Échange délictueux

Il passe une main dans ses cheveux, l'air un peu maladroit. De la grêle frappe maintenant les fenêtres et le son émis couvre le tonnerre. Quelques flashs bleus illuminent la pièce.

— Toi aussi, tu es ? lâche-t-il doucement, sans oser terminer sa phrase.

Je jure que s'il m'avait traité de sodomite, je serais parti en caleçon sous la tempête, telle une furie. Mal à l'aise, je préfère ne pas répondre. Il m'attire, c'est indéniable et désormais je comprends que c'est réciproque. Mais le moment est très mal choisi. Je ne peux pas me permettre de me disperser.

Anatole approche encore d'un demi-mètre, prudent. Je ne bouge toujours pas. Des frissons m'envahissent.

— J'ai vu ton regard, j'ai compris, explique-t-il, avec toujours autant de douceur. Si tu n'as pas envie, tu n'as qu'un mot à dire et je retournerai à ma couchette près du poêle, je te le promets.

Son torse taillé approche de deux pas, audacieux. Je ferme les yeux et tente de me concentrer. Le bien et le mal, comment les différencie-t-on finalement ? Actuellement, le bien est synonyme d'assassinat d'un nourrisson jusqu'alors innocent, tandis que le mal est représenté par la distraction qu'incarne Anatole, et notre mutuelle attirance qui risquerait de compromettre ma mission.

L'enfer est pavé de bonnes intentions, explique mon cerveau.

Et pour la première fois de ma vie, je comprends enfin cette expression : il n'y a rien qui définisse une action bien ou mal, mis à part notre propre jugement et les conséquences qui peuvent être différentes selon le protagoniste. Tout ça influencé par des contextes et des causes.

Arrête de réfléchir, murmure le petit diable sur mon épaule.

Lorsque j'ouvre les yeux, Anatole n'a toujours pas bougé et son regard est teinté de tristesse.

— Je comprends, tu n'as pas à dire un mot. Je vais retourner à ma couchette.

Doucement, il fait un demi-tour sur lui-même et s'allonge près du poêle brûlant, sur la peau de bête.

La déception s'éprend de moi immédiatement. Une partie de mon être aurait apprécié qu'il s'approche plus. Le petit ange sur mon autre épaule, quant à lui, se félicite d'avoir résisté aux charmes de l'Autrichien. Les choses seront plus simples si on ne mêle pas les histoires de cœurs à toute cette affaire.

Je m'allonge de tout mon long sur le matelas. Le coussin entre les bras, j'attends que le marchand de sable passe. Une frustration légendaire a épris l'entièreté de ma personne et cela rend difficile toute autre pensée qui pourrait s'avérer relaxante.

Le temps passe, il semble long et mes yeux commencent enfin à papillonner. Pourtant, le visage d'Anatole me hante. Il est affiché en grand sur ma rétine.

Dans un coup de sang, je me lève et retire les draps. Assis, je réfléchis un instant, avant de lâcher prise et de m'approcher du poêle.

Sentant ma présence, le garçon élève sa tête et m'observe, muet. Je m'accroupis avec lenteur. Quelques centimètres nous séparent et Anatole reste immobile.

La pluie s'est calmée dehors, et le silence est maître.

Ma paume de main se pose sur sa joue douce, avant de glisser jusqu'à sa moustache. Il ferme les yeux, mais ne fait toujours aucun geste. J'approche mon visage de plus près avec cette même lenteur langoureuse. Ses yeux brillants papillonnent, avant qu'il ne recule dans un coup de tête.

— Tu n'es pas obligé, murmure-t-il avec son accent, tu ne me dois rien.

Je continue mon manège, mais il persiste à m'éviter.

— Je ne veux pas que tu te sentes obligé de quoi que ce soit.

Agacé par ses remarques, je pose mon regard dans le sien et fronce les sourcils, avant de reprendre ma douce avancée, sans dévier le regard. Lorsque mon nez frôle le sien, il se laisse enfin aller et se détend.

Mes lèvres se posent alors, avec une extrême délicatesse, sur les siennes. Je pense à toutes les fois où j'ai embrassé avec fougue un garçon. Lors de soirées alcoolisées ou de défis dans les couloirs du lycée. Ses baisers étaient tous dévorants et superficiels ; égoïstes et jouissifs, mais brefs.

Pour la première fois de ma vie, je fais preuve d'une vraie douceur et je n'ai aucune envie de précipiter les choses. À mon rythme, je déguste ses lèvres, sa langue, son nez, ses joues. Je découvre ses gestes, ses caresses.

Sa main parcourt mon poitrail, timide. Je saisis ses doigts et les entremêle aux miens. Sous son baiser, je sens son sourire. Mon autre main visite ses bouclettes blondes : ses mèches souples sont si douces.

Délicatement, sa bouche descend dans mon cou et presse ma peau. Les frissons précédents s'amplifient et courbent mon dos.

Nos corps s'emballent et les jambes s'entrelacent, tandis que les bras se font et se défont. Les sous-vêtements glissent et atterrissent à plusieurs mètres, alors que nos souffles accélèrent.

Tout disparaît.

La nuit. Le temps. La mission. L'époque. Les mœurs. La peur. La timidité.

Pas besoin de machine temporelle pour entrer dans une sphère coupée de tout. Les lèvres se pincent, les corps se cherchent et la température grimpe.

L'aube pointe enfin son nez, lorsque nous nous endormons, épuisés et satisfaits sur le sol. Les bras d'Anatole enlaçant ma taille.

Toc toc toc.

Le bruit me réveille en sursaut. Un instant, je me demande où je suis et le contact avec la peau chaude d'Anatole agit comme une piqûre de rappel. J'entends des oiseaux chanter au-dehors.

Une voix allemande crie le prénom de mon amant qui, d'un pas las, se dirige vers la porte après avoir enfilé à la va-vite un haut qui traînait sur le dos d'une chaise.

— Danke*1, murmure-t-il alors que la dame dépose un lourd plateau d'argent entre ses bras.

La dame au visage carré jette un œil peu discret à l'intérieur. J'ai réussi à me cacher à temps sous la peau. Dans un rire, elle lâche quelques mots d'Allemand que je ne comprends guère. Après quelques minutes, elle se décide enfin à partir.

Anatole semble gêné.

— J'avais prévenu, annonce-t-il.

— Ça tombe bien, je ne parle pas un seul mot d'allemand, souris-je.

Ma remarque semble le détendre et il se rapproche, le petit-déjeuner entre les mains, avant de m'embrasser.

*1 Merci

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