Je m'envoie en l'air
Ella ralentit à l'approche du petit aéroport - qui est spécialisé dans les avions privés - et se gare au plus près de la porte menant au hall. Un homme nous rejoint rapidement, près de lui, un Goodboard pour porter la machine. C'est une plaque de lévitation qui est mise à disposition dans les aéroports, afin d'aider pour le transport des bagages (son ancêtre est le chariot, ceux que les ados adorent envoyer dans les fleuves quand ils s'ennuient #PayeTonAntiquité.)
Mon père et l'homme en costume gris sortent la machine clandestine et la déposent lentement sur la plateforme en lévitation. Cette dernière s'écrase d'abord sous le poids (pour lequel elle n'est pas programmée à la base, puisque c'est un Goodboard d'aéroport, pas un porte-charge pour l'armée !) avant de changer son centre de gravité et de remonter à environ quinze centimètres du sol.
Mon petit baluchon sur l'épaule, je suis l'étrange cortège et salue Ella d'une main, qui à son tour, répond en faisant clignoter son toit. Nous grimpons ensuite dans une Golfette électrique. Mon père est à l'arrière, tandis que j'arbore la place du mort - idéale quand on sait ce que je m'apprête à faire - à côté du conducteur habillé de gris.
L'homme porte un bouc de couleur blanche et un chapeau triangulaire. Il n'a pas ouvert la bouche une seule fois depuis que nous sommes sortis de la voiture. La Golfette nous indique l'heure et nous demande de bien vouloir scanner nos téléphones pour pouvoir nous renseigner sur notre vol (elle est nettement moins sympathique qu'Ella. Sa voix est éraillée et elle ne propose même pas un petit rafraîchissement : ça vaut deux étoiles sur caradvisor.)
Dans l'absolu, il y a de fortes possibilités pour que mon nom ne soit pas répertorié dans la liste des passagers du jet - vu la non-légalité du vol - donc la voiturette ne m'est d'aucune aide. Espérons que l'avion ne disparaîtra pas dans les airs, il serait alors difficile de retrouver mon corps. Mais après tout, pourquoi je m'inquiète ? Je vais peut-être VOLONTAIREMENT me désintégrer en posant mon pouce sur cette saleté de machine.
Le tarmac est vide, quelques avions sont stationnés plus loin. Un jet rouge flash est avancé et des boîtes en bois patientent près du ventre vide de l'engin volant. À peine garés, l'homme au bouc s'empresse de me donner les boîtes et sans mot dire, je les range une à une dans l'avion, aidé de mon père.
Il me semble en avoir senti une ou deux bouger, mais je n'y ai pas prêté une grande attention. Je ne prendrai pas le risque de fâcher un homme ou une femme un peu trop bien placé.e, pour une de ces saletés de bestioles ingrates.
Le matériel une fois rentré dans l'avion, je claque une bise à mon père et commence la montée des marches pour rejoindre l'habitacle. Je suis sur le seuil, lorsque j'entends la voix faible de mon père déclamer : je t'aime, fais attention à toi.
Sans me retourner, j'entre dans le jet privé et m'installe sur l'un des sièges. Je ne vais pas commencer à jouer au fils parfait maintenant, alors même qu'il veut m'abandonner dans la forêt. Mes petits cailloux à moi, je les ai trouvés il y a bien longtemps déjà. Ce sont le mépris, le sarcasme et la haine.
La durée de vol est estimée à deux heures. Nous atterrirons dans un aérodrome autrichien tout près de Braunau am inn. L'avantage des petits avions, c'est qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une grande piste. Tandis que les avions de ligne eux, sont obligés d'atterrir à Salzburg (situé à environ soixante kilomètres de ma destination.)
L'homme en gris est assis derrière moi. Je ne connaîtrais sûrement jamais son doux matricule. Peut-être qu'il ne parle pas à cause d'un problème au niveau de ses cordes vocales et que le seul son qu'il puisse sortir ressemble à la voix de Mickey Mouse, shooté à l'hélium ?
Si cela s'avérait être la véritable explication à son mutisme, il est bien sûr préférable qu'il garde sa bouche close. Ça tuerait à coup sûr, tout le trip autour du « je suis un très méchant monsieur, à la botte de la mafia russe, bouuuuh. » Tout ce travail foutu à la poubelle pour finir chômeur et marié à un mulot (ces bêtes-là ne sont pas difficiles au niveau du choix de leur partenaire.)
Le décollage s'est fait aux alentours de seize heures trente et nous devrions atterrir à dix-huit heures en Autriche. Le stress ne fait que grimper depuis que j'ai quitté la maison et je ne sais pas si j'aurai toujours le cran de le faire, une fois arrivé. Il est toujours temps de faire machine arrière et de rentrer chez moi (sans mauvais jeu de mot, bien sûr.)
Tu as l'opportunité de tuer le plus grand monstre de tous les temps, me gronde ma voix intérieure.
Je vois déjà les feux d'artifice tirés en mon honneur sur les Champs Elysées, et la presse écrire en gros dans leur Une : Adolphe, le héros du jour ou encore Le jeune homme qui a tué Hitler, avec ma tête sur absolument toutes les couvertures de magazines. La motivation reprend petit à petit sa place dans mes entrailles et me file toute l'énergie qu'il m'est nécessaire pour ce périple.
Le voyage passe lentement. Un steward est venu me proposer à boire, mais j'ai refusé. Une télévision personnelle est placée sur le mur en face de mon siège. Je mate un épisode de Dry Killer, la nouvelle série à la mode sur la plateforme Netflix. Au bout du cinquième épisode, l'avion commence sa descente. C'est tout de même un drôle d'anniversaire que je vis là, mais peut-être le meilleur, quand j'y réfléchis bien (en même temps, c'est pas très difficile.)
— Attachez vos ceintures, s'il vous plaît messieurs, nous allons atterrir, demande le steward. Je vous annonce que la température est actuellement de dix-huit degrés à Branau am inn et qu'il est dix-huit heures trois.
Les paysages se rapprochent. Nous traversons les quelques nuages qui recouvrent le ciel et un instant plus tard, le train d'atterrissage est sorti et l'avion, posé. La piste est petite. Il n'y a pas de douane ou de vérification de passeport prévu au sol.
Nous restons un vol à l'intérieur de l'Union européenne, mais c'est tout de même très limite. Avec un peu d'argent - ou beaucoup - on peut facilement passer au-dessus des lois (elle est belle la démocratie, hein messieurs dames ?) L'homme muet me fait signe de le suivre. Depuis la soute, je l'aide à décharger les boîtes qui émettent cette fois-ci, d'étranges couinements.
Le vent frais s'engouffre sous mon haut. J'ai opté pour un habit soft : chemise blanche et pantalon noir, avec les souliers que mon père portait à son mariage. Je vais éviter de débarquer en mille-huit cent quatre-vingt-neuf avec un sweater rose fluo de marque, des insultes en anglais brodées sur la poche avant.
Il n'y a pas de Goodboard à disposition dans l'aérodrome, donc c'est à bout de bras que l'on transporte l'engin jusqu'au bâtiment. Où est-ce qu'on peut bien déposer une machine à téléportation avant son premier voyage temporel, sérieux ? Ce n'est pas comme s'il y avait une notice, une carte ou des panneaux comme pour les parkings à camping-cars.
L'homme en gris pensant sa mission finie, fait mine de s'en aller, mais je le retiens par la manche de sa veste. Je ne connais qu'un seul endroit où je pourrais être un tant soit peu tranquille : les toilettes. Lasse, il lâche un long souffle, mais s'exécute et n'aborde aucune expression lorsque je le dirige vers les WC réservés aux messieurs. Il a dû en voir des choses dans sa vie, ce brave homme.
Lorsque la machine est déposée sur le sol près des robinets, je le remercie. Bien sûr, l'homme gris - oui, je suis sûr que même son âme est de cette couleur - ne dit rien et s'écarte définitivement, avant de retourner à ses affaires. Me voilà donc nez-à-nez avec la machine, muni d'un simple baluchon et de ma petite cervelle. Je ferme à clé l'endroit et m'assois sur l'un des lavabos.
Il n'y a personne, je suis seul. Mon vœu d'anniversaire a enfin été réalisé. Depuis le temps que je le demandais en soufflant mes bougies.
— Je crois que le moment est venu, annoncé-je pour moi-même.
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