7. À demain
Il pleuvait. Il pleuvait ce matin, comme très rarement dans le vallon. Le ciel était noir, et mon esprit brumeux.
Le nez au carreau, j'observais la pluie abattre les hautes herbes et gonfler notre ruisseau. Le menton calé dans ma paume, jouant avec un stylo que je tapotais contre la vitre, j'observais la gare, presque invisible derrière le rideau de gouttes.
Je cherchais le soleil, qui d'une minute à l'autre se lèverait à travers les épais nuages.
Il était tôt. Comme la veille, je n'avais pas trouvé le sommeil. J'avais passé ma nuit installé dans le fauteuil du salon, éclairé par la lumière aveuglante de la vieille télé. Pelotonné dans une couverture de fortune, j'avais regardé sans vraiment les voir, des dizaines de chaines différentes.
J'étais seul.
Ma mère était partie avec une dizaine d'agriculteurs du coin, à un congres tenu en ville et qui durerait une semaine ou plus. De toute façon, sa présence ne changeait pas grand chose, puisqu'elle ne m'adressait la parole que pour dire qu'elle se tirait.
Elle avait ses raisons.
Un soupir franchit la barrière de mes lèvres alors que je me levais, jetant mon stylo sur la vague de cahiers qui recouvrait mon lit.
J'avais enfilé un sweat a capuche noir, était descendu en trombe, laissant toutes mes affaires à l'étage sans l'ombre d'un regret.
Et j'avais claqué la porte derrière moi.
Il allait être l'heure.
Comme hier, j'avais coupé à travers champs pour gagner du temps.
Et je m'étais assis sur mon banc, écoutant les gouttes frapper la toiture de ferraille.
La tête basculée contre le mur froid, j'attendais. Comme souvent, lorsque je ne révisais pas, je pensais a mon ami. Que faisait-il là-bas? Son lycée était-il comme dans les livres pour adolescents? Avait-il autant d'amis que les héros principaux? Je n'en doutais pas. J'étais même sur qu'il les illuminait de son éternel sourire soleil et qui leur faisait les blagues du siècle.
Ça me manquait. Il me manquait.
J'aurais aimé lui manquer aussi.
J'aurais aimé qu'il soit là.
Un éclair qui zébrait le ciel me tira de mes pensées. Puis le grondement, non pas du tonnerre, mais celui d'un train qui arrivait en gare.
Les wagons rouges soufflèrent bruyamment, s'étouffant dans la poussière du sol, leurs grands yeux vitreux baignés de larmes.
— Tu ne révises pas aujourd'hui?
J'avais tourné la tête, brusquement. Si brusquement que mes cheveux avait envoyé des dizaines de perles de pluie sur sa veste en cuir. Et ça l'avait fait sourire.
Rendu muet par l'apparition du garçon au pinceau, je m'étais tourné vers les wagons.
Toutes les phrases du monde me passaient par la tête. Je lui aurais dit n'importe quoi. N'importe quoi pour qu'il reste là.
— Il pleut trop pour ça.
Ma voix enrouée de ne pas avoir parlé depuis si longtemps l'avait fait rire. Et la tête basse, je l'avais imité.
Puis doucement, il s'était appuyé contre le mur en soupirant :
— J'aurais vraiment voulu rester dans mon lit..
Je n'avais rien répondu, me penchant pour appuyer mes coudes sur mes genoux, tournant mon visage vers le sien, nos yeux se trouvant instinctivement :
— Mais je n'aurais pas pu te voir, avait-il rit, se frottant les cheveux d'une main, sa peau prenant la teinte d'un champ de roses.
J'avais ris aussi, amusé, enchanté, touché.
Heureux.
— Ça fait longtemps que.. tu prends ce train? lui avais-je demandé, ma voix grave teintant chaudement dans l'air.
— Depuis le début de l'année scolaire. Comme on a déménagé, je me retrouve loin de mon école, et mes parents n'ont pas vraiment le temps de m'amener en voiture.
— Mais, tu n'en étais jamais descendu avant.. je constate.
— J'voulais voir si ça suffirait à te faire lever de ce banc.
— Depuis tout ce temps tu-
Le hurlement du train avait avalé la fin de ma phrase, et assombrit l'expression apaisée sur son visage. L'air déçu, il s'était levé, attrapant ma main pour y glisser un papier, ses lèvres s'étirant de nouveau en un sourire qui ne cessait plus de m'émerveiller.
— A demain, avait-il lancé, une bourrasque faisant voleter la capuche de son sweat rose et ses cheveux caramels.
Pour toute réponse, j'avais souris. Souris si fort que mes yeux s'étaient totalement clos l'espace d'une seconde.
Cette seconde lui avait suffit pour disparaitre de nouveau.
Me laissant seul, mon poing refermé sur un fragment d'espoir.
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