Chapitre I - Couloir glacial

Iâh était à l'entrée du couloir. Elle hésitait à y pénétrer. Elle savait qu'elle n'avait pas le droit de s'approcher de la trappe qui les protégeait de la lumière brûlante. Pourtant, elle eût tout donné pour l'apercevoir. Alors elle s'approcha doucement, quelque peu hésitante. Ses pieds nus se déposèrent délicatement sur le métal froid tandis que sa main glissait sur la longueur du mur. Elle se trouvait bientôt à quelques pas de la lumière. Ses yeux perçants devenaient un peu aveuglés par les rayons qui arrivaient à passer par les interstices. Elle ne pouvait pas les voir. Tout ce qu'elle percevait était la couleur blanche qui se mêlait au rouge. Pourtant elle fixait les faibles rayons ; comme si elle souhaitait les saisir. Ses yeux commençaient à la faire souffrir et à la brûler. Elle détourna ses prunelles rouges vers l'obscurité qui les apaisa. Iâh était déçue ; elle voulait tellement pouvoir y voir, observer le jour qui lui était interdit. Iâh et son peuple ne pouvaient vivre que dans le noir. Elle était une fille de l'ombre, une enfant de Nóth.

La jeune femme s'apprêtait à rebrousser chemin lorsqu'une voix qu'elle connaissait si bien l'interpella.

— Iâh ? Je peux savoir ce que vous faites ici ? Vous savez très bien que c'est interdit ! Ne restez pas là, somma un homme un peu plus âgé qu'elle.

— Oui je sais mais je...

— Je sais pourquoi vous êtes là. Qu'est-ce qu'il faut faire pour vous mettre du plomb dans la cervelle ? Vous voulez vous brûler les yeux ? Je sais qu'ils ne nous sont pas indispensables mais ce n'est pas une raison. Allez venez, père veut nous voir.

Iâh obéit et sortit du couloir en suivant son frère. Elle le scrutait. Sa carrure imposante l'avait toujours un peu intimidée. Ses cheveux longs et éclatants descendaient le long de sa colonne vertébrale en une tresse pas très bien faite. Des mèches de cheveux s'en échappaient.

— Baâl ? Ne dites rien à père s'il vous plaît, demanda-t-elle timidement.

— Pourquoi ? Si ça peut vous faire oublier cette envie de voir la lumière, je suis pour le lui dire.

— Non je vous en prie ! Père sera fou de rage ! s'exclama-t-elle en détresse.

— D'accord mais que je ne vous y reprenne plus.

Iâh eut du mal à acquiescer. Baâl se retourna brusquement et regarda de haut sa sœur :

— C'est d'accord ?

— Oui, finit-elle par promettre malgré elle. Savez-vous pourquoi père nous demande ?

— Non.

— Ah, fit-elle déçue. N'avez-vous pas une petite idée ?

— Non. Écoutez Iâh, vous suivez et puis c'est tout. Il nous demande, nous venons. C'est aussi simple que ça.

Le frère et la sœur marchèrent l'un à côté de l'autre dans le silence, en empruntant des couloirs tous aussi ternes et glacials. Les enfants de la nuit étaient habitués à vivre dans cet environnement le jour. Le métal était devenu l'élément essentiel de leurs galeries souterraines depuis la catastrophe d'il y a une cinquantaine d'année ; lorsque leur cachette fut découverte et exposée sous le soleil ardent de Daag, le dieu du jour. Il y avait eu de nombreuses pertes ces jours là. Le métal leur offrait un peu plus de protection. On ne savait jamais ce que le peuple de la lumière pouvait leur réserver. Après tout, la guerre durait depuis déjà cinquante années. Elle avait commencé bien avant la naissance de Iâh qui l'avait toujours connue. Ses parents étaient très jeunes mais ils s'en souvinrent encore. Alors, pour éviter de nouveau un massacre, le peuple de Iâh avait dû mieux se protéger et mieux s'équiper pour se préparer au danger et pouvoir lui faire face sans succomber. Les enfants de l'ombre s'étaient toujours vus comme les plus vulnérables et les proies de ces chasseurs qui étaient plus avantagés par leur physique résistant plus à l'obscurité que le leur à la lumière. Quelle injustice ! Ce sentiment était perçu par tous ceux qui vivaient sous terre.

Iâh suivait les pas de son frère et se confronta à une immense porte, elle aussi en métal, qui donnait dans la salle centrale, la plus sûre du village souterrain. Baâl jeta un coup d'œil à sa sœur et poussa la porte. Elle la franchit à son tour avec une boule au ventre. Ce stress venant de Iâh était dû au fait qu'elle ne s'entendait pas toujours très bien avec son père. Il y avait bien trop souvent des altercations entre eux deux, des différends qui avaient la fâcheuse tendance à énerver le père qui utilisait l'argument d'autorité sur sa fille qui, énervée elle aussi, n'osait plus dire un seul mot de peur de le regretter. Ainsi s'avança-t-elle stressée en espérant que Baâl tairait son approche de la trappe.

La salle était à l'image de la porte : immense et métallique. Les murs étaient tout de même décorés par-ci par-là de tableaux des grands dirigeants du peuple, de grands tissus pour cacher l'amertume de l'alliage gris et lisse. Au centre se trouvait une colonne qui reliait le plafond à un cube dont les quatre côtés étaient fait de tissu très épais. Ce système singulier servait à savoir s'il faisait jour ou nuit. La lumière de la surface passait par la colonne qui était creuse et sous le cube, le diamètre du rayon lumineux était réduit puisqu'il représentait un danger pour eux. Le tissu servait à cacher le rayon mais aussi à être retiré pour pouvoir savoir s'il faisait jour. Ce cube était posé au centre d'une grande table ronde pour y accueillir toutes les personnes importantes et favoriser le dialogue entre elles. Sur l'un des fauteuils de la table se trouvait le chef de la tribu et occasionnellement le père de Baâl et d'Iâh. Celui-ci portait une longue tunique claire entourée d'une ceinture épaisse. Ses cheveux blancs étaient mi-longs, il avait une barbe tout aussi claire et trônait sur sa tête une ridicule couronne qui était juste là pour le symbole. Un long serpent tout aussi éclatant se mouvait sur ses épaules. Il n'y avait que le roi et sa femme autour de la table. Les deux jeunes gens se tinrent devant leur père et saluèrent leurs parents en s'inclinant. D'un geste assuré, le chef désigna deux fauteuils pour que ses enfants s'assissent. Ils prirent aussitôt place et attendirent sa parole.

— Mes enfants, commença-t-il, vous n'êtes pas sans savoir que la guerre fait rage à l'extérieur. Les monstres de Daag nous attaquent sans aucune raison et plus important encore, sans aucune pitié. Vous n'êtes plus des enfants et je veux que vous participiez à la défense de notre peuple. Après tout vous avez une place assez haute dans notre hiérarchie et il est temps de l'honorer. Je vous invite à participer à la réunion de guerre de demain, pour que vous preniez conscience de la réalité.

Iâh ne s'attendait pas à ça. Baâl n'était pas surpris au contraire. En même temps, il espérait pouvoir enfin être utile à son peuple et participer activement à la guerre. Il avait cette âme guerrière en lui qu'il avait probablement héritée de son père. Quant à Iâh, elle avait dû prendre la côté plutôt pacifiste de sa mère. D'ailleurs, cette dernière se trouvait debout, derrière son mari mais grimaçait. Elle ne voulait pas que ses enfants risquent leurs vies. Elle voulait continuer de les protéger mais elle devait se faire à l'idée que pour survivre, tout le monde devait participer.

— Cela sera un honneur d'être présent à cette réunion, s'exprima Baâl plutôt enthousiaste. Je suis ravi de pouvoir servir notre peuple.

— Et moi je suis ravi de vous l'entendre dire ! s'exclama son père. Et vous Iâh ?

Celle-ci releva la tête brusquement. Elle était un peu perdue dans ses pensées. Elle répondit :

— Bien sûr. C'est un honneur. Il est temps que nous en sachions plus sur cette guerre.

— Parfait. J'attends de vous que vous soyez des enfants exemplaires, que vous écoutiez sagement les autres.

— Ça va on n'a plus quatre ans, intervint Baâl. On sait se tenir.

— Vous avez raison, excusez-moi. Vous êtes des adultes. Et la guerre vous attend.

La mère des deux jeunes gens soupira en silence. Seule Iâh l'avait vue et elle se demandait pourquoi cela la dérangeait. Ce n'était pas comme s'ils allaient sur le champ de bataille. C'était une simple réunion : une réunion qu'Iâh attendait avec impatience. Elle souhaitait tellement savoir ce qu'il se passait à l'extérieur et qui étaient véritablement les enfants de Daag.

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