Une brioche trop cuite

L'affreuse dondon nous a donné les informations les plus importantes pour notre plan. Après l'avoir interrogée plus en profondeur, nous avons appris qu'Alois repassait chez lui deux fois par jour - sur conseil du médecin de famille - afin de s'enquérir de la santé de sa femme et de son fils.

La nourrice a pour ordre de ne pas quitter le nourrisson des yeux, et ne peut même pas aller se soulager, tant que monsieur Hitler n'est pas présent pour veiller au grain sur sa descendance. Il partait vers sept heures le matin pour aller travailler et finissait sa journée vers huit heures du soir. Il aime passer en milieu de matinée et en milieu d'après-midi, mais cela varie selon ses rendez-vous.

En clair, nous avions à chacun de ses départs, environ trois heures pour nous infiltrer dans l'appartement et exécuter notre mission.

— Nous devrions surveiller de nouveau les deux portes. Alors, nous saurons le temps qu'il nous restera, commence Anatole.

— Ça ne nous dit pas encore comment nous allons pouvoir écarter la nourrice du berceau. Monsieur Hitler a l'air d'être une personne avec beaucoup d'autorité, je pense que pour lui désobéir, il lui faudra une excellente raison, énoncé-je las.

Angelika a finalement fini par rejoindre des clients qui entraient dans le bistrot. Son père est ouvert à l'idée qu'elle se fasse courtiser, mais pas au point qu'elle manque à son travail trop longuement. Nos bières à moitié vides entre les mains, nous réfléchissons. Qu'est-ce qui peut bien éloigner une nourrice de l'unique enfant dont elle a la charge ?

Un groupe bruyant entre dans la taverne, perturbant mes réflexions. L'homme mince et petit est pourvu d'une grognasse dont le ventre est prêt à exploser. Elle hurle sur Angelika, qui se dépêche de lui apporter une chaise. La baleine s'échoue sur l'ustensile, dont le siège est fait de pailles entrelacées. Je m'esclaffe si cette dernière cède sous son poids.

Je sais, chers Lecteurs, que certains parmi-vous seront choqués de ma façon de décrire les femmes, mais comme je vous l'ai déjà dit, qu'elle soit masculine ou féminine, je ne supporte pas la vulgarité. Est-ce ma faute si je n'ai croisé que des pachydermes, jusqu'alors ?

Un cri de goret échappe de sa gorge soudainement, faisant convulser mon corps maigrelet.

Mais qu'est-ce qui se passe ?

L'homme, semblant être le mari, qui l'accompagne tourne autour de la chaise, paniqué. Le gérant lui lance un torchon et tonne des mots en allemand.

— Rudooooooolf, continue de crier la femme, dont le corps est replié sur lui-même.

Le malhabile s'approche, peureux et essaye d'enfoncer le torchon entre les mâchoires de sa femme. Sans attendre, elle arrache le tissu de sa bouche, crachant ses poumons. Des mots ressemblant à des insultes s'échappent de sa gorge. Rudolf recule, vaincu. Angelika, plus maligne, approche un torchon d'eau froide et le place sur le front de la dame en sueur.

— Est-ce qu'elle est en train d'accoucher ? je demande à Anatole, dont les yeux ne ratent pas une miette de la scène.

— Il me semble, oui.

Un attroupement se fait autour de la femme aux rondeurs exceptionnelles. Le mari est caché derrière le comptoir et boit un whisky sec. Le gérant lui tape le dos, rassurant, mais à chaque coup, on a l'impression qu'il va le casser en deux. Quel drôle d'enfant cela va donner.

Les femmes du quartier ont pris les choses en main. Les hommes sont postés un peu plus loin, une pinte à la main – que s'empresse de leur servir le tavernier – et font quelques commentaires de temps à autres.

Bien sûr, aucune des femmes ne les écoute, mais pas une n'ose les houspiller. Voilà donc à quoi ressemble le patriarcat blanc dans ses plus belles années : la femme souffre et travaille, tandis que l'homme ne fout rien et donne des ordres. Sympathique.

Anatole est toujours suspendu à la scène, mais ne bouge pas. Un peu agacé, je me relève et approche, faisant réagir toute l'assemblé qui me scande des : Aber was machst du ? Setzen*1 !

Venant d'une société où moins de 0,01 % des femmes meurent en couche, je me dois d'apporter mon expérience, même si je n'ai jamais vu de femmes enceintes et encore moins de nourrissons dans la vraie vie. Une de mes professeurs de SVT adorait nous expliquer la vie en nous montrant des vidéos d'accouchement.

Elle faisait intervenir des sages-femmes qui nous expliquaient les bases. Sans compter les trente-trois saisons de Grey's Anatomy que j'ai maté en streaming.

— Er ist ein Kräuterkenner*2! clame Anatole, pour rassurer mon public.

Cela semble les calmer. Une femme me pose des questions en allemand et je crois comprendre qu'Anatole explique que je suis français. La femme enceinte porte une longue robe et presse le bras d'une de ses congénères qui ne bronche pas.

Je me tourne vers Anatole et déclare :

— Il faut qu'on l'allonge, qu'on lui trouve un lit, expliqué-je.

Mes yeux montrent l'escalier et il comprend que l'occasion est trop belle. Il traduit en allemand et un des hommes lève enfin ses fesses pour toquer chez la famille Hitler. Une femme aux yeux écarquillés entrouvre la porte et se cache derrière le battant.

L'homme explique rapidement la situation en montrant la femme qui hurle à pleins poumons dans la salle. La jeune femme confuse tente de s'expliquer, mais deux hommes décident d'intervenir et commencent à lever le ton. Elle finit par céder et ouvre grand la porte. Trois femmes aident celle dont les contractions semblent la cisailler en deux, à traverser la brasserie et monter l'escalier.

Celle qui ne peut être que la nourrice, va pour fermer la porte, lorsque Anatole fait obstacle avec son pied et me montre du doigt, en répétant la phrase précédente dans son allemand parfait.

La femme me zieute de la tête aux pieds, méfiante. Les hurlements de goret qui la figent, la font céder. D'un geste de la main, elle nous somme d'entrer. Je leur fais signe d'attendre, attrape mon baluchon qui traînait au coin de notre table, où des bières tièdes ont été lâchement abandonnées, et me presse de les rejoindre en gravissant les marches deux par deux.

*1 Mais qu'est-ce que vous faites ? Rasseyez-vous !

*2 Il est herboriste !

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