Bouilloire interne

L'après-midi se passe doucement. Je réponds aux messages sur l'ensemble de mes réseaux, en faisant tout mon possible pour éviter les provocations des élèves les plus idiots de ma classe. Mais la journée bascule quand je reçois ce message :

« Salut Adolf, j'espère que tu passes une super journée à l'incinérateur de Limoges, j'ai vu qu'on y avait brûlé une grand-mère juive ce matin. Un pur plaisir pour ton petit cœur nazi, n'est-ce pas ? Sinon, comment va ta famille ? Ils ont pu t'offrir ce petit voyage en Pologne pour te rappeler des bons souvenirs en l'honneur de ton anniversaire ? Joyeux 197 ans, je crois que ça se fête autour d'un bon feu de joie un tel événement.

Heil Hitler ! »

Message envoyé par Manu, bien évidemment, le plus con des cons de l'Univers entier. Mon sang bouillonne et mes poings se ferment. Chaque année, ce sont les mêmes messages dégueulasses qui envahissent ma messagerie privée. Je sais que je suis né le même jour que ce malade et qu'en plus je porte son nom, mais je ne mérite pas cette haine. J'aimerais tellement que ce type n'ait jamais existé. Croyez-moi, personne n'a plus envie de tuer ce monstre, que moi !

Ding.

Mon cerveau s'allume et la machine me fait de l'œil.

— Et si, me murmuré-je à moi-même.

Je me lève et m'attable là où réside mon ordinateur. Mes doigts tapent frénétiquement sur le clavier et les recherches sur Google se succèdent. Des noms allemands défilent, des dates, des lieux et un joli paysage d'Autriche. Une brasserie se démarque du lot, avant que je ne mette un point final à tout ça.

— PAPAAAAA ! je crie.

En moins de temps pour le dire, j'entends des pas tonitruants résonner à l'étage du dessous et grimper les escaliers jusqu'à ma chambre.

— Oui, mon lapin ? questionne-t-il de sa petite voix pleine d'espoir.

— C'est bon, je vais l'utiliser ta machine. Dis-moi comment elle fonctionne.

Un cri de joie s'échappe de sa gorge et je le vois se retenir de danser.

— Chérie ! Notre loulou va voyager dans le temps ! hurle-t-il.

Un nouveau cri, suraiguë, envahit la maison et est accompagné des râles agacés de mon frère et de ma sœur. Dont mon sort semble ne leur faire ni chaud, ni froid.

— Alors tu veux retourner en quelle année ? demande mon père, plein d'enthousiasme.

J'avance d'un pas vers lui, la mine sérieuse. Sa cuisse gauche est collée à la machine. Je me demande ce qu'en penserait Freud. Dolto, elle, dirait que l'enfant aimé n'est pas le plus vivant des deux.

— En l'an mille-huit cent quatre-vingt-neuf, annoncé-je.

Ses sourcils se froncent, il est perplexe.

— Ah bon ? Mais il se passe quoi cette année-là ?

Je pose mes deux mains sur mes hanches, afin d'affirmer ma position. Tel superman lorsqu'il vient de sauver le monde.

— C'est la naissance d'Hitler.

Les mains, puis le visage de mon père, deviennent blancs. Il ouvre plusieurs fois la bouche pour dire quelque chose, mais les mots ne sortent pas. Il s'attendait sûrement à ce que je dise une date plus conventionnelle ou bien une époque plus cool, comme l'année mille-neuf cent soixante-huit ou les années mille-neuf cent quatre-vingts. Il faut croire que je préfère faire dans le dilemme classique.

— Je vais tuer Hitler, le jour de sa naissance.

Ses lèvres tremblent et je vois que ses yeux brillent.

— Tu ne peux pas faire ça, voyons ! Imagine toutes les conséquences que cela va avoir dans le futur ! Et en plus, tu vas tuer un bébé ! Tu veux être un tueur de bébé ?!

Mes mains s'accrochent à mes hanches et mon menton se relève.

— Alors prie pour que ta machine ne fonctionne pas, car c'est la seule époque pour laquelle je prendrai le risque de voyager. En plus, je ne suis pas le seul qui saisirait cette opportunité pour tuer le mal incarné dans le berceau.

Alain s'assoit sur la chaise de mon bureau, pensif. Je sais qu'une partie de lui ne peut pas supporter le fait que je devienne un tueur, mais en même temps, est-ce que tuer Hitler, c'est véritablement commettre un meurtre ? Après tout, c'est aussi et surtout sauver des millions de gens. Donc si j'arrivais à tuer bébé Adolf, je deviendrais le plus grand sauveur de tous les temps.

Je serais un héros.

— Tu l'as dit toi-même, je suis ton cobaye idéal. Puis de toute façon, cette machine m'appartient vu que tu me l'as offerte. Alors j'irai là où j'ai envie d'aller.

L'homme en face de moi déglutit.

— Très bien, si c'est ce que tu souhaites. Il faut que tu alignes la date que tu veux. Fais attention à mettre les zéros devant et pas à la fin, ou tu risques de te retrouver dans le futur en cent quatre-vingt-huit-mille neuf cents. Dieu sait seulement si la planète Terre existera encore.

— Et si ça fonctionne, je reviens en mettant l'année deux-mille quatre-vingt-six ?

— Il me semble oui. Elle est réglée de cette façon, mais je pense que c'est toi qui découvriras son véritable fonctionnement. Le bouton bleu c'est pour le futur, c'est un genre d'après Jésus-Christ et le bouton rouge, c'est pour tout ce qui est avant Jésus-Christ. Ne te trompe pas surtout !

J'acquiesce, bien attentif à chacune de ses consignes.

— Je dois me placer comment ?

— Tu dois simplement poser ton pouce droit sur le capteur, situé sur la tête de la machine.

J'approche, le capteur est sale. Mon père n'a même pas pris le temps de briquer son invention. Quel cadeau plein d'attention, dites-moi. À cet instant, je pense à Laïka, la première chienne à avoir été envoyée dans l'espace, qui n'est malheureusement pas revenue vivante et je me sens comme le chimpanzé qui lui a succédée.

Espérons que l'Univers me réserve le même sort.

— Tu as préparé un sac de voyage ? demande Alain, soudain inquiet pour mon périple.

— Les vêtements seront inutiles, il faudra que je m'achète ceux d'époques ou je vais passer pour un fou. D'ailleurs, il va me falloir des florins, c'était la monnaie de l'époque. Et de la nourriture.

La monnaie recherchée ne peut se trouver que dans les musées ou peut être dans le coffre de certaines banques.

— Je vais appeler Jean-Yves, voir s'il peut arranger ça pour moi.

Voilà ce que c'est de connaître le « monde ». Lorsque vous êtes ami avec la Présidente de la République, l'Univers s'ouvre à vous. Et Jean-Yves, comme mon père aime l'appeler, n'est autre que le président-directeur du Louvres - qui, pour ceux qui ne le savent pas encore, est le musée le plus visité au monde tout de même - autant vous dire que ma famille vole au-dessus de la stratosphère dans le milieu. Les petites garden party avec les gens importants, ça vous facilite le quotidien, y a pas à dire.

— Il va appeler des collègues, voir avec d'autres musées pour me prêter une petite somme. Mais essaye d'en ramener s'il te plaît. Je lui ai dit que c'était pour étudier la qualité de l'argent et j'ai prétendu que je cherchais une corrélation entre l'âge du métal et sa qualité, annonce-t-il après avoir raccroché.

De mieux en mieux. À quand le nez qui pousse ?

— Je ferai ce que je peux, mais tu sais, je n'y vais pas pour longtemps et encore moins pour faire du business.


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