La confiance, ça se gagne !
Le garçon élégant est désormais debout face à moi, nouvel obstacle entre la fenêtre menant à bébé Adolf et moi.
— J'ai toujours eu une grande capacité à démasquer les escrocs, explique Anatole, sur la défensive.
On se croirait presque dans un film de Kung fu où le maître donne une leçon de morale à son élève, avant de sortir une canne et de le mettre à terre en deux coups de bâton.
— Tu te méprends sur mes intentions, expliqué-je, un peu effrayé par le changement de ton de la conversation.
L'ambiance amicale a été remplacée par de la suspicion et de la méfiance.
— Alors dis-moi, quelles sont tes intentions envers Alois Hitler ?
Je fronce les sourcils, tiquant sur un détail. Comment sait-il qui est Alois, ainsi que sa profession ? Je ne l'ai pas évoqué auparavant.
— Tu le connais ? questionné-je.
Il se raidit.
— Je ne vois pas en quoi cela te concerne.
Je déglutis, de garçon chaleureux et ouvert, il est passé à jeune homme froid et fermé.
— Réponds à ma question ou je m'en irai le prévenir de ta surveillance, insiste-t-il.
Je vais pour ouvrir la bouche, mais il m'interrompt.
— Et ne mens pas, je le saurai. Je t'ai dit que j'avais un don.
Un de ses pieds est tourné vers l'appartement à deux pas et l'autre barre le chemin entre mon corps et le bistrot. Le moins que l'on puisse dire, c'est que son langage corporel est particulièrement expressif.
— J'ai une mission, annoncé-je, ne sachant pas exactement comment le formuler.
Anatole recule, l'air décidément en colère.
— Tu fais partie d'une secte de voleur ? je le savais ! crie le garçon, avant de s'éloigner et de courir vers la porte de l'établissement.
— Non attends, crié-je à mon tour, tu fais erreur ! Je ne suis pas un voleur.
D'une main, je saisis son bras et le stoppe de tout mon poids. Sa musculature fine n'est pas de taille et, obligé, il se tourne vers moi, agacé.
— Lâche-moi ! hurle-t-il.
Mon cœur bat à toute allure. Nous sommes si proches du bar, que quelqu'un nous a forcément entendu. Que m'arriverait-il si l'affreuse dondon venait à remarquer ce chahut ? Je finirais guillotiné sur la place publique le soir même !
Couic, la tête.
— S'il te plaît, tu m'as demandé de te dire la vérité, en m'expliquant que tu avais ce don. Alors utilise-le, crois-tu que je te mente, actuellement ?
Anatole lâche un long souffle de mécontentement. Au même instant, le gérant de la brasserie sort et questionne en allemand le bel âtre. Par instinct, je relâche mon emprise sur lui et me fige comme un glaçon. Le jeune homme me regarde avec insistance, avant de répondre en allemand d'une voix calme. Le gérant - qui a aussi une taille de géant - retourne à ses affaires, sans ajouter un mot. Je me serais attendu à un grognement, mais tous les colosses ne descendent pas des ursidés.
Le plus important dans cette histoire, c'est qu'Anatole ne m'a pas dénoncé. Il en a eu l'occasion, mais il ne l'a pas fait. Je le regarde, curieux. Pourquoi donc ne m'a-t-il pas encore vendu au gérant ou bien à l'affreuse dondon (qu'il a déjà clairement dans sa poche) ?
— Je veux tout savoir, annonce-t-il, ou je te dénoncerai.
J'expire profondément afin de calmer mon petit cœur qui continue d'avoir des palpitations. Il va me faire passer par toutes les émotions, celui-là.
— Très bien, soufflé-je.
Du regard, je lui indique un banc en fer forgé placé plus loin, à l'ombre d'un frêne en fleur. Il me suit, docile.
— Me croirais-tu si je te disais que j'avais un contact avec Dieu ?
Mon cerveau turbine et essaye de trouver l'explication la plus plausible pour ce siècle, tout en mentant le moins possible. Anatole semble plus exaspéré que jamais et ses pieds sont déjà prêts à partir.
— Hör auf mit deinem Unsinn*1, rumine-t-il dans son allemand natal.
Réfléchis cerveau, putain réfléchis ! C'est le moment de prouver ta valeur et surtout, ton existence.
— Crois-tu en la voyance ? réessayé-je.
Il se fige et fait mine de réfléchir.
— Tu lis l'avenir ? interroge-t-il.
J'opine le menton. La voie semble dégagée, et le poisson est prêt à être ferré.
— En quelque sorte, expliqué-je, pour ne pas mentir.
Il est vrai que je connais l'avenir, puisque j'en viens. Même s'il est clair que je n'ai aucun don de voyance et encore moins de contact avec le mec ou la meuf d'en haut.
Anatole est toujours dans ses pensées.
— Dans quoi lis-tu : les cartes, le café, les feuilles ? continue-t-il de demander comme pour me tester.
Je tente tant bien que mal de masquer mon sourire face à sa question qu'il veut très sérieuse. Sa crédulité lui ajoute un petit charme d'antan.
— Je ne lis dans rien, expliqué-je, j'ai des visions.
Avec surprise, c'est la peur qui envahit soudain le visage du beau jeune homme.
— Prouve-le-moi, ordonne-t-il, sévère.
Ses yeux bleus sont si expressifs, que je suis prêt à jurer qu'on peut y déceler des éclairs.
— Ce n'est malheureusement pas sur commande, déclaré-je, effrayé à l'idée qu'il découvre ce petit mensonge.
Ses sourcils froncés m'indiquent l'impatience qui commence à pointer le bout de son nez.
— Comment suis-je censé te croire dans ce cas-là ? crache-t-il.
Mes neurones sont concentrés. Je ne peux pas parler des guerres futures : il ne me croirait pas et m'enverrait en prison. Ni de l'invention de l'avion, je serai parti d'ici-là. Le seul sujet que je connais presque par cœur, suite à mes recherches récentes, et qui est vérifiable maintenant, est à propos du petit Adolf.
— L'enfant qui est là-haut s'appelle Adolf Hitler, il est né hier à dix-huit heures trente précise.
— Tu es de la famille ? se méfie-t-il.
Je secoue la tête.
— Tu as bien vu que lorsque monsieur Hitler est passé devant nous, il n'a eu aucune réaction.
Il pose son menton sur sa main, l'air d'accord.
— Va demander à la serveuse de la taverne, je suis sûr qu'elle est au courant de l'heure à laquelle l'enfant est né, annoncé-je.
Semblant en accord avec le fil de ma pensée, il se lève et se dirige vers la brasserie. Ce qui a pour effet de me rendre extrêmement nerveux. Il va peut-être en profiter pour me dénoncer ou lui dire d'aller chercher la police (dont un de leurs membres vit juste au-dessus du restaurant.)
Une minute passe, puis deux, puis cinq. Jusqu'à ce que le joli blondinet sorte enfin du bar et se dirige vers moi, la mine sérieuse.
— Sache que si tu avais eu tort, je n'aurais pas réfléchi plus longuement et je t'aurais dénoncé auprès de monsieur Hitler.
J'acquiesce de la tête plusieurs fois. Je viens de passer de justesse à côté d'une catastrophe. Anatole, plus serein, reprend sa place à mes côtés.
— Je veux tout savoir à propos de la mission dont tu es chargé, déclare-t-il.
*1 Arrête avec tes foutaises
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top