Alois Hitler
Un homme grand aux cheveux courts et à la face pâle, apparaît. Sa chemise blanche est éclairée par les bougies et sa mine est sévère.
— Ja, das Kind wird von der Kinderpflegerin bewacht*1, explique-t-il.
Sa voix est forte et fait vibrer les murs. C'est lui. Sa moustache est longue et séparée en deux. Une veste noire couvre ses épaules robustes.
Alois Hitler, père d'Adolf Hitler.
La femme continue de parler, tandis que l'homme se dirige vers la sortie. Il répond poliment avant d'abréger la conversation par un coup de tête et de sortir de l'établissement. La serveuse au tablier salie revient vers moi, la bière en main. Son expression est redevenue terne et antipathique. Je lui souris exagérément.
C'est une technique que j'ai apprise dans la cour de l'école. Il n'y a rien de plus agaçant pour quelqu'un qui ne vous supporte pas, que d'être exagérément gentil avec lui. Pour exemple, Fabrizio qui ne cessait de me chercher des poux pendant les cours, en m'envoyant des boulettes de papier dans la figure. J'avais fini par lui dire merci à chacun de ses « cadeaux » reçus. Le jeu n'en valant plus la chandelle, il avait fini par se lasser et avait fini par me foutre une paix royale.
En voyant mes dents blanches exposées, elle se rembrunie et pose brutalement la pinte sur la table, faisant éclabousser le breuvage sur sa poitrine découverte.
Je retiens mon rire et attrape la hanse, avant d'approcher la bière de ma bouche. Le goût des herbes aromatiques fait pétiller mon palet et je lèche mes lèvres, satisfait par ma boisson.
Tandis que je profite durant un petit instant de ma pause dix-neuvième siècle, un jeune homme au chapeau guindé entre dans la brasserie. Il est grand, fin et son allure est belle. Une petite moustache blonde surplombe ses lèvres fines. Le garçon se dirige vers le fond de la salle, quittant ainsi la lumière pour rejoindre les ténèbres. Seuls ses cheveux blonds continuent de briller, illuminés par les flammes émanant des divers photophores.
Son chapeau dans les mains, il s'assoit à une table de la mienne et me salue. Je réponds tout aussi poliment, mal à l'aise. La vilaine femme le rejoint, son plus beau sourire est de sortie et elle minaude avant de lui prendre une pièce des mains. Prestement, elle se dirige vers le bar et sert le breuvage dans un récipient de métal, identique au mien.
Sa poitrine ne cesse de rebondir lorsqu'elle approche avec vigueur et enthousiasme de la tablée du garçon à la grande élégance. Le décolleté en avant, elle dépose la pinte avec bien plus de délicatesse, qu'elle ne m'avait habitué. Le garçon, gêné, la remercie, mais la jeune femme ne semble pas décidée à s'éloigner.
Difficile de gerter quelqu'un au dix-neuvième, il faut croire. Je repense à la technique du « coup de fil » ou bien encore celle du « j'écris un message, je peux pas te parler. » Ils lui auraient été bien utiles ces petits stratagèmes de notre époque, pour se débarrasser d'elle. La technologie n'a vraiment pas autant de défauts que l'on veut bien nous le faire croire. La compassion se saisit de ma personne - fait rare, faut le dire - et je hèle l'affreuse dondon, qui souffle d'agacement, afin de libérer le nouvel arrivant.
Dans mon allemand très mauvais, je lui demande où il est possible de se soulager. Sans réfléchir un instant à la possibilité qu'il n'y ait pas de lieu approprié à cet effet dans une brasserie du dix-neuvième. La femme commence à s'énerver, ne comprenant pas mon dialecte et est interrompue par une main blanche et propre, qui atterrit sur son bras.
— Tu es français ? demande l'homme avec un accent prononcé.
Mes yeux explosent sous la surprise. Ce mec est bilingue, vraiment ?
J'acquiesce, sur les fesses. Un comble que les mots me manquent à cet instant précis. Pour une fois que je peux communiquer correctement avec quelqu'un !
— Toi aussi ? questionné-je, un peu stupidement.
Il secoue négativement la tête et explique :
— Je suis prescripteur. J'enseigne les langues, explique-t-il de sa voix douce.
La femme est toujours là et nous observe. Sa langue ne cesse de faire des tours et des tours dans sa bouche. À retenir, ne pas recommander une boisson ou je risquerais au mieux, de trouver un crachat dans ma bière, au pire, de l'arsenic. Le prescripteur ne lui accorde plus un regard et la femme se décide enfin à retourner vers le bar où le gérant semble la remettre à sa place en lui envoyant un torchon à la figure.
— Je m'appelle Anatole et toi ?
Durant un court instant, j'appréhende sa réaction face à ma réponse. Les gens ont toujours des attitudes bizarres quand je leur dis comment je m'appelle et elles sont rarement très positives. Puis je me rappelle qu'ici, personne ne connait encore Adolf Hitler.
— Adolphe, susurré-je.
Une odeur de viande faisandée vient accompagner notre discussion. Le repas va bientôt être préparé pour les clients du midi.
— Que viens-tu faire dans une bourgade comme Branau am inn ? questionne-t-il, avec toujours autant de bienveillance.
Face à cette question, un pic de rappel me fout un frisson. Je ne suis pas ici pour bavarder ou me faire des amis. Je suis ici pour assassiner le bébé à l'étage. Il serait fort étonnant que cet esthète attende une telle réponse.
— Je suis ce qu'on peut appeler un nomade, menté-je, à moitié.
Le garçon répond par des yeux ronds.
— Tu as visité beaucoup d'endroits comme ça ? continue-t-il de demander.
La main dans ma nuque, je récite les villes où j'ai voyagé avec mes parents, sans compter les pays outre atlantiques. Il est préférable de rester soft en sachant que l'avion n'existe pas encore - ce moyen de transport magique, qui a fait faire un grand boom au tourisme de masse - il ne manquerait plus que ce soit un expert en bateau. Rappelons tout de même qu'il fait partie d'un des corps de métier les plus respectés et les plus cultivés.
Anatole m'écoute, subjugué. Ses yeux clairs brillent sous sa mèche blonde rebelle. Incontestablement, il est le plus beau garçon que je n'ai jamais rencontré ou même vu. Chacun de ses gestes fait naître en moi quelque chose de nouveau. Sa peau de porcelaine est si transparente, qu'on pourrait voir à travers lui. Des veines bleues dessinent ses poignets et des sourcils fournis donnent du caractère à son faciès.
Nous sommes interrompus par le retour remarqué d'Alois. Mon cœur bat fort dans ma poitrine lorsque je le vois se servir une bière avant de remonter à ses appartements. Ses pas sont lourds et l'escalier craque à chacune des marches qu'il gravit. Anatole a remarqué mon soudain intérêt pour l'homme et baisse les yeux.
Comment vais-je bien pouvoir me glisser là-haut sans me faire remarquer ?
*1 Oui, l'enfant est gardé par la nourrice.
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