007

Le repas terminé, nous nous habillons, décidés à mener notre mission à bien. Les draps sont pliés, le feu est réapprovisionné.

— En route, annonce-t-il.

Anatole a vêtu son chapeau melon et une tenue presque identique à la veille, à la différence près que les vêtements sont tous propres. En me voyant revêtir les mêmes habits sales et déchiquetés à mon tour, il a sorti de son armoire un haut et un pantalon identique au sien.

Dans un remerciement, je me suis débarrassé de mes fringues usagées avant d'enfiler celles qu'il me tendait.

Le seuil de sa demeure traversé, Anatole se ru vers une fenêtre à l'intérieur de la petite ferme et lui inflige trois coups. Je reconnais la femme qui lui tend une grosse clé, qu'Anatole s'empresse de saisir avant de me rejoindre à petites foulées.

Le soleil est bien réveillé. Les cloches accrochées aux colliers des vaches sonnent et donnent un côté bucolique à la scène. Le vert des alentours est si éclatant, que l'on se croirait dans une œuvre de Monet, mais en moins flou.

Tout semble net, exagérément beau et bon.

Les doigts d'Anatole frôlent délicieusement ma paume durant notre marche. Je ne pensais pas la subtilité et le mystère aussi excitants. Devoir se cacher est une vraie plaie, mais elle renforce tous les sentiments et impressions que j'ai par rapport à ma sexualité.

Tant pis pour ceux à qui ça déplaît.

Le clocher apparaît. Anatole m'attrape le bras et me fait passer par un petit sentier que je n'avais pas vu la première fois. Une ruelle émerge entre les murs des premiers bâtiments et nous nous y engouffrons.

— Pourquoi ne passons-nous pas par la route principale ? questionné-je, c'est un raccourci ?

Anatole s'approche brusquement de moi et me plaque contre une paroi avant de presser ses lèvres contre les miennes. Je vois que sa timidité s'est envolée. Sa façade est très travaillée, mais elle est à l'opposé de ce qu'il est. Tout ce cinéma doit être épuisant au bout d'un certain temps.

Je lui rends son baiser et glisse mes doigts dans sa nuque. Un frisson me parcourt en imaginant que l'on puisse nous surprendre et nous arrêter, mais ça ne stoppe en rien, mes gestes tendres. Après une ou deux minutes, nous relâchons notre étreinte et nous dirigeons vers la Brasserie.

Un kilomètre plus tard environ, je reconnais le panneau. La fontaine est à sa place, toute belle avec ses briques éblouissantes sous les rayons du soleil.

— Le plus logique serait de se séparer afin de surveiller les deux portes en même temps, murmure Anatole.

La tristesse dans sa voix me fait sourire.

— Ce serait préférable, oui, annoncé-je.

Il lâche un soupir. Mon ego est au comble du bonheur en le voyant si attristé de me laisser durant un instant.

— Je m'en vais à l'autre porte. S'il y a du mouvement, je viendrai te faire signe, annonce-t-il.

J'acquiesce et lui explique que je ferai la même chose. L'horloge solaire indique neuf heures. Un chien est allongé presque devant mes pieds, il se dore la pilule. Il semble n'y avoir que très peu d'habitants dans cette bourgade.

Une seule personne se dirige vers la Brasserie : un homme à longues moustaches. Cette mode est affligeante de laideur. Ils se ressemblent tous avec leurs chapeaux, leurs teints pâlots et leurs vêtements en noir et blanc. Il manque plus que la canne et on pourrait les appeler Dupond et Dupont tous ces pingouins !

Pour la première fois, mon téléphone me manque. Un TurtleFight serait idéal pour patienter en planque (ok, on ne peut pas dire que je sois caché, mais espionner quelqu'un en espérant ne pas se faire prendre reste, pour moi, la définition d'une planque.)

Le temps se fait long. Le chien m'a quitté, lassé du soleil, préférant rejoindre l'ombre. Le cadran solaire indique désormais onze heures. Devant la pancarte, je patiente seul jusqu'à ce que des pas de course résonnent entre les murs de la place. Ma tête tourne dans tous les sens, cherchant d'où ils peuvent bien provenir.

Un chapeau apparaît derrière un angle, mêlé à une chevelure blonde épaisse. Un Anatole rouge accourt vers moi.

— Il est parti à dix-heure cinquante-six précise, explique-t-il, en me tendant sa propre montre à gousset.

Mon cerveau réfléchit. Ne serait-ce pas le moment idéal pour tenter une approche ? Certes, nous avions prévu de calculer la durée de ses trajets avant de s'y aventurer, mais la voie est libre après tout. Je me mets en tête d'élaborer un nouveau plan.

— Et que penserais-tu si l'on pénétrait à l'intérieur dès maintenant ? Madame dort sûrement, déclaré-je.

— Oui, mais la nourrice ? Comment fait-on pour la faire sortir de la chambre du bébé ?

Je fronce les sourcils.

— Elle n'a pas une pause déjeuner ou quelque chose comme ça ?

Il réfléchit.

— Sûrement, mais dans ces cas-là, elle doit garder le bébé auprès d'elle, ne crois-tu pas ?

Il est sûr qu'au vingt-et-unième siècles, une bonne nourrice ne délaisserait pas un seul instant, l'enfant dont elle a la charge. Mais les mioches n'ayant pas les mêmes droits à ce siècle, je pensais qu'ils seraient plus souples – ou plus négligents, cela dépend de l'importance que l'on accorde aux morveux – que ceux de notre époque.

— Il faut que l'on trouve un moyen de l'éloigner du berceau, annoncé-je.

Merci Einstein, se serait moquée ma sœur.

— Et si nous entrions dans le bistrot afin de réfléchir à tout cela autour d'un verre ? questionne Anatole.

Le risque est grand, Alois pouvant rentrer à tout instant par la porte arrière sans qu'on le sache. Pour être tranquille, il nous faudrait un espion dans l'appartement.

— Pour le moment, faisons ça. Mais il ne faudra prendre aucun risque lorsque nous nous apprêterons à pénétrer dans l'appartement.

Le garçon acquiesce, complètement d'accord.

— Il faudrait que nous ayons dans notre poche, quelqu'un qui connaisse tous les potins du coin et en particulier, tous ceux qui concernent la famille d'Hitler. Une personne dans l'entourage qui n'aurait aucun mal à raconter ce qu'elle sait ou pense savoir, récité-je, dans mes pensées.

À peine ma phrase terminée, un visage s'engouffre dans mon cerveau et s'affiche sur ma rétine.

— Mais bien sûr ! m'exclamé-je.

Anatole me regarde, inquiet, en voyant le sourire satisfait qui plisse mon faciès heureux.

— La serveuse de la Brasserie, expliqué-je.

Sur ces mots, une silhouette épaisse passe devant la fenêtre du petit bistrot fait de briques marrons. 

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