Dolphy's Birthday

— Joyeux anniversaiiiire, joyeux anniversaiiiire Aaaaadolphe. Joyeux anniversaiiiiire, joyeux anniversaire Adolphe !

Des cris résonnent dans la maison, accompagnés d'applaudissements. Aujourd'hui, j'ai dix-huit ans et je suis donc officiellement un adulte. Pourtant à cet instant précis, je ne vois aucune différence avec tous mes autres anniversaires. Sauf peut-être les remarques insupportables du genre « tu n'es plus un petit garçon maintenant », « alors ça fait quoi d'avoir la majorité ? »

Comme chaque année, je mate mon mur JoliVisage - le successeur français de Facebook, qui a fait faillite après un énième scandale - et j'y retrouve les éternels GIF d'Hitler. Comme si on ne m'avait pas fait la blague un million de fois. Au milieu de tout ça, quelques messages d'affections flanqués de petits cœurs rose et d'animaux en tout genre (pourquoi les gens vénèrent autant ces émojis débiles ?)

La plupart de mes amis m'appellent Dolphy. Il trouve ça plus « mignon » et moins connoté qu'Adolphe. Moi, ça me donne juste l'impression d'être un cétacé piégé dans un monde de cons et les plus arriérés me sifflent en criant « hé Flipper ! ».

Voilà à quoi rime mon quotidien. Soit je suis traité comme l'un des personnages historiques les plus détestés de tous les temps, soit comme un animal associé au monde bisounours des gamins baveurs.

Je vous vois venir, vous allez me demander pourquoi mes stupides parents m'ont nommé ainsi ? Eh bien, sachez qu'ils ont eu la magnifique idée le jour de la naissance de mon frère, de le nommer comme un personnage historique né le même jour. Coup de chance pour lui, il est venu au monde le quatorze mars deux-mille soixante-trois et se nomme donc Albert, comme le fameux savant Einstein. Puis il y a eu ma sœur, qui est née le dix-sept juillet deux-mille soixante-cinq. Ils ont décidé de l'appeler Angela, comme l'ex-Chancelière allemande.

Veinard comme je suis, mes parents ont eux-mêmes leurs prénoms qui commencent par la lettre A ; et mes frères et sœurs rendant tous hommages à des personnages historiques allemands - mon père a vu le jour à Munich - vous imaginez bien que lorsque j'ai pointé le bout de mon nez un matin du vingt avril deux-mille soixante-huit, le premier nom qui est apparu en tapant sur Google : « Personnage historique né le 20 avril » a été celui d'Adolf Hitler.

Immédiatement, ils se sont dits que la coïncidence était drôlement grande. Ils auraient pu arrêter la blague-là et se dire : « Bon quand même, on va lui trouver un prénom un peu moins difficile à porter. » Mais non. À la place, ils ont ri, ils se sont questionné deux minutes sur le bien-fondé de cette décision hâtive et ont déclaré : « Mais de toute façon ça ne s'écrit pas avec un f mais avec phe et puis, il y a eu plein d'autres Adolphe célèbres. » Et mon sort était scellé. Je m'appelais désormais Adolphe Picardier, fils d'Alain et Anna Picardier. Mon père ayant abandonné son nom de famille allemand Hamburger pour le nom de jeune de fille de ma mère.

Et on se demande pourquoi j'ai un caractère de merde.

Le gâteau est sur la table, la fumée des bougies touche le lustre qui orne la salle à manger. Ma mère crie : souris, chérie ! L'objectif de l'appareil photo braqué sur ma bouche. Je fais ma moue boudeuse, elle souffle et le clic reconnaissable enclenche le flash.

Pourquoi Ciel doit-on être heureux le jour de son anniversaire ? En quoi est-ce bien de naître sur cette Terre toute pourrie et polluée, pleine de cafard et de vermine (et je ne parle pas simplement des rats) ?

Sans parler de cette stupide tendance qui mériterait l'award de l'hypocrisie, que l'on appelle écologie. Vous saviez que la chose la moins écolo au monde, c'est de faire des gosses ? Ce sont pourtant les familles les plus nombreuses qui sont les plus moralisatrices ! Prenez comme exemple mon voisin, qui tous les quatre matins, me hurle dessus pour avoir mis la bouteille de verre dans la mauvaise poubelle, alors que ses quatre mômes gueulent et se battent dans sa grosse cylindrée. Suis-je le seul à rêver d'avoir les tripes de balancer la vérité à ces malotrus : pensez d'abord à utiliser des préservatifs, avant de faire la morale aux autres, saletés de pollueurs !

Dieu ne doit pas exister ou alors, c'est un tortionnaire qui nous balance du haut de son trône doré - ou argenté, je ne suis personne pour juger quel métal est le plus noble - et nous force à souffrir en bas avec les humains (dire que ce nom est également un adjectif avec une connotation positive.)

Ce monde est dingue, moi je vous le dis.

Je récupère une fourchette, mais la moitié du Cheesecake est déjà partie dans le ventre de mon grand-frère. Ce dernier s'appelle peut-être Albert, mais croyez-moi, il n'a rien du fameux « Einstein ». Son idole est un personnage de télé-réalité sordide, dont le seul talent est de pouvoir manger vingt hot-dogs en trois minutes. Certains diraient « impressionnant » en le voyant, moi je hurle « crève ! » de toutes mes forces à la télévision.

Après avoir avalé une petite bouchée, je me rue aux toilettes pour retrouver mon calme et ma tranquillité intérieure. Enfin. Je n'aime pas les gens. Et je me demande même parfois si j'aime ma famille. Quand je les vois, je vois tout ce que je déteste sur cette planète. La télé-réalité avec mon frère, les artifices avec ma mère, le militantisme avec ma sœur et la vieillesse avec mon père. La seule personne qui trouve grâce à mes yeux, c'est Bieber, mon cacatoès.

Pareil, je vous vois venir à dix mille, pourquoi est-ce qu'on l'a appelé comme ce vieux chanteur des années deux-mille dix ? Figurez-vous que nous avons peut-être adopté le seul perroquet qui ne sait pas chanter. Quand on a entendu ses premières notes, on a direct pensé à ce bon vieux Justin. Mes grands-parents étaient fans durant leur jeunesse et nous écoutions les anciens CD lorsque l'on restait chez eux durant les vacances.

— Adolpheeeee ! crie la voix suraiguë de ma très chère génitrice.

Clic, fait la porte que je déverrouille, aaaah, hurle mon esprit incompris.

— Allez viens, c'est l'heure des cadeaux, déclare-t-elle en me voyant.

Je traîne des pieds. Une partie de moi espère tomber et se casser la figure devant tout ce petit monde, pour que la culpabilité les pousse à me laisser une bonne fois pour toute, tranquille (mot à souligner trois fois.)

— Dodo, tu pourrais faire un sourire quand même, c'est ton anniversaire ! grogne Angela.

Ma très chère sœur qui préfère m'appeler comme un oiseau obèse disparu depuis des siècles, plutôt que comme le plus grand criminel du monde. Elle en a voulu à mes parents pendant des semaines de m'avoir nommé ainsi, lorsqu'elle a appris à l'école, qui était Hitler - j'ai envie de vous dire que moi aussi, je ne l'ai pas bien pris - Peut être que c'est pour cela qu'aujourd'hui, elle est devenue super végane ; féministe ; écolo ; LGBTQ+ et tous les combats que vous pourrez trouver sur Google après avoir tapé : « C'est pas juste ! »

Mon séant est sur la chaise qui m'est attribué depuis que je mange solide, celle en bout de table, en face de mon père.

— Tu devrais commencer par le plus gros, annonce-t-il. 


Voilà pour ce premier chapitre tout en couleur. Qu'en avez-vous pensé ?

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