8. À une effraction


Je tournais en rond, triturant le petit bout de papier plié que le garçon au pinceau m'avait donné. Je le fixais, ne sachant que faire.

Je le lisais et le relisais, des bouffées d'adrénaline faisant frémir chacun de mes muscles. Comme un fauve en cage, j'arpentais ma maison vide, plongée dans une nuit opaque, étrangement satisfait.

Ce que j'allais faire était mal.

Ça me rappelait les centaines de coups foireux que nous avions montés avec Donghyuk.

J'espérais ne pas avoir perdu le coup de main.

Finalement décidé, le coeur battant, j'avais glissé son mot dans la poche de mon jean déchiré, ainsi que les clefs du local de la poste.

Ma dernière infraction remontait à loin. Si loin que le sourire de mon ami y trainait toujours.

À l'époque, nous ne mesurions pas les conséquences de nos actes. Aujourd'hui, je savais pertinemment que si on m'attrapait, j'allais en payer le prix. Mais j'aurais donné n'importe quoi pour me sentir vivant comme à ce moment présent.

Ma capuche rabattue sur mon visage, animé de forces incontrôlables, j'étais sortit, empruntant des chemins de traverses que personne ne connaissait. Excepté Donghyuk et moi, évidemment.

Nostalgique, j'évitais tout de même de trainer là, pressé d'arriver.

D'un regard, j'avais jaugé le bâtiment dans lequel je venais travailler chaque jour. Puis, j'avais déverrouillé la porte d'entrée et l'avais fermée derrière moi sans un bruit, y tournant deux fois ma clef, que je laissais dans la serrure. Au cas ou.

Éclairé par un vieux lampadaire qui crépitait sur le trottoir, je m'étais dirigé vers l'unique téléphone du village.

Recevoir un appel était parfaitement gratuit, mais en passer un était tout autre. Il fallait débourser pas mal pour toucher au combiné.

Mais mes poches étaient vides. Et je ne comptais pas dépenser un seul centime. Alors, j'avais farfouillé dans la caisse, derrière le comptoir. Les gens venaient nous acheter des timbres où déposer des colis, et mon patron tenait tous ses comptes ici. Et il avait eu tord de me faire confiance, puisque j'allais le voler.

J'avais ouvert le tiroir où il cachait l'argent. Mais je n'y avais pas touché. Je cherchais autre chose. Je cherchais une autre clef, qui servait à accéder au téléphone, sans avoir à y glisser toute une liasse.

Pressé, je me cognais quelque part, poussant un juron bruyant, avant d'atteindre mon précieux butin.

À cet instant, je me sentais pousser des ailes. J'avais l'impression qu'au moment où j'avais saisit le téléphone, Donghyuk avait rit dans mon dos. Fier de nous.

Berner les gens avait toujours été la chose qu'il préférait faire. Après s'étendre au bord de notre ruisseau, la tête sur mon torse, ma main jouant avec ses cheveux et les yeux rivés sur les nuages.

Comme tout enfant sur terre, nous adorions deviner les formes que prendraient ces géants de coton. Il avait toujours eu une imagination débordante. Là où je voyais un mouton, il voyait un bateau. Un dragon. Une sorcière. Et parfois, il voyait la grande ville.

Maintenant, il avait l'occasion chaque jour d'en parcourir les rues.

Devenu amer, je secouais la tête, pour me remettre les idées en place. Ce n'était vraiment pas le moment.

Puis j'avais déplié le petit papier, l'étalant sur mon genou :

« Excuse-moi d'être si nul en communication.. Mais je n'aurais jamais osé te le donner en vrai.. alors.. si ça te dit.. ou pas d'ailleurs... Enfin ouais,  Appelle-moi, peut être?
→ +082****** * »

Encore une fois, j'avais souris devant son mot. Et je l'avais relu, hésitant à taper son numéro. Je ne savais même pas quoi lui dire!

À ma place, Donghyuk aurait déjà appelé depuis longtemps. Mais j'avais peur de le déranger... Enfin, j'avais peur tout court.

J'étais encore plus nul que lui pour tenir une conversation, alors je balisais.

Puis a force d'hésitations, mes doigts avaient bougés tout seul, et j'avais appuyé le combiné contre mon oreille, triturant les fils arrachés de mon pantalon.

J'espérais qu'il ne réponde pas. Mais, au fond, je souhaitais tout l'inverse.

Plus j'attendais, bercé par la sonnerie dans mon oreille, plus j'étais soulagé de savoir qu'il devait dormir.

Mais il avait décroché :

Allô?

C'est moi, avais-je répondu, priant pour qu'il reconnaisse ma voix, puisque nous ne connaissions même pas nos prénoms.

Il avait rit au bout du fil.

J'avais souris dans le vide.

Alors, tu m'as appelé.. soupira-t-il, soulagé. Je pensais que.. t'aurais trouvé ça bizarre.

Est-ce que donner son numéro à un inconnu est plus bizarre que de passer sa vie sur le banc d'une gare? avais-je plaisanté.

Alors, on est ex æquo..!

Il avait marqué une pause, puis avait rajouté, gêné :

Excuse-moi.. pour le dessin au fait. J'pensais jamais que tu le verrais..

Il est magnifique, l'avais-je rassuré. T'es vraiment doué.

Il avait rit de nouveau, et je l'imaginais, lui et ses joues couleur des roses.

Tu sais, j'ai appris à faire ça à l'école... c'était pour un devoir.

Je voulais lui demander le sujet. Pourquoi ma gare? Pourquoi moi? Mais je n'avais pas osé.

Tu étudies l'Art?

Ouais, j'aimerais bien devenir photographe. Mais on a plein d'autres matières autour, comme le dessin. Et toi?

Qu'est-ce que je voulais faire? Rien.

Ou venir tous les jours à la gare. Puis me perdre dans les bois. Longer le ruisseau jusqu'à ce qu'il se jette dans la mer. Compter les échassiers qui s'envolaient dans le ciel. En attendant le retour de mon ami.

J'sais pas trop... j'ai pas vraiment d'idées. J'essaye juste d'étudier assez à la maison, pour passer mes examens à la fin de l'année... et en avoir fini avec tout ça.

Tu ne vas jamais au lycée? m'avait-il demandé, surpris.

Non.. Tu sais, j'ai un boulot au village, ça me suffit.

Oh... mais tu ne t'ennuies pas?

Si, souvent. Alors je viens ici. Ou je vais dans les bois. C'est pas grand chose, mais.. je fais comme je peux.

J'aurais tant voulu ne pas être seul. Lui raconter que j'avais des amis. Qu'on sortait en ville, boire un peu. Comme les jeunes de notre age. Mais il était partit. Sans moi.

Tu m'y emmèneras? m'avait-il alors demandé, si heureux que je l'étais devenu aussi.

J'avais souris. Si fort qu'il l'avait entendu :

Ça, ça veut dire oui..!

J'avais ri, ma voix grave s'élevant dans le combiné :

Ouais, c'est exactement ça.

Le moment s'était suspendu dans l'espace. Je pouvais nous voir sourire tous les deux. Sans rien dire. Et ça me suffisait.

Finalement, je l'avais entendu bâiller. C'est vrai qu'il était tard.

On se voit demain alors? s'était-il enquit.

Je t'attendrais.

Alors je saurais où te trouver, m'avait-il taquiné, la voix pleine de sommeil.

Je crois que tu devrais aller te reposer, lui avais-je intimé. Dors-bien...

Toi aussi, fais de beaux rêves...

Nous avions rit de nouveau, presque silencieusement. Surpris et gênés par notre propre candeur.

Et il avait raccroché.

Cette nuit là, apaisé, j'avais enfin trouvé le sommeil.

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AAAH. J'suis désolée pour la longueur de ce chapitre! J'avais dis court mais.. j'ai TROP d'inspiration ;;
Merci beaucoup de me lire d'ailleurs, je vois que j'ai une vingtaine de fidèles lecteurs, qui me comblent de bonheur! ♡
J'espère que la suite vous plaira, elle arrive bientôt !

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