Tout te dire
Anatole est devenu poupée de cire. Plus aucune expression humaine ne transparaît sur son magnifique faciès.
— Veux-tu dire que tu viens d'une autre époque ? énonce-t-il, comme pour vérifier qu'il comprenait toujours aussi bien le français.
J'opine le menton, lentement.
— Veux-tu dire que tu vis dans une société qui a inventé une machine pour revenir dans le passé ?
Il va tous me les faire ou quoi ? J'ai pourtant été très clair !
— Oui, répété-je, commençant à manquer de patience.
Il passe ses mains sur son visage, telle une gargouille avec ses grimaces terrifiantes.
— Mais comment est-ce possible ?
Je hausse les épaules.
— C'est mon père le scientifique. Personnellement, j'ai juste appuyé sur un bouton.
Ses doigts grattent avec frénésie sa moustache.
— De quelle année viens-tu ?
— Deux-mille quatre-vingt-six.
Là encore, ses yeux s'arrondissent. On se croirait sur la scène d'une pièce de théâtre qui jouerait de l'absurde, je ne sais plus comment en sortir.
— Le vingt-et-unième siècle, s'emporte-t-il.
Je cache sa bouche avec mes deux mains, sa voix est beaucoup trop forte. Même si personne d'autre ne comprend le français, son ton est beaucoup trop éloquent.
— Raconte-moi à quoi cela ressemble, je veux tout savoir, lance-t-il, des étoiles plein les yeux.
Toute son attitude s'est transformée ; une vraie girouette cet Anatole. Je voudrais bien lui expliquer la vie en l'an deux-mille quatre-vingt-six, mais il ne faut pas oublier que j'ai une mission à accomplir.
— C'est sympa, gay-friendly, comme diraient certains.
Oui, je sais Lecteur. C'est un peu réducteur comme description, mais vous, vous commenceriez par où ? Sans omettre dans votre réflexion, que vous n'avez que très peu de temps pour faire en sorte qu'Hitler ne devienne pas Hitler !
Comment ? Tu es étonné que je n'aie pas employé le terme tuer, buter ou encore, étouffer pour décrire ma mission ? C'est parce que tu n'as pas encore tout vu. La suite au prochain épisode, comme on dit. Émoji clin d'œil.
— Gay, quoi ? répète-t-il.
Je souris. Il parle le français, mais l'anglais ce n'est pas encore ça. Même si, à sa décharge, le mot Gay ne doit pas encore avoir été inventé, puisque tout le monde sait qu'au dix-neuvième siècle : « ça n'existe pas ! » (vous saisirez l'ironie.)
— Écoute, je te promets de tout te raconter - oui, je fais beaucoup de promesses que je ne tiens jamais – mais d'abord, il faut que tu m'aides.
Là encore, je le sens se braquer.
— À tuer l'enfant ?
Je secoue la tête. Mon plan a changé et s'il fonctionne, en plus d'être un héros, je ne deviendrai pas un tueur ! C'est mon papa qui va être fier.
— Non, à l'échanger, annoncé-je, un grand sourire recouvrant mon visage.
Je crois que je l'ai perdu.
— Échanger quoi ? demande-t-il, n'ayant pas compris le sens de la phrase.
— Le bébé ! m'exclamé-je, sûr de mon génie.
Sa bouche mime une grimace.
— Mais avec qui ?
— Bonne question, lui lancé-je, heureux qu'il la pose, avec le petit garçon que tu as aidé à accoucher !
Je suis presque sûr que si son cerveau pouvait parler, il crierait à l'aide, mais sa bouche, elle, préfère se taire. Je crois que je viens d'inventer le bug Anatole ou comme on pourrait le nommer : comment rendre un humain légume en seulement deux phrases.
— Mais pourquoi ? finit-il par demander.
— Et si ce monstre avait eu des parents différents, une éducation différente, peut-être qu'il aurait aussi eu un comportement différent ! lancé-je, heureux d'avoir eu cette illumination.
Le garçon ne semble pas me suivre.
— Mais s'il est vraiment le diable, tu vas simplement arracher une âme innocente à ses véritables parents.
Un point pour lui.
— Tu préfères que je le tue ?
Ma remarque le refroidit, je vois presque son sang se glacer.
— Il, il n'y a pas une autre solution ? couine-t-il.
Une autre solution pour éradiquer le mal au berceau ? Je ne crois pas non. L'échange est sûrement la solution la plus soft, et elle reste risquée. Je me vois mal offrir un livre bouddhiste et espérer qu'il le lise et s'inspire du concept pour ne pas péter un câble et faire embarquer dans des trains des millions d'innocents, tout en envahissant des pays et en annotant des gens avec des étoiles.
Je sais qu'Anatole ne connaît pas encore cette partie de l'histoire, mais sa crédulité commence à m'exaspérer. En fait, c'est comme vouloir se débarrasser des nuisibles en leur donnant du gruyère et en leur demandant de bien vouloir déguerpir : ÇA NE FONCTIONNE PAS.
— Je ne crois pas non, grincé-je.
Il souffle, embêté.
— Mais, et si tu avais tort ?
Cette phrase creuse une faille que l'on appelle doute, en mon for intérieur. Or, c'est la dernière chose dont j'ai besoin en ce moment.
— Anatole, est-ce que tu me fais confiance ?
Ce dernier semble réfléchir. Il ne faut pas oublier que l'on s'est rencontré hier, c'est un peu rapide pour donner un qualificatif quelconque à notre relation et encore plus d'ajouter le terme « confiance » dans la phrase. Je ne le blâmerais pas s'il répondait à la négative, vu le nombre de mensonges que je lui ai servi tout cuits dans la bouche.
— Oui, déclare-t-il.
Je le regarde, choqué. Il est sérieux ? Il fait confiance au pire arnaqueur de tous les temps ? MOI, sans sourciller ? Il y a vraiment quelque chose qui cloche chez lui.
— Pourquoi ? je crache, sans réfléchir.
Il sourit, étonné.
— Parce que tu recherches ce qui il y a de mieux, sans forcément penser à toi ou aux conventions. Tu es quelqu'un de bien en somme, explique-t-il.
Quelqu'un de bien ? Ça c'est un qualificatif nouveau pour me décrire.
— Mais je t'ai menti ! m'emporté-je.
— Pour le bien de ton futur.
Mais pourquoi est-ce qu'il est aussi compréhensif ? C'est juste grave énervant ! Il me connaît depuis une seule journée et il croit tout connaître de mes motivations dans la vie ? Pour qui il se prend, non mais !
— Tu ne me connais pas, grogné-je.
— Peut-être, mais je suis prêt à t'aider et à te croire, même si cela paraît ubuesque.
La colère s'apaise un peu. Au moins, il est de mon côté.
— Ok, suis-moi alors, déclaré-je, en le contournant pour sortir de la pièce.
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