Manque de courage
Le temps nous est compté.
Et ce n'est pas le titre d'un énième roman de gare mièvre et fade, non, c'est la situation merdique dans laquelle nous nous sommes embourbés.
— Alors que fait-on ? Vas-tu descendre chercher ce dont on a besoin ? scande Anatole, qui semble sur le point d'imploser.
Vous connaissez ce sentiment de vide intérieur où votre stress est arrivé à un niveau tel, que plus rien n'a d'effet sur vous ? C'est ce sentiment qui m'habite en ce moment précis. Les mouvements d'Anatole, ses mots, les oiseaux qui volent au-dehors : tout semble au ralenti. Et je dois dire que c'est un sentiment putain d'agréable. Après tout, qu'est-ce qui m'a pris de partir dans cette aventure de fou pour tuer un bébé ? UN PUTAIN DE BÉBÉ.
Ça paraissait si sensé de répondre à ce dilemme, lorsque j'étais posé pépère à la cantine du lycée et que chacun y allait de ses arguments : ce n'est pas qui tu tues qui fait de toi un tueur, c'est l'acte en lui-même, répétait sans cesse la sage Flora. Tandis que les garçons comme Joseph, un peu plus bourrin, ne cessaient de se la raconter à coup de : Moi je tue bien les bébés lapins de mon grand-père quand y en a trop pour éviter l'invasion. Alors franchement, tuer Hitler adulte ou dans le berceau, ça ne me ferait ni chaud, ni froid.
Je me demande s'ils feraient tous autant les malins avec leurs vérités à la con, à ma place. Je dois dire que je n'étais pas mieux qu'eux, mais tout de même. Au moins, on peut dire que j'ai évolué ou grandi...
Merde, tata Ghislaine avait raison : c'est l'âge de maturité. Je deviens un adulte et je commence à comprendre le monde et à connaître mes valeurs en les définissant. Foutue tata Ghislaine avec sa psychologie à la con ! Je suis infesté par ses pensées maintenant.
Pour la première fois, j'ose approcher mon visage du berceau où dort le mal incarné, le futur dictateur : El Fürher. Lorsque mes yeux croisent les siens, mon corps se fige entièrement.
Et putain de bordel de caca de pigeon.
Un nouveau-né de la taille d'un chiot, me fait face. Sa peau est rose poudrée comme le bébé qui vient de naître. Quelques cheveux bruns épars recouvrent sa petite tête ronde. Pas de moustache, sous son petit nez en trompette. Pas de signe nazi, ou de regards noirs. Non, juste de la douceur et de la candeur. Réveillé, il gazouille en se triturant les pieds. Habillé de son vêtement blanc, on pourrait le qualifier de « véritable petit ange. »
— Essaye de distraire les femmes dans la chambre, pour me laisser un peu de temps. Je peux peut-être trouver une autre formule pour remplacer le rite, énoncé-je à Anatole, qui est toujours placé derrière moi.
Je le sens hésiter, avant de finalement se diriger vers la chambre où reposent la mère et l'enfant. La nourrice aidant peut-être pour le premier allaitement, à placer dans la bonne position le petit garçon.
— Nous voilà entre Adolphe, murmuré-je à mon homonyme.
Le bébé semble sourire – j'ai appris que c'était plus un réflexe qu'un véritable signe de bonheur, alors ne nous emballons pas – mais je reste de marbre. Cette chose a créé le chaos. Cette chose est responsable de tous les problèmes du monde moderne. Il représente ce qu'il y a de plus abominable chez l'être humain. Cette chose n'est pas un enfant ! C'EST LE DIABLE.
Mon esprit s'arrête un moment. Un souvenir est venu s'implanter contre mon gré dans mon esprit pullulant d'horreurs. Je repense aux mots d'Anatole à propos de sa sexualité, des atrocités qu'il s'inflige à lui-même. Des actes qu'on lui prête et des qualificatifs qu'on lui donne, alors que jusqu'à aujourd'hui, il a toujours été innocent et qu'il ne demande qu'à aimer et être aimé en retour.
Suppôt de Satan, tourne en boucle sa voix dans ma tête.
Le mal est-il inné ?
Cet être aux allures si pures et innocentes, peut-il déjà être responsable de ses actes futurs ? Ou est-il encore secourable ? Le doute imprègne mon esprit.
Non.
Je ne dois pas douter.
Je ne dois pas me laisser aller à ma faiblesse. Je dois faire ce qui est juste.
Dans une grande inspiration, je sors le tube et l'ouvre avant d'approcher ma main de la bouche du nourrisson qui, heureux, ne dit toujours rien. Mon bras s'agite, tremblant.
Fais-le, me hurle mon cortex, tu es là pour ça ! C'est ce qu'il faut faire ! Pense à tous ceux à qui il a fait du mal ! Rappelle-toi les films sur les camps de la mort et toutes ces horreurs. Tout ça, C'EST À CAUSE DE LUI.
Je ferme les yeux – ce qui est très lâche, je vous l'accorde – et déverse le remède. Lorsque je les rouvre, je remarque que le liquide s'est renversé sur lui et pas dans sa gorge. Le bébé est gigoteur, j'aurais dû le noter dans ma liste.
Putain de merde.
Une tâche rose le recouvre. J'attrape l'enfant et le pose sur le meuble qui sert à le changer. Du regard, je cherche une de ses tenues de rechange. D'un coup d'œil, je repère l'armoire et l'ouvre avant d'en sortir une énième tenue blanche. Je déshabille notre cher Adolf en vitesse - du moins, le plus vite que je peux, c'est la première fois que je m'attelle à une telle tâche – et le rhabille. La tenue tâchée de sang atterrit dans mon torchon, bien cachée sous la carte (on ne sait jamais si quelqu'un se mettait à fouiller les poubelles.)
L'enfant propre, je le porte jusque dans son berceau. Heureusement, le liquide s'est renversé sur son habit et nullement sur son matelas. Il n'y avait pas énormément de mort au rat dans le tube, il était simplement très puissant. Me voilà donc bien fin, avec mon remède renversé et ma lâcheté à son plus haut degré.
Un peu de courage, Adolphe.
Dans une nouvelle inspiration, j'attrape le cou de l'enfant et ferme les yeux. Commence alors une lutte acharnée entre mon petit diable et mon petit ange, mais je ne sais plus vraiment qui défend quoi. Ma main est figée et ne presse rien. Suspendue, elle caresse - pour l'instant - le cou de l'enfant. Il suffirait d'une minute ou deux et ce serait la fin.
Je vais pour compter, lorsqu'une voix familière m'interrompt :
— Mais qu'est-ce que tu fais ?
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