L'aveu
Je retire ma main violemment. L'enfant, jusqu'alors très calme, prend peur et pleure. J'essaye de le calmer en lui parlant, mais Anatole surgit et m'attrape le bras.
— Qu'étais-tu en train de faire ? répète-t-il.
— Je lui donnais le remède, comme prévu, dis-je avec une voix inhabituellement douce.
Il fronce les sourcils.
— À travers les barreaux, j'ai vu ta main sur son cou. Et tu baragouinais quelque chose, s'agace-t-il.
La panique me prend et je perds mes moyens.
— Je... je, bégayé-je.
D'un pas je m'approche, comme pour essayer de le convaincre.
— Tu m'avais dit que tu avais un remède, que tu n'avais pas besoin de le tuer, s'énerve-t-il, tu m'as menti ?
Sa voix est montée étrangement dans les aigus.
— Non, attends, je.
Tout est confus dans ma tête. L'enfant est toujours en train de hurler et la nourrice alertée, ne devrait pas tarder à franchir le seuil de la petite chambre. Je n'ai plus aucune notion de temps, Alois pourrait débarquer à n'importe quel instant et enfin, tous les mensonges que j'ai sorti à Anatole commencent à devenir trop gros pour moi tout seul. Je ne me rappelle même plus de la moitié de ce que je lui ai dit.
— Éloigne-toi de ce bébé, hurle-t-il.
Ses yeux sont noirs de colère. Des insultes en allemand commencent à sortir de sa bouche. C'est sûr, je vais me faire tuer. Si ce n'est pas par lui, ce sera par n'importe qui d'autre qui trouvera une excuse débile pour le faire.
— Calme-toi !
Je tente par tous les moyens de lui faire baisser le ton, terrifié par la nounou et son patron, mais il continue de cracher ses mots d'Allemand, dont je ne comprends pas la signification.
C'est la fin.
— Ok, finis-je par craquer, je t'ai menti.
Le garçon, en entendant ces mots, s'arrête net.
— Si tu veux bien te calmer, je vais t'expliquer.
À peine ai-je eu le temps de finir ma phrase, que la nounou débarque, rouge. Elle houspille Anatole, avant d'attraper l'enfant et de le bercer. Anatole, muet, continue de me fixer de son air méfiant. Je sors de la chambre, sans manquer de me faire tout petit et m'empresse de rejoindre le salon. Personne ne nous a encore demandé de partir, alors profitons-en. Après tout, Anatole est le héros du jour.
Il me suit, mais reste au niveau du seuil. Signe m'avertissant qu'il peut à tout moment prévenir quelqu'un pour me faire sortir.
— Explique-moi, ordonne-t-il de sa voix dure.
Toute sa posture est menaçante. Lui, qui encore quelques heures auparavant me volait des baisers, est devenu aussi froid que de la glace.
— Ce serait trop compliqué de t'expliquer pourquoi, mais je sais que ce bébé est dangereux.
La posture braquée d'Anatole ne se desserre pas.
— Ce n'est qu'un bébé, articule-t-il, harassé.
— Aujourd'hui, oui. Mais un jour, il sera un adulte. Et cet adulte va être la cause d'une guerre innommable qui va tuer des millions de gens.
Il recule, comme s'il avait reçu un coup.
— C'est impossible, il vient à peine de naître. Son destin est entre ses mains ou celles du bon Dieu.
La question du destin et de la religion. Un sujet philosophique qui va être difficile à débattre. Après tout, est-ce que mon voyage dans le temps n'a pas déjà changé les choses ? Mais en quoi ? Si le mal est intégré dans son être, rien ne pourra l'empêcher de commettre ces horreurs, non ? En voyageant dans le temps, est-ce que je viens de prouver que notre destinée est déjà écrite ? Que seul, nous ne pouvons pas changer notre devenir ?
— Je connais le futur, je te l'ai dit. Et j'ai vu. Le sang, la mort, la torture. C'était horrible.
— Peut-être que tu t'es trompé ? Peut-être que ce n'est pas lui seul, qui est coupable de tout ce mal ? Peut-être que c'est dû à un ensemble de choses ? Une influence que tu n'as pas pu voir ?
Et là, c'est le trou noir.
Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ? Peut-on affirmer qu'Hitler est devenu Hitler, simplement en naissant ? Ou l'est-il devenu à cause d'une quelconque influence ? Il est facile de pointer du doigt le mal dont il est la cause, mais est-ce que si l'on retirait son mal à lui, les conséquences pourraient être différentes ?
Et si c'était ça, la solution à ce dilemme du diable.
— Mais bien sûr, soufflé-je.
Je m'approche de la porte, afin de sortir de la pièce aux canapés en velours.
— Tu ne bougeras pas d'ici, avant de m'expliquer ce que tu comptes faire de A à Z, me menace Anatole.
Tendu de tout son long, il n'est certes pas épais, mais suffisamment lourd pour maintenir un petit maigrelet comme moi sur place.
— Il est préférable que tu ne sois pas mêlé à ça.
D'un mouvement de main sur le torse, il me fait chanceler.
— Maintenant, tu vas arrêter de me prendre pour un Blödian*1 et tu vas me dire toute la vérité. Je ne crois plus en tes visions. Je suis sûr que tu en sais plus que ce que tu veux bien me dire et j'en ai marre d'être pris pour un idiot !
Les yeux clos, je réfléchis. Vérité ou mensonge, telle est la question ? dirait un pseudo-Shakespeare. Est-ce qu'un homme qui a, en apparence, l'esprit ouvert peut croire en un voyage dans le temps ? Va-t-il me faire confiance ou me brûler sur le bûcher ou pire – cela reste subjectif, je l'avoue – me guillotiner ? C'est quoi aussi cette histoire de peine de mort à la con, légalisée. J'ai l'impression que cela donne à l'ensemble de nos décisions, des airs de tragédies grecques (ce qui ravirait ma mère.)
Mon cerveau commence à fumer et je lâche finalement :
— Très bien, si tu veux tout savoir, alors... commencé-je, sans savoir comment je vais bien pouvoir terminer cette phrase.
Son visage entier m'invite à la finir, mais ma bouche est sèche et mes lèvres beuguent.
— Je suis un voyageur dans le temps. Je viens du futur, finis-je par avouer.
C'était bien la peine d'inventer tous ces bobards, si c'est pour finir par tout lui dire, me gronde ma garce de voix intérieure.
Et je dois avouer, qu'elle n'a pas tort.
*1 con
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