mon père ?

Le garçon du nom de Our s'assit sur le lit comme s'il était le sien.

– Faites comme chez vous ! rouspéta la jeune femme qui se décala du milieu du lit en soufflant.

– Votre frère est venu nous voir pour nous demander si on savait où vous étiez. J'ai demandé pourquoi et il m'a dit que vous aviez rendez-vous avec Mehen.

– Je peux entrer ? demanda une nouvelle voix derrière la porte avant de passer la tête également dans la chambre.

Cette dernière Nóthis avait les cheveux rasés, de grands anneaux comme boucles d'oreilles et un dessin à l'encre noir peint sur son front. Chez les femmes de l'ombre, ces dessins sur le visage servaient à les embellir. Le sien était particulièrement imposant, contournant ses yeux et joignant le haut de ses oreilles. Iâh lui permit d'entrer.

– Our voulait absolument savoir pourquoi votre père vous demandait. Vous le connaissez, je n'ai pas pu l'empêcher de venir vous déranger, s'exprima la dernière arrivée en restant debout devant le lit.

– Père voulait que Baâl et moi participons à la prochaine réunion de guerre.

– Rien que ça ? lança Our surpris. Et c'est quand ?

– Demain.

– Demain ? Et vous allez y aller ? demanda la fille aux cheveux rasés.

– Je n'ai pas trop le choix. Et j'ai dit à père que j'en serai honorée. Et puis, j'ai envie d'y participer. J'en saurai plus sur les Daagis.

– Je ne vois pas à quoi cela va vous servir, admit-elle.

– Je ne vous comprends pas Sedjem, dit Our s'adressant à cette dernière, Iâh va pouvoir être utile à son peuple ! C'est excitant ! C'est bien mieux que de rester dans l'ignorance. J'aimerais participer à la guerre moi aussi.

– Pour vous faire tuer ? Quel grand projet ! ironisa Sedjem. Je préfère rester dans l'ignorance et faire ma vie de mon côté.

– Votre vie, vous ne pourrez pas la prolonger très longtemps si on laisse ces ordures de Daagis nous détruire. Il faut agir ! N'êtes-vous pas d'accord Iâh ?

– Je ne sais pas trop. Nous ne savons même pas qui ils sont et à quoi ils ressemblent. Nous ne connaissons même pas leurs raisons de nous attaquer.

– Parce que nous les attaquons ! C'est aussi simple que ça. Nous ripostons les uns les autres jusqu'à faire couler toujours plus de sang. Cela ma répugne.

Sedjem était catégorique. Elle était contre la guerre et ne voulait absolument pas y participer. Elle avait peur. Peur de perdre ses proches, tous ceux qu'elle aimait. Our ne la comprenait pas. Lui voulait absolument continuer la guerre jusqu'à la fin. Pour lui, il n'y avait que cette solution. Iâh était donc entourée d'amis qui avaient des opinions tranchées et qui ne l'aidaient pas vraiment à savoir quoi en penser. Elle s'était toujours tenue à l'écart de ce qu'il se passait entre les deux peuples, ne s'occupant que de sa personne. Elle avait décidé que cela allait changer.

– Attendez Sedjem, je crois pourtant que ce sont les Daagis qui ont commencé la guerre, affirma Iâh. Je me souviens des histoires des anciens et j'ai toujours entendu parler de la destruction de nos maisons sans que l'on ait fait quelque chose.

– Ah ! Vous voyez ! fit Our assit à côté d'Iâh en pointant Sedjem du doigt.

– Oh vous ça va. Avez-vous seulement un autre mot à la bouche que "guerre" ? riposta-t-elle froidement.

– Vous avez trop d'empathie. Ces monstres n'en ont jamais eu pour nous. Ils sèment la mort alors nous jouons au même jeu qu'eux.

– Un jeu ?! Mais est-ce que vous vous entendez parler ? s'indigna la jeune femme. Au contraire, vous vous devriez avoir plus d'empathie ! Vous me dégoûtez !

Sedjem, furieuse, tourna les talons et quitta la chambre de Iâh qui était restée interdite sous la colère de son amie. Elle ne savait pas qu'elle était finalement, impliquée dans le conflit. Elle disait toujours ne pas se mêler des affaires belliqueuses mais par ses propos, elle y participait malgré elle. Pourtant, les paroles de Sedjem marquèrent Iâh. Elle se dit qu'elle n'avait sans doute pas tort. Tout ceci était loin d'être un jeu. Iâh allait bientôt s'en rendre compte.

– Qu'est-ce qui lui prend ?

– Vous devriez faire attention au termes que vous utilisez, Our. Vous allez avoir des problèmes.

– C'est plutôt elle qui va avoir des problèmes si elle continue d'agir comme ça. Je suis les mêmes idées que mon peuple. C'est Sedjem qui raconte n'importe quoi.

– Je pense qu'elle n'a pas tout à fait tort.

– Ah non vous n'allez pas vous y mettre aussi ?! cria Our en se levant du lit.

– Pourquoi hurlez-vous ? Je dis juste qu'elle a raison de souligner le fait que la guerre fasse beaucoup de victimes et que ce ne soit pas à prendre à la légère, expliqua-t-elle posément.

– C'est ce que vous comptez dire à votre père demain ? interrogea Our avec une voix qui s'était adoucie.

– Je ne sais pas. J'ai peur de sa réaction. S'il m'a invitée à la réunion, c'est bien pour que l'on s'exprime, non ? J'écouterai d'abord leurs points de vue et je leur dirai le mien.

– Bon courage. Parce que pour faire entendre quelque chose à Mehen... Ce n'est pas ce qu'il y a de plus simple.

– Ça je sais, c'est mon père. Je le connais. C'est pour ça que je ne sais pas trop ce que je vais faire lors de cette réunion.

– Et puis ce n'est pas comme si vous aviez du temps pour y réfléchir.

– Je sens que je vais bien dormir, déclara Iâh en s'allongeant sur le lit.

– Vous me direz comment ça s'est passé ? s'enquit Our.

– Bien sûr. Je vais nourrir votre soif de curiosité !

– Merci Princesse. Ne cogitez pas trop cette nuit. Il vaut mieux que vous dormiez pour avoir les idées claires demain.

– Plus facile à dire qu'à faire.

Le jeune homme se dirigea vers la porte mais fut interrompu par Iâh qui l'interpella :

– Allez vous excuser auprès de Sedjem. Vous savez qu'elle est rancunière et qu'elle ne fera pas le premier pas.

Il souffla puis céda. Iâh se retrouva une nouvelle fois seule face à ses pensées.

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