Il s'appelait Coco

— Comment tu sais qu'elle marche si tu ne l'as jamais essayée avant ? l'interrogé-je.

Alain et Anna se regardent, toujours aussi mal à l'aise. L'horloge de l'église sonne midi et les nuages recouvrent le ciel de mon petit village, près de Limoges.

— Tu te rappelles de Coco, le chien des voisins ?

L'image d'un border collie me revient à l'esprit. Il était toujours en train de traîner dans notre jardin, vu qu'il était assez intelligent pour ouvrir les portillons et que nous avions le luxe de nous payer une mare avec des carpes. C'est grâce à Coco que j'ai appris que les chiens pouvaient observer des poissons pendant des heures sans bouger d'un poil. Étrange phénomène.

— Oui, il s'est échappé, il y a quelques mois, expliqué-je.

Les mots à peine sortis de ma bouche, je réalise la trop grosse coïncidence. Qu'est-ce qu'ils ont bien pu faire à ce pauvre clébard ?

— Ne me dites pas que...

— Il faut faire des sacrifices pour pouvoir faire avancer la science ! lance ma mère, comme pour masquer sa culpabilité.

Mon père reste un peu plus humble.

— C'était l'être le plus intelligent des alentours. On n'allait pas commencer avec un humain. On lui a accroché un talkie sur son collier, en espérant pouvoir le guider, mais ce fut un échec. L'inter dimensionnalité est une limite au talkie-walkie, il faut croire.

— Et il t'a fallu un diplôme d'ingénieur pour en venir à cette conclusion, craché-je.

Mon patriarche s'assoit, blessé par les remarques humiliantes qu'il reçoit depuis qu'il m'a offert la fameuse machine.

— Et il est devenu quoi Coco ?

Ma mère souffle un : si seulement on pouvait le savoir.

Une partie de moi est sur les fesses à cause de deux idées complètement contradictoires. La première est que mon père ici présent, a peut-être inventé la machine la plus fantasmée de l'histoire et la deuxième est qu'il n'est pas foutu de comprendre qu'un chien ne peut pas utiliser la machine dans le sens inverse.

— Et vous n'avez pas peur qu'elle ne fonctionne pas et que je me retrouve coincé à une autre époque ou pire, que je sois désintégré ?

Les deux soi-disant adultes de la pièce me lancent un regard qu'ils veulent plein d'amour.

— Mon chéri, si l'on n'était pas sûr que cette machine fonctionne bien, nous ne te l'aurions jamais offerte.

Il est vrai, lecteur, que si tu voyais leurs têtes à cet instant, tu leur donnerais le bon dieu sans confession. Mais c'est très mal les connaître.

— Alors pourquoi ne pas l'avoir essayée vous-même ?

Ils baissent les yeux. Un truc pas bon se trame, moi je vous le dis.

— Si tu prends l'exemple de Coco, il a disparu avec la machine et il a bien fallu que j'en reconstruise une nouvelle. Or sans moi, pas de machine et puis tu as toujours été le plus débrouillard de la famille, annonce mon père.

Étrangement, ce qui est en train de se passer me fait penser au conte du petit poucet, version futuriste. Or, il est difficile de semer des petits cailloux ou même des miettes de pain - si on choisit la version low-cost - à travers les dimensions multiples.

— Nous ne t'obligerons jamais à l'utiliser, mais nous pensions que c'était un beau cadeau pour tes dix-huit ans.

Suis-je le seul à ne pas oublier un détail important ? Je veux vivre, bordel !

— Et puis imagine si elle fonctionne ! Tu seras le premier homme à voyager dans le temps, c'est fantastique non ? ne peut s'empêcher de crier ma mère.

Les paillettes, voilà le rêve de mon humble génitrice. Toujours attirée par les projecteurs et les médailles, là où mon père aime la découverte, la recherche et le travail. Son rôle à elle, c'est de le motiver et de le soutenir coûte que coûte pour atteindre son propre rêve étoilé : un véritable équilibre symbiotique. Parfois, je me demande même si elle n'aime pas plus ses inventions que lui.

— Désolé, mais ça ne m'intéresse pas. Je vois pas ce que je pourrais bien aller foutre dans le passé. Excepté pour me faire dévorer par un T-Rex ou me faire brûler vif pendant la prise de la Bastille.

Mon père lève un doigt, sa bouche est de travers, comme lorsqu'une réflexion importante lui traverse l'esprit :

— À ce propos ! Ma machine est un prototype. Tu ne peux pas encore choisir le jour, seulement l'année. Donc par exemple, si tu pars le vingt juillet à midi, tu arrives le vingt juillet à midi de l'année que tu as sélectionné.

Je me gratte la tête.

— C'est encore pire que ce que j'imaginais.

Et sur ces derniers mots, je me relève et quitte la pièce, en laissant mon pseudo-cadeau sur la table.

— Attends ! Pars pas sans elle, crie une dernière fois mon père.

Il lance un regard à Albert et de manière synchrone, ils soulèvent l'engin avant de monter les marches jusqu'au deuxième étage et de la déposer sur le parquet, en face de ma tête de lit.

— C'est trop gentil de votre part, lâché-je de manière ironique.

Les deux garçons quittent mon lieu de repos et me laissent seul avec mon cadeau d'anniversaire. La lumière du plafond se reflète sur le métal argenté et j'aperçois la rangée de six chiffres, qui indique l'année deux-mille quatre-vingt-six. À sa droite, un bouton bleu et un bouton rouge. L'objet n'a pas de roues, pas de chapeau ou de lunettes fantaisie : c'est juste un cube concassé de métal.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que mon père a fait simple.

Personne ne semble inquiet pour moi et tout porte à croire qu'ils me poussent à prendre ce risque démesuré, alors qu'il ne leur est pas venu à l'esprit de le faire eux-mêmes.

Mon portable vibre et me fait oublier pendant quelques instants, cette machine du démon. Kala me souhaite un merveilleux anniversaire avec un singe qui se cache les yeux et des cœurs qui brillent. Quitte à choisir, je crois vraiment que je préfère les GIF hitlériens.

Une sonnerie spéciale m'indique que mon père m'a envoyé un SMS, je le lis :

« Bien sûr, tu ne dois en parler à personne. C'est top secret. »

Je m'attends à recevoir un mail avec écrit : « Ce portable s'autodétruira dans... » suivi d'un compte à rebours. Mais non, il n'est pas allé aussi loin.

Dommage.

J'ouvre l'application TurtleFight et commence à balancer des carapaces de tortues pour tuer des taupes et aligner des cacas verts fluos. « C'est le nouveau CandyCrush, disent les anciens, mais en plus débile. »

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